Interviews

Karen Green, l’archiviste des comics (07/09/16)

Il y a quelques mois de cela, j’ai eu la chance de pouvoir poser quelques questions à Karen Green, via le média Japan FM, à l’occasion de sa venue au Monaco Anime Game International Conferences (autrement dit MAGIC pour les intimes, et dont un invité de marque et papa d’une bête à cornes rouges très célèbre est prévu pour l’année prochaine…).
Mon poto Ash Rush m’a donc invité à participer à cette interview, et je dois dire que le résultat est, je trouve, des plus sympathiques et permet humblement de poser une pierre de plus dans l’édifice de la visibilité des femmes (de l’ombre pour la plupart) dans les comics.

Car Karen Green ce n’est quand même pas n’importe qui, et elle sait surtout de quoi elle parle.
Elle est en effet depuis 2002 documentaliste d’Histoire Ancienne et Médiévale à l’université de Columbia. Fan de comics dès sa plus tendre enfance, elle met en rayon les romans graphiques issus de la Butler Library à partir de 2005, tout en commençant à répertorier des archives d’auteurs de comics en 2011.
Elle est également l’auteure d’une colonne mensuelle intitulée Comics Adventures in Academia pour le site ComiXology entre 2007 et 2012, et organise plusieurs débats et événements, notamment le Comic New York Symposium en 2012 et l’exposition Comics at Columbia : Past, Present, Future en 2014.
Elle produit également le célébrissime documentaire She Makes Comics et parle du fait d’utiliser les comics dans les universités et dans l’enseignement à travers les Etats-Unis.
Comme si cela ne suffisait pas, elle est également jury pour les Will Eisner Comics Industry Awards en 2011 et pour le Prix Pulitzer en 2015.
Elle est actuellement vice-présidente du conseil d’administration du musée new-yorkais, Society of Illustrators.

Je remercie chaleureusement Ash Rush et l’équipe de Japan FM pour cette très belle opportunité.

Comme une aube de justice : Interview de Claire Wendling (22/03/16)

Claire Wendling est une artiste sublime, de premier ordre. Peu d’artistes sont capables de me laisser pantois par leur beauté et leur versatilité. Claire est de ceux-là. Je suis émerveillé par sa maîtrise, pleine de grâce, du corps humain et de l’anatomie animale. Contempler ses œuvres me procure une joie absolue.

Frank CHO (Liberty Meadows, Shanna the She-Devil)

En janvier dernier, il m’a été très difficile de garder mon sang froid en assistant de manière impuissante au mauvais esprit et à la condescendance la plus basse de certaines lumières spécialisées (et non spécialistes) dans la bande dessinée sur Internet concernant Claire Wendling.
Comme si « L’Angoulême Gate » et sa série de catastrophes n’avaient pas été suffisants, le coup de grâce fut donné par la remise en cause, ou le manque de pertinence aux yeux de certains de voir son nom parmi ceux d’Alan Moore et Hermann en lice pour être récompensés du fameux Grand Prix du FIBD.
Le principal argument invoqué alors était le manque de parutions de l’artiste au regard des deux auteurs nominés à ses côtés, un site web n’hésitant pas à gonfler la bibliographie d’Alan Moore (comme si cela était nécessaire) avec la plus belle des mauvaises fois possibles pour étayer ses propos, jusqu’à remettre en cause l’influence phénoménale que Claire a pu engendrer auprès de ses pairs, et ce dès le début de sa carrière.

Au regard de cette injustice et surtout afin de permettre à Claire Wendling de s’exprimer vraiment sur le sujet, j’ai eu la chance (avec la complicité de Paul Renaud, Sullivan Rouaud et Stuart Ng que je remercie beaucoup) de pouvoir interviewer cette artiste exceptionnelle quelques jours avant le début du FIBD, au mois de janvier dernier.
En parallèle, et afin de prouver aux mauvaises langues que Claire a bel et bien une renommée et une influence qui dépassent largement nos frontières, de nombreux artistes internationaux de comics ont répondu à notre appel en témoignant leur profond respect pour son travail dont bon nombre d’entre eux puisent leur inspiration au quotidien.

Claire Wendling sera présente au TGS Springbreak à Toulouse les 9 et 10 avril ainsi qu’à la Paris Comics Expo du 15 au 17 avril 2016.

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Je te connais peu mais je sais que tu es très discrète, que tu ne veux surtout pas attirer l’attention sur toi, et encore moins de cette manière. Comment vis-tu cette soudaine surmédiatisation ?

C’est à dire que je suis discrète déjà en tant que personne, comme beaucoup d’artistes d’ailleurs. Ce n’est pas pour rien que je travaille seule, ou en équipe réduite. En tant que free-lance, je travaille à la maison.

Je n’arrive pas vraiment à poser de sentiment là-dessus, à vrai dire. A part que je suis très en colère parce que je réagis très vite quand on me marche sur les pieds. Je suis discrète, mais ça ne veut pas dire que je vais m’écraser devant les imbéciles.
J’ai paradoxalement plus de mal à gérer le déferlement d’amour que je viens de recevoir. En temps que fille -parce qu’on est là aussi pour en parler- on est limite habitué à devoir baisser les yeux quand on nous remercie ou félicite. C’est une question d’éducation contre laquelle tu as beau te battre, malgré tout, ça reste.

On va peut-être commencer par le commencement, quelle a été ta réaction quand tu as découvert qu’il n’y avait aucune femme nominée pour recevoir le Grand Prix cette année ? Penses-tu que cet “oubli” est symptomatique du milieu de la bande dessinée ?

Je crois qu’il est symptomatique de beaucoup de milieux, malheureusement. Dans la bande dessinée, on est même des bisounours à côté de beaucoup d’autres milieux, malgré tout. Surtout quand on compare aux jeux vidéos, où on a le sentiment par moment que la guerre est déclarée.

Quand j’ai vu ça, ma première réaction à été de pouffer de rire. Le pire, c’est que je crois qu’ils n’ont pas fait gaffe à ça, et dans un sens c’est bien car ça peut te mettre le cul entre deux chaises. On veut être reconnue pour le talent, pas parce qu’on est des filles (ce dont personnellement je me fous éperdument, comme beaucoup de nanas d’ailleurs)… c’est juste qu’on s’en rend compte parce qu’on est subjectivée en permanence.
Le problème est que ce prix est décidé par trois personnes. Qui sont ces trois personnes ? Quel est leur avis autorisé ? Quels sont leurs critères de choix ? Etc… Tout ça est un peu brumeux. L’absence de femme vient juste s’ajouter au fait que le prix n’a pas vraiment de sens.

Quand tu as des festivals de bénévoles, ou d’associations, ils donnent l’image qu’ils veulent à leur festival en récompensant qui ils veulent. Ils choisissent leur image. Ils vont s’orienter vers tel ou tel style, ou tendance de la bande dessinée, c’est normal. C’est des questions de passionnés. Quand les auteurs reçoivent des prix de ces festivals là, ils sont tout à fait honorés de faire partie de ce club le temps d’un week-end. Pourquoi pas.
Le problème est que le festival d’Angoulême est devenu une machine, un business. Ça génère des revenus. C’est une entreprise qui décide de la même façon d’avoir un certain type d’image. Le problème, c’est qu’ils se revendiquent comme « le Festival International de la Bande Dessinée », et ils prétendent DONNER la tendance. S’arroger le droit de dire ce qui est important dans la bande dessinée n’a aucun sens. On parle de trois personnes. C’est pour ça que toute cette histoire avec les auteurs les emmerde. Ils préféraient avoir la main mise sur ce prix.

Qu’as-tu ressenti quand tu as vu que de nombreux artistes voulaient te voir être récompensée ? Même si tu ne veux pas de ce prix, il reste quand même l’estime provenant de ses pairs que l’on ne peut sûrement pas refuser n’est-ce pas ?

Ma réaction est de me dire que j’ai bien bossé, quelque part. Ce qui m’intéresse, c’est mon travail, et de bien le faire. Je suis fière d’être arrivée à faire ce travail, qu’il soit parvenu jusqu’aux yeux des gens, que ça puisse faire résonner quelque chose chez eux, ça veut dire que quelque part j’ai bien bossé. C’est ma seule fierté.
Je pense que tu as pu déjà entendre ça avec d’autres artistes, c’est un travail qui est très demandeur en terme d’énergie personnelle, de dévouement. On n’a pas de vie réglée, c’est tout de même dur. Donc c’est bien de se dire qu’on a pas forcément pris le mauvais chemin.  

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On voit en ce moment beaucoup de gens essayer de te coller une étiquette ou une autre. Dessinatrice de BD, illustratrice, graphiste.
Déjà pour commencer, comment te considères-tu toi même ?

Je suis juste une personne qui dessine. Une free-lance. Ça ne pose strictement aucun problème dans tous les autres pays où je suis allée, ni dans tous les milieux que j’ai fréquenté d’avoir un statut bâtard. C’est finalement un statut assez habituel pour quelqu’un qui dessine. Certains vont le déplorer, invoquer la paupérisation des auteurs de BD qui sont obligés de faire d’autres trucs à côté. Mais ça peut aussi juste être le choix des gens, et il faut l’accepter.
Il n’y a pas de honte à être bâtard. Je suis née bâtarde, j’ai vécu bâtarde, et je le vis très bien. Mais ça a l’air de poser un problème ici. Rentrer dans le milieu du dessin, dans le milieu de l’expression artistique, c’est décider de la route qu’on veut, ce n’est pas pour autant une invitation à se prendre des seaux d’eau en pleine face par je-ne-sais-qui.
Personnellement je n’ai rien demandé à qui que ce soit, je fais ma route, mes essais. Je me fiche du bon goût, des clichés, des attentes. Ce n’est pas mon problème. Mon intérêt est dans ce que je fais, peu importe à quoi ça ressemble. L’essentiel est que j’y trouve un intérêt, et c’est ça qui nourrit ma vie.  

On estime à 15% le nombre de femmes travaillant actuellement dans la bande dessinée, que peut-on faire pour que ce chiffre augmente ? Est-ce que tu penses que les femmes s’intéressent moins à la BD que les hommes ou qu’au contraire elles font face à de vraies obstacles ?

Je pense qu’il y a une évolution de la bande dessinée en général, qui n’a plus du tout la même forme qu’il y a trente ans, ou même vingt ans déjà. Je ne sais pas à quel type de bande dessinée les filles s’intéressent, ou même plutôt les jeunes en général. C’est plutôt une génération.
Qui vont être les gens qui vont s’exprimer dans l’art séquentiel -comme on dit joliment – dans les nouvelles générations ? C’est une question intéressante. Est-ce qu’il y aura plus de filles, ça j’en sais rien, mais je pense que la multiplicité des supports multiplie le nombre de vues, d’envies, et de passions qui vont débuter. Quand j’ai commencé il y a trente ans, on était cinq ou six…

Est-ce que vous vous connaissiez ? Étiez-vous solidaires ?

La question se posait moins à l’époque. Le sexisme était tout aussi ambiant, de la même façon, mais malgré tout moins fort parce qu’on était moins nombreuses (rires).
Quand tu es une bête curieuse c’est une chose, mais quand ça tourne à « l’invasion de cafards », c’en est une autre. A ce moment là il faut qu’on te range dans une catégorie pour neutraliser la peur. « Les filles, ça fait ça ». Je sais comment sont les gens, c’est pas un problème. Que tu sois un homme ou une femme, il faut passer entre les gouttes.
Il faut surtout y voir un besoin de hiérarchiser, une lutte de classe, dans la bande dessinée ou dans n’importe quel milieu où tu vas. Donc quand je suis arrivée, j’ai dit : «  vous oubliez que je suis une fille » parce que c’est déjà assez compliqué comme ça. Quand j’ai fait mon premier bouquin, je ne voulais pas y mettre mon prénom.  Pendant des années, les gens ont cru que j’étais un homme. C’est un peu triste de sacrifier son prénom, mais je voulais être juste auteur. Je n’avais pas de revendication particulière, à part de faire un métier, sans courber l’échine. J’ai juste pris ma petite place.

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J’ai le sentiment que ton talent est plus apprécié à sa juste valeur à l’étranger (comme par exemple aux Etats Unis où tu as reçu un doctorat à l’Academy of Art University de San Francisco) que dans nos contrées Franco-Française.
Parmi les artistes étrangers que j’ai eu le plaisir de côtoyer, tous te considèrent comme une incontestable référence alors que chez nous, on est encore à se chamailler pour savoir si tu mérites ou pas d’être aux côtés d’Alan Moore et Hermann… Comment expliques-tu cette différence de considération ?

C’est souvent aux nanas qu’on pose la question du mérite. Je me suis sentie traitée comme une femme infidèle, ce qui est particulièrement désagréable.

Bon, j’ai passé plus de temps à travailler sur d’autres choses que sur de la bande dessinée française, voilà. C’est aussi une question de génération qui a eu plus accès à ce que j’ai posté sur internet, c’est à dire mes derniers boulots.
Pour ce que j’en sais, les passionnés aux États-Unis par exemple se repassaient mes bouquins (qui étaient très difficiles à trouver là-bas à l’époque), ils se faisaient des photocopies. Quand je travaillais dans certains studios d’animation là-bas, les gens me disaient qu’ils avaient des jeux de photocopies de mon boulot (c’est du propre !). J’avais déjà une présence avant d’arriver, curieusement. C’est le bouche à oreille, les réseaux sociaux de l’ère analogique, l’ancêtre d’internet et de Youtube.

J’aimerais revenir sur cette polémique du « trop peu d’albums pour être une auteure » que certains blogs ou même confrères et consœurs auteurs remettent sans cesse sur le tapis.
Dans les comics, on peut trouver nombre d’exemples d’artistes qui font très peu d’intérieurs, et beaucoup de couvertures, d’illustrations comme Adam Hughes, J.Scott Campbell, ou même Dave Stevens. Pourtant personne ne dit d’eux qu’ils ne sont pas des auteurs de comics comme on peut le lire te concernant. Les limites du « métier » semblent être plus inclusives, là-bas. Est-ce que tu attribues cette différence à du snobisme, ou vois-tu d’autres raisons spécifiques au marché français?

La considération pour ceux qui travaillent l’image aux États-Unis est différente de ce qu’on a en France. En France on catégorise plus les gens, on aime ce qui est facile à classer. Je pense qu’ils sont attachés à un certain modèle traditionnel -je parle des gens dont j’ai lu HÉLAS les critiques- Ils ont tendance à fermer portes et fenêtres à ce qui est différent parce qu’il ont peur que quelque chose se perde.
Je pense que s’ouvrir vers autre chose ne peut que te faire gagner. Je ne demande pas qu’ils se tournent vers moi pour autant (rires). Qu’on me laisse aller découvrir ce que je veux, par moi-même.
Mais tout ça ressemble à ces petites villes qui s’agrandissent, avec de tout qui pousse autour, et on se rend compte que cet art est un petit village. Jusque là, on préférait rester dans son petit village, avec son café, son boulanger, et ses petits gossips entre nous, et nos petites habitudes. Mais voilà, il faut s’y faire. Même moi ça m’emmerde parfois, mais il faut faire avec. La bande dessiné peut pas virer à la Corée du Nord, ça serait dommage. C’est beau autour. Il y a du talent. Il y a de quoi renouveler des imaginations qui fatiguent.

Est-ce que ces mesquineries entre auteurs ne souligneraient pas juste un manque de professionnalisme dans la BD en France ? Un manque de distanciation vis à vis du travail ? Pour ne pas dire, un manque de maturité…

Je ne veux pas parler au nom de tout un groupe, ça serait faire preuve d’un manque de respect pour la différence de chacun. Je crois que fondamentalement, ils y trouvent leur compte tant que ça roule pour eux… sauf que la caisse commence à avoir du kilométrage, et qu’elle roule plus si bien que ça par certains aspects.
Ce n’est pas mon affaire. Moi ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qui évolue graphiquement, c’est de progresser, d’apprendre.
Là en fait, tout se mélange : la pratique et le statut. C’est ça qui est problématique. Moi je ne vois que ma pratique, parce que le statut ne me pose pas de problème. Mes problèmes sont ailleurs. Chacun se réclame d’un statut, alors qu’on le découvre petit à petit en faisant. Les envies changent, elles évoluent. Chacun a le droit d’évoluer sans qu’on lui savonne la planche.
Je ne suis pas là pour questionner le milieu de l’édition à la place de ceux que ça concerne.

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Lorsque l’on observe les réactions de tes nombreux soutiens en ligne, on remarque que les plus jeunes auteurs et artistes semblent se reconnaître dans une artiste protéiforme, touche à tout comme toi, bien plus que dans l’image traditionnelle de l’auteur de BD enchaîné à ses albums. Y vois-tu le constat d’une industrie moribonde, ou une évolution naturelle du métier s’adaptant aux nouveaux modes de communication?

Je crois que c’est un peu des deux. C’est un bien et un mal, quelque part. La nature ayant horreur du vide, elle chasse un modèle pour un autre. Je vois des gens capables et ayant envie de faire toute sorte de choses depuis vingt ans. Pour moi, c’est juste normal. C’est l’inverse qui m’étonne.
Après, c’est vrai que la situation de la bande dessinée commence à sentir mauvais pour les auteurs. C’est abominable. Le marché est saturé…je ne vais pas refaire l’historique de tout ça, mais j’ai été gâtée quand j’ai commencé ce métier il y a trente ans. Aujourd’hui, ils sont payés une misère, les ventes ne sont plus ce qu’elles étaient. Il faut soit être inconscient ou avoir une volonté de fer pour se lancer là-dedans. Donc la diversification est peut-être un pis-aller pour certains, mais c’est aussi une autre voie pour d’autres. Ça demande de travailler deux fois plus, c’est sûr.
Évidemment que moi aussi j’aurais aimé que ça paye mieux tout de suite mais on n’est pas là, nous auteurs, pour régler tous les problèmes de la société. Déjà qu’on n’est pas foutu de régler nos problèmes de retraite avec l’IRCEC et ce genre de choses en parlant d’une seule voix et en étant solidaires. On est tous dans le même bateau dans les métiers de la création. Refermons la parenthèse, donc oui, je suis contente qu’il y ai des portes de sortie pour les gens qui le veulent, pour survivre dans la création.

Qu’est-ce qui, toi, t’as poussée à te diversifier autant, et si tôt dans ta carrière ? (BD, comics, illustration, animation…)

Parce que j’en avais marre de la BD en fait. Je voyais tout le temps les mêmes personnes, il y avait une routine. Ça c’est en terme humain.
Pour ce qui est du medium, j’aime bien changer tout le temps. C’est assez pénible de me cantonner à la résolution de problèmes sur le même canevas. Ça finissait par me miner, vraiment. Je me sentais enfermée, d’autant plus que la vie d’auteur de BD c’est: bosser comme un fou sur un album, être fatiguée tout le temps, être en retard tout le temps, t’es pas payée à temps, tu attends tes droits, tu cherches des petits boulots à droite ou à gauche.
Avec tout ça je perdais une grosse partie du plaisir de dessiner. Je me suis vue y sacrifier ma santé là-dedans. Et puis je me suis rendue compte en quittant la bande-dessinée que j’avais oublié de parler à la moitié du monde, ceux qui ne font pas partie de mon milieu professionnel ni socioculturel. Je me suis dit que j’avais perdu beaucoup de temps en fait.

Cette polémique concernant le grand prix d’Angoulême a révélé avec horreur aux milliers de gens qui te suivent, une récurrence de bassesses, remarques perfides et autres attaques mesquines t’étant adressées avec le plus grand naturel de la part de la « critique », et même de membres de la profession en France. J’ai peur de demander mais, as-tu déjà fait face à ce genre de choses par le passé ?

Oh oui, bien sûr. Mais tous, on s’en prend plein la figure. Il n’y a même pas besoin de jalousie de la part des autres pour se recevoir de la rancœur. C’est les gens en face qui ont un problème avec eux-mêmes. Ils reportent sur toi leurs problèmes.
Alors quand tu es une fille, c’est là que ça se porte. Le paternalisme appuyé, ou me sortir que ce n’est pas moi qui dessine -il doit forcement y avoir des mecs qui m’aident. Ça je l’ai entendu tellement de fois. Les « on dit » des cons. Il y a toujours aussi une forme d’encouragement condescendant quand on s’adresse à une fille qui dessine. Moi j’ai rien demandé. Rentre chez ta mère ! (rires).
Je suis suffisamment dure avec moi-même pour attendre quoi que ce soit des autres. L’avis paternaliste de gens qui feraient mieux d’enlever les moufles avant de tenir un crayon… il y a des gens qui me font des réflexions alors qu’ils feraient mieux de bosser en carterie low cosy. Je ne prétends pas dessiner mieux que tout le monde, et j’entends qu’on me rende cette politesse.
Quand tu as travaillé dans le milieu de l’animation, tu n’as pas le luxe d’être prétentieux. Tu es entourée de brutes du dessin qui bossent h24, qui tombent du dessin comme qui rigole, et ils ne la ramènent pas. Ils ont réglé le problème de la confiance en soi en partie par le travail. Et je me sens mieux dans cet environnement, humainement et professionnellement loin des gueguerres de la bande dessinée.

Après, je n’ai rien à redire à cette sélection. Je n’ai rien demandé. Ce n’est pas une compétition, ni un match de boxe. Il faudrait que je me défende, que je fasse la fière-à-bras devant les autres concurrents ? Je n’ai pas demandé à être dans l’arène. Pour tout te dire, je n’ai même pas été prévenue de la nomination. Je l’ai appris sur Facebook. J’imagine que Moore ou Hermann non plus. Ne m’intéressant pas à tout ça, j’apprends que Moore a déclaré qu’il ne le voulait pas, et Hermann non plus. Je me retrouve au milieu, comme cible pour les ahuris. Je cumule toutes les tares. Une fille, qui n’a pas fait beaucoup de BD, qui s’est expatriée…la femme infidèle, quoi.
Cette année les gens ont voté pour moi, qu’est-ce que j’y peux ? Ils contestent ma légitimité à me retrouver là, comme si je les agressais, mais moi je ne demande que du respect. Tu vois des sites gonfler les bios des uns, et sucrer les trois-quarts de mes livres parce que c’est pas des BD…parce que les préfaces d’Alan Moore, ça compte comme de la BD peut-être ? C’est pourtant évident qu’ils sont plus gros et qu’ils ont toutes les chances de gagner. C’est quoi qui leur fait peur à ces gens ? C’est pathétique, et puéril. Surtout pour ça ! Il y a une entreprise qui leur a fabriqué une arène, et tout le monde s’écharpe dedans en m’y traînant de force. Tout le monde marche.

En attendant, on se fait bouffer par l’IRCEC.

J’image qu’il te tarde que tout ça soit terminé le plus vite possible ?

Oh oui ! Je n’ai pas pu bosser depuis une semaine. Franchement, je ne dors plus, j’ai perdu du poids. Les gens ne réalisent pas la violence du truc quand on est traîné de force dans une arène. C’est une vraie intrusion dans ma vie. J’ai besoin de travailler, de gagner ma vie. Je ne fais pas de vagues, je reste dans mon coin. Je ne suis pas le punching ball de quelques messieurs.

Il faut comprendre que le boulot devient de plus en plus dur pour tout le monde. Donc il est malvenu que ces gens du festival se permettent de taper sur tous les auteurs sans considération pour le fait que nous bossons pour qu’ils se fassent voir en société.  

Oui, je suis énervée.

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Incroyable ! Est-ce du chauvinisme mal placé parce-que Claire est pas assez Franco belge ? Je m’explique mal. Comment plutôt ne pas se gonfler d’orgueil a l’idée que Wendling est française et un trésor national ! Nul n’est prophète en son pays il faut croire. Pour ma part il est évident que le talent presque inhumain de Claire fait d’elle une géante parmi les géants de l’élite mondiale.

Yanick PAQUETTE (Swamp Thing, Wonder Woman Earth One)
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Claire Wendling fait partie des plus grands artistes de notre ère. Son œuvre rime avec excellence, fluidité et innovation. Je ne connais pas un seul artiste qui ne lui voue le plus grand respect ainsi qu’une immense admiration. Ses sketchbooks étaient souvent exposés dans les studios et les écoles où j’ai travaillé, afin d’encourager les esprits fatigués et les poignets endoloris. Les rares artistes impliqués dans le séquentiel ou dans l’animation qui ne connaissent ou ne révèrent pas son travail démontrent généralement de vastes lacunes dans leur vocabulaire.

Rick REMENDER (Low, Fear Agent)
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Pour une artiste à l’œuvre si rare, Claire Wendling s’avère étonnamment incontournable.
D’un point de vue professionnel, son travail m’a appris l’importance véritable du naturalisme en dessin, ainsi que la nécessité de rendre mon art expressif, au-delà de sa qualité esthétique.
J’ai tellement appris de ses œuvres en termes de composition, de jeu des personnages, de style.
En tant qu’enseignant, j’ai souvent recours à son travail dans mes classes d’art séquentiel et d’animation, en raison de sa capacité à jongler entre ces deux exigences, à soigner l’élégance aussi bien que le naturalisme. J’ai vu des générations d’étudiants atteindre l’excellence en explorant des livres comme Les Lumières de l’Amalou, Drawers 2.0, ou Iguana Bay 2.0.
Si vous aimez l’œuvre de Sara Pichelli, Elena Casagrande, Valerio Schiti, Eleonora Carlini et tant d’autres, vous pouvez remercier Claire. Son influence est également visible chez de nombreux artistes aux États-Unis, où son travail est sans doute bien mieux apprécié qu’en Europe.
S’il fallait nommer une femme dont l’art a influencé autant d’artistes que possible, le premier qui me vienne à l’esprit est celui de Claire Wendling.

David MESSINA (Bounce, Catwoman)
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Me voilà, assis devant mon ordinateur, à la recherche d’une formule bien tournée. Près de moi s’élève une énorme pile d’« inspiration », dans laquelle je pioche lorsque je me sens désespérément en panne de motivation. Au sommet se trouvent deux ou trois tomes des Lumières de l’Amalou, une série publiée au début des années 90, alors que Claire Wendling avait dans les 22 ans.
Mon message ? Si, à 33 ans et alors que votre carrière est au beau fixe, vous avez besoin d’un livre réalisé par une artiste de dix ans votre cadette pour vous rappeler qu’il y a encore de la beauté dans ce monde… soit votre existence est pathétique, soit cet être de 22 ans a quelque chose de véritablement exceptionnel. Quelque chose qu’on appelle le talent. Quelque chose qu’il convient de récompenser chaque fois qu’il croise notre regard.

Matteo SCALERA (Black Science, Indestructible Hulk)
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Claire est une prodige. Son œuvre a profondément influencé la majorité des jeunes artistes et professionnels de la génération actuelle à travers le monde, et ce à bien des niveaux.
Elle ne cesse d’inspirer des illustrateurs, animateurs, designers, créateurs de comics, et même des artistes tatoueurs.
Claire est une artiste fondatrice ; j’ai toujours pensé qu’il s’agissait là d’un fait acquis. Tout le tapage entourant sa nomination pour le Grand Prix a été une surprise de la pire sorte.
Mais après tout je ne crois pas à l’importance des prix, qui ne sauraient en aucune façon définir la valeur d’un.e artiste. Je ne vais donc pas vous dire de voter pour Claire, pas plus que pour Moore ou Hermann. Une chose est sûre: ils resteront tous dans les mémoires. C’est tout ce qui compte.

Sara PICHELLI (Ultimate Spider-Man, Guardians of the Galaxy)
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La première fois que j’ai vu Les Lumières de l’Amalou, j’ai été sidéré par la beauté des illustrations de Claire Wendling, et tout ce que j’ai vu d’elle depuis n’a fait que renforcer mon admiration. Sinueuse, sensuelle, ludique, charmante, à la fois musculaire et éthérée, son œuvre donne corps au numineux – non en rendant l’onirique solide et ordinaire, mais en liant solide et onirique ensemble, afin qu’ils se mêlent et coexistent. J’ai déjà eu la chance de travailler avec des artistes extraordinaires, mais j’adorerais collaborer un jour avec elle – car son crayon donne vie à des mondes comme nul autre pareils.

Kurt BUSIEK (Marvels, Avengers Forever, Astro City)
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Pour ceux d’entre nous qui aiment les dessins alliant grâce exceptionnelle et imagination sans bornes, l’œuvre de Claire Wendling domine tous les autres. Quant aux artistes, chaque image sortant de ses doigts leur met un coup de pied au derrière pour les pousser à se dépasser.

Charles VESS (Rose, Fables: 1001 Nights of Snowfall)
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Claire Wendling mérite les honneurs, non la controverse, pour son travail. Je ne lui en veux pas de garder ses distances avec la débâcle ô combien embarrassante du Grand Prix.

Terry MOORE (Strangers in Paradise, Echo, Rachel Rising)
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Mon studio ne saurait être complet sans un livre de Claire Wendling. Son influence est partout: depuis les cursus d’animation des universités jusqu’aux yeux de jeunes enfants submergés par son sens de la fantaisie et de la couleur. L’œuvre de Claire est une étoile lumineuse guidant nombre d’artistes perdus en mer.

Sean Gordon MURPHY (Punk Rock Jesus, The Wake, Tokyo Ghosts)
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Aux États-Unis, il y a longtemps que Claire Wendling est sacrée artiste préférée des artistes. Narratrice hors pair, elle donne vie, par son tracé époustouflant, à des créations inégalées.

Joe KEATINGE (Shutter, Ringside)
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L’œuvre de Wendling est une magnifique source d’inspiration. C’est l’artiste Moritat qui m’a fait découvrir ses carnets de croquis. J’ai aussitôt été happée par son tracé gracieux, puissant et dynamique, ses animaux pleins de vitalité, ses personnages uniques au caractère bien défini.
Peu d’artistes atteignent un tel niveau d’aisance en termes de puissance et de présence organique. Elle y semble installée depuis toujours. Chacun de ses traits est parfait. Quel merveilleux talent.

Pia GUERRA (Y: The last man)
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Claire Wendling est une véritable référence parmi ses pairs. Sa contribution dans les industries de la bande dessinée, de l’animation, et du film sont incommensurables en ce sens qu’elle contribue non seulement aux projets eux-mêmes, tout en touchant aussi les artistes qui œuvrent derrière. Je doute qu’il y ait aucun artiste professionnel travaillant soit dans l’animation ou la bande dessinée qui ne la cite pas comme une source d’inspiration en ce qui concerne l’excellence artistique.

Mingjue Helen CHEN (Gotham Academy)
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Claire Wendling fait partie des grands artistes de ce monde. Point barre. Son travail ne peut pas être engoncé ou coincé dans un genre ou un style, car il échappe à toute définition et étiquette. Elle est tout simplement une créatrice transcendante parmi nous restant.

Mark CHIARELLO (Art director chez DC, Hellraiser, Batman/Houdini: The Devil’s Workshop)

Merci à Bystrouska et Roudou pour leur amicale, fidèle, et inestimable contribution au fil des années, je vous kiffe ❤ .

Comic’Gone 2015 : Interview de Jordie Bellaire (17/07/15)

Il est des billets dont on est particulièrement fière, en l’occurrence l’interview que je vous propose de lire aujourd’hui, non pas pour les questions que j’ai pu poser à Jordie Bellaire invitée par l’équipe de Comixity lors de la dernière Comic’Gone, mais surtout grâce à ses réponses, toutes plus jouissives les unes que les autres.
Il y a en effet des personnalités que l’on serait tenté de suivre jusqu’au bout du monde car au delà de leur travail au quotidien -ici publié chez un grand nombre d’éditeur selon une cadence astronomique- c’est un véritable message qu’elles parviennent à transmettre grâce à leurs interventions et leur militantisme.
Jordie Bellaire est une femme en or. Tous ceux qui on eu la chance de la côtoyer le mois dernier ne serait-ce que quelques instants ne peuvent me contredire. Et je considère d’autant plus cet entretien comme un cadeau qu’elle a su s’exprimer pleinement sur des sujets qui nous tiennent toutes les deux vraiment à cœur.

Une nouvelle fois, je tiens à remercier vivement Mathilde Tamae-Bouhon qui a eu la gentillesse de retranscrire et traduire ce long entretien en français, la version originale est disponible ici pour les amis anglophones qui ont parfois la curiosité de visiter ce blog.


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Comment avez-vous commencé votre carrière de coloriste ?

Tout a commencé quand j’ai fait la connaissance de Declan Shalvey, qui illustre actuellement Injection et Moon Knight. Nous nous sommes rencontrés à New York, et alors que nous marchions dans la rue – je venais de finir mes études en école d’art –, il m’a demandé ce que je voulais faire, à quoi j’ai répondu que je voulais être heureuse. « En gros, tu n’as pas de but », m’a-t-il dit, ce qui m’a interloquée. J’étais très pauvre à l’époque, je voulais travailler dans les comics, je dessinais, j’avais fait un cursus d’illustration… mais je ne me trouvais pas assez bonne, surtout après avoir rencontré Declan. Quand on voit en quoi consiste vraiment le travail des artistes séquentiels… je serais incapable de griffonner une moto à brûle-pourpoint, ou de dessiner une maison, juste parce que quelqu’un l’a décrété ! Alors Declan m’a demandé si j’avais déjà pensé à la mise en couleur. Je n’y avais jamais songé – on réfléchit rarement au processus de création des comics dans sa totalité, avec le lettrage, la mise en couleurs, le dessin, l’encrage… Alors j’ai décidé d’essayer, j’ai envoyé quelques pages-test, et décroché mon premier engagement avec Stephen Mooney, qui dessine Half Past Danger. On a travaillé ensemble sur une histoire courte pour Angel, le comic issu du Whedonverse ; c’était là ma première expérience. À partir de là, j’ai reçu de plus en plus de propositions. Grâce à ma formation, je connaissais pas mal de grands illustrateurs, comme Chris Samnee, Tom Fowler, Ramón Pérez… Je les connaissais de mes années d’études, et eux aimaient mes dessins, alors quand ils ont su que j’étais coloriste, ils se sont dit : « on devrait travailler ensemble ! » C’est comme ça que j’ai décollé. J’ai eu beaucoup de chance, mais je pense que cela tient principalement à ma formation d’illustratrice.

Comment se déroule une journée dans la peau de Jordie Bellaire ? Quelles sont les différentes étapes de votre travail ?

Mon processus… Tout commence bien sûr avec l’arrivée des planches de l’artiste ; en général je préfère lire le script et regarder les planches de concert, de façon à me faire une idée de leur vision à tous les deux, scénariste et artiste, plutôt que de les voir séparément, ou de lire le script sans les illustrations – je préfère tout voir ensemble. J’aime aussi demander à l’artiste comme au scénariste s’ils ont des photos qui les auraient inspirés, ou toute pensée, commentaire, les films qui les travaillent… J’adore le cinéma, alors si un artiste m’explique « je regardais Kill Bill tous les jours quand j’ai dessiné ça », je vais me dire « oh, je ferais bien de regarder Kill Bill avant de le mettre en couleur ». Après m’être ainsi échauffé le cerveau, j’envoie les planches à un flatter, qui sépare les illustrations en à-plats [en anglais flat, d’où le terme de flatter, NdlT] de couleur que je peux ensuite étalonner et corriger… Vous voyez qui est le Rocketeer, je suppose ? Un jour, j’ai envoyé des planches de Rocketeer au flatter, et quand elles me sont revenues, le héros était tout vêtu de noir, on aurait dit Dark Vador ! Évidemment, cela n’allait pas… Donc, je corrige, je colorise, j’effectue le rendu, puis j’envoie le tout pour approbation – c’est très important pour moi. Je crois que certains coloristes ne soucient pas trop de l’avis de l’artiste, mais pour moi sa satisfaction est essentielle… sans doute parce que je vis avec un artiste, et que j’en étais une moi-même au départ, je me soucie beaucoup de leur avis. Puis, une fois que l’artiste m’a donné son accord, ainsi que le scénariste, alors tout est prêt, ça passe au lettrage, et voilà !

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Est-ce que vous travaillez de la même manière pour tous les éditeurs ou devez vous vous adapter ?

Chaque projet est un peu différent, bien sûr ; je dirais que cela dépend surtout de la maison d’édition. Chez Image, c’est un peu le Far West, parce que personne n’est vraiment soumis à un éditeur, et chacun fonctionne différemment, si bien que les processus collaboratifs varient… certains sont plus mouvementés, alors que d’autres roulent tout seuls. Prenez mon travail avec Declan, par exemple : on travaille ensemble sur Injection, et là ça roule tout seul, parce qu’on a déjà fait Moon Knight avec Warren [Ellis]… bon sang, on a fait tellement de choses ensemble, avec Declan… on a aussi fait Deadpool… Du coup, Injection, ça roule. Autre exemple : They’re Not Like Us, avec Simon Gane, et Eric Stephenson au scénario – là encore, ça roule tout seul, parce qu’on est tous en phase. Nous n’avions jamais travaillé ensemble, mais le premier numéro s’est mis en place tout seul, direct.

À côté de cela, il y a d’autres maisons où il faut passer par un éditeur ; là, j’envoie les couleurs séparément à l’éditeur, qui les envoie ensuite à l’artiste. Je n’aime pas trop quand la communication est ainsi interrompue, je préfère m’adresser à l’artiste directement. C’est sans doute la seule vraie concession, le pire frein en terme de processus.

Je cherche un autre exemple de collaboration fluide… Pretty Deadly, tenez, là encore, ça roule tout seul, nous sommes en train de préparer le second volume, qui doit sortir à l’automne. On vient de mettre en place quelques pages d’aperçu, après un an d’interruption… je m’inquiétais un peu, maintenant que nous avons une éditrice – à vrai dire c’est notre deuxième, nous en avions déjà une autre [Sigrid Ellis] avant –, je craignais que cela entrave un peu notre processus… Mais c’était génial, parfaitement organique, comme avant. J’ai envoyé toutes les pages, qui ont été approuvées, elle est contente, moi aussi, tout le monde est content – c’est dans la boîte. C’est magique. Quand les comics se font tout seuls, comme ça, c’est le paradis.

Ma réponse est un peu longue, désolée !

Savez-vous exactement combien de titres vous avez colorisé jusqu’à maintenant ? Comment faites-vous pour travailler sur autant de titres à la fois ?

06-journey-into-mysteryCela fait maintenant… quatre ans, je crois, que je travaille comme coloriste ? J’en ai colorisé beaucoup, même si je ne saurais dire combien exactement. Honnêtement, je n’arrive plus à compter… Au moins une centaine, peut-être plus, deux cents… En particulier si on compte les couvertures indépendamment des intérieurs, à ce moment-là ça fait beaucoup, à n’en pas douter. Par mois, je colorise généralement entre dix et douze titres – je me garde habituellement de le dire, c’est une info secrète ! Certes, c’est coton, mais certains titres sont plus faciles que d’autres… Je n’ai pas de vie. Je passe mes journées assise, chez moi, à mettre en couleurs, jour après jour, mais le jeu en vaut la chandelle, car j’adore tous les titres sur lesquels je travaille, ils me passionnent, qu’il s’agisse d’Injection, de Pretty Deadly, ou encore de They’re Not Like Us.

Mais, oui, si on compte douze titres par mois, peut-être, et qu’on multiplie par vingt-quatre, c’est ce que je fais à l’année. Les bonnes années ! Parfois c’est pire, j’en fais encore plus… Jamais moins. Je suis très occupée.

Pouvez-vous me parler de votre initiative “Comics are for everybody” ? Savez-vous quelle en a été la portée ?

J03-marae ne sais pas trop comment cela a été reçu. Je crois que cela a bien pris sur Twitter, on a vendu beaucoup de t-shirts, tous les profits sont allés à une œuvre caritative pour les femmes, V-day [un organisme luttant contre les violences envers les femmes et les jeunes filles].

Je ne sais pas si vous en avez entendu parler en France, mais il y a un t-shirt qui avait fait parler de lui, avec une phrase idiote sur le café, qu’est-ce que c’était déjà… « I take my fangirls the way I take my coffee… I fucking hate coffee ! [Mes fangirls, je les prends comme mon café… putain, je déteste le café !] » Et quand j’ai vu ce slogan… À vrai dire, notre t-shirt était déjà prévu depuis un moment, j’en avais discuté avec Steven Finch, qui s’était occupé du design ; il signe le design de Saga, Nowhere Men, They’re Not Like Us, Injection, il est génial [et mieux connu sous le pseudonyme de Fonographiks]. Nous parlions déjà de faire ce t-shirt, parce que j’en avais tellement ma claque de voir les femmes se sentir mises à l’écart de cette industrie, tout comme les jeunes enfants, les personnes trans… Je m’en suis remise depuis, mais quand j’ai vu ce foutu t-shirt, j’ai renversé une table, j’ai fait ma Liz Lemon dans 30 Rock, mon sang n’a fait qu’un tour !

On a donc mis en ligne notre t-shirt, et je crois que ça a pris immédiatement, les gens ont été ravis de se le procurer. Je suis très heureuse de voir des auteurs tels que Kieron Gillen, Scott Snyder, Fred Van Lente, et même Greg Pak il me semble, se l’approprier. Ils font l’effort de le mettre pour aller aux conventions, quand ils donnent des conférences, où ils savent qu’ils seront vus. Et c’est vraiment agréable de voir ces hommes blancs faire ce geste, parce que bien sûr, comme on le dit souvent, seuls les hommes blancs peuvent faire entendre leur voix ; alors c’est agréable de les voir se mobiliser, en tant qu’hommes blancs, et dire « nous soutenons cette initiative, et tout le monde devrait le faire. » Cela marche bien, je suis vraiment enthousiaste.

Je ne sais pas si je devrais vous le dire, mais allez : j’en ai discuté récemment avec Eric Stephenson, l’auteur de They’re Not Like Us et de Nowhere Men [et directeur exécutif d’Image Comics], parce qu’Image s’est montré d’un grand soutien également, même s’il s’agit bien sûr d’une initiative indépendante, dont nous avons pris soin qu’elle ne soit liée à personne en particulier ; nous voulions juste transmettre un message. Mais Image va adopter notre slogan à l’avenir. C’est génial : Image sera à présent responsable de sa distribution, ce sera toujours lié à une œuvre de charité – laquelle, nous n’en sommes pas encore sûrs. Mais je suis enthousiaste, car Image est un éditeur qui a le vent en poupe, qui sait vraiment tirer son épingle du jeu, et avec eux derrière, ça va être génial. J’ai hâte de voir le slogan apparaître dans les fascicules d’Image, lors des conventions… qui sait jusqu’où ça ira ! Je suis confiante, je pense que c’est une phrase qui va faire son chemin. C’est cool.

Il existe d’autres mouvements qui cherchent à promouvoir la diversité dans les comics, tels que “We are comics” ou le “Women read comics in public too”, pensez-vous qu’un jour cette diversité devienne réellement acquise au sein de l’industrie ?

tumblr_nkad1ssLrw1u5shugo2_500J’aime à le croire, oui, je pense que pour l’heure on a identifié le problème. Je ne vais pas prétendre réciter les statistiques par cœur, parce que je risque de m’emmêler les pinceaux, mais ce que je sais, c’est que les créateurs noirs sont effroyablement peu nombreux ; je sais que les créateurs asiatiques sont effroyablement peu nombreux ; je sais que la proportion de créateurs trans est épouvantablement ridicule, et quant aux créateurs gays… Honnêtement, c’est à peine si la communauté gay et trans existe dans le milieu des comics ! Bien sûr, il y a plein d’artistes indés, qui se battent de toutes leurs forces pour publier leur travail par eux-mêmes… mais si vous regardez du côté de Marvel et de DC, jamais ils n’engagent ce type de talents de façon pérenne, ou alors seulement sur des petites choses, des anthologies féminines… Alors, oui, j’aime beaucoup les anthologies féminines, j’aime beaucoup les annuels qui mettent en avant les femmes, mais j’ai vu plein de femmes engagées pour ces seules anthologies chez Marvel, et jamais pour un ongoing du même Marvel… Alors, oui, l’intention est bonne, mais quand même… Je ne comprends pas pourquoi un homme ou une femme trans, ou gay, ou une femme d’origine asiatique par exemple, ne disposent pas encore de leur propre titre, à l’année.

J’aimerais pouvoir vous dire que les choses s’arrangent ; prenez par exemple la liste des Eisner Awards de l’année dernière, c’était merveilleux, tout ce talent féminin, c’était énorme, incroyable… Les choses sont donc en train de changer, lentement, mais à côté de cela, il y a encore tellement d’hommes pour dire « je ne vois pas pourquoi on en fait tout un plat », ou « qu’est-ce que ça peut bien leur faire, aux femmes, si ça ne leur plaît pas, elles n’ont qu’à créer leurs propres comics ! » Et franchement, tenir ce genre de discours, ça n’apporte rien au débat. Ça devrait être pour tout le monde, parce que les comics, c’est pour tout le monde, tout simplement ! J’espère que cela va s’arranger.

Tenez – je peux me montrer un peu défaitiste, parfois – j’ai eu récemment vent d’une histoire qui m’a chagrinée, au sujet d’une immense auteure, dont je tairai le nom, mais qui a été très agacée de se voir poser une question du type « Sans vous demander ce que ça fait d’être une femme dans les comics, qu’est-ce que ça fait, d’être une femme ? » Et il s’agit de quelqu’un de très célèbre, dont je ne saurais même pas vous citer les accomplissements tellement ils sont nombreux, et elle disait « franchement, on est en 2015, quand est-ce qu’on va nous lâcher avec ça ? » Vous croyez que ça passerait, si quelqu’un demandait « et qu’est-ce que ça fait d’être un Noir dans les comics ? » Personne n’oserait dire ce genre de conneries ! Et quand bien même, s’il fallait le demander… non, sérieux, ne posez jamais ce genre de question ! [rire] Contentez-vous de soutenir ces créateurs, soyez heureux de voir une telle diversité !

Je ne sais pas, parfois je me sens découragée. Je vois du changement, mais je vois aussi beaucoup de recul, hélas souvent du fait de l’ignorance, je pense, parce que les gens ont vécu si longtemps d’une certaine manière qu’ils ne voient pas le besoin d’en changer… et tout cela est bel et bon, mais assez naïf, aussi. Or, on ne peut pas progresser si on est entouré de gens naïfs qui tirent tout le monde vers le bas ; il faut se montrer radical, enthousiaste ! Si vous pensez être en position de force, en tant qu’auteur, engagez une artiste féminine ; si, en tant que scénariste blanc, vous avez le sentiment de n’écrire que des personnages blancs, alors, essayez d’élargir votre éventail… Une autre race, ce n’est pas si difficile ! Il y a tellement de gens qui se demandent « mais comment on écrit les femmes ? » Ce n’est pas difficile, vous savez, elles disposent des mêmes éléments de bases que les personnes normales ! [rire] J’aimerais voir les gens s’aventurer hors de leur zone de confort, parce qu’on a vraiment besoin de plus de titres comme Ms. Marvel, qui est arrivé de nulle part et a rencontré un succès incroyable, pour de bonnes raisons… Saga, pareil, venu de nulle part, énorme succès… Encore un autre : The Wicked and the Divine ! Voilà un titre qui célèbre toutes sortes de gens, dans leur diversité, et là encore, avec beaucoup de succès… Et Kieron Gillen ne se contente pas de réécrire sans cesse les mêmes personnages ; et même si G. Willow Wilson écrit sur un sujet qui lui est proche, pour le lecteur, c’est totalement inédit. Et tout cela, c’est très important. Plus on verra d’histoires différentes, qui ne se content pas de suivre un homme blanc sur le chemin de l’héroïsme, de recycler sans cesse le même concept, et plus on attirera un lectorat nombreux et varié. Et, de fait, ça fera changer l’industrie derrière, du moins je l’espère…

Encore une fois, toutes mes excuses pour cette longue réponse, c’est un sujet qui me tient à cœur !

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Quelles sont les auteures féminines dont vous suivez actuellement la carrière ?

Pour être honnête, je suis terriblement occupée, ce qui me laisse peu de temps pour lire, mais si je devais citer mes auteures préférées… Kelly Sue DeConnick, bien sûr, parce qu’elle est géniale ; G. Willow Wilson, bien sûr, géniale aussi ; ce sont mes deux chouchous… Il y a Kate Leth, aussi, elle est en train de monter en puissance : elle écrit Edward Scissorhands [Edward aux mains d’argent] et Bravest Warriors il me semble, c’est une personnalité jeune et pétillante, j’aime beaucoup sa plume. Sinon… oh, bon sang, qui… j’ai un trou, désolée. C’est mon trio de tête, mais il y en a une… Je sais qu’Emma Rios a commencé à écrire ; je n’ai encore rien lu d’elle en tant que scénariste, j’ai hâte, elle est si talentueuse… Oh, Ming Doyle ! Ma toute meilleure amie dans le milieu, je l’adore, j’ai tellement d’affection pour elle. Elle écrit Constantine, et ça déchire, elle est formidable, je sais qu’elle l’écrit en tandem avec quelqu’un [James Tynion IV], mais je suis persuadée qu’elle est parfaitement capable d’écrire toute seule, j’ai hâte de voir où elle va aller, parce qu’elle un sacré cerveau, très fécond. Oh, elle est si brillante ! Becky Cloonan aussi, bien sûr, j’adorerais voir Becky écrire en solo ; je sais qu’elle travaille en tandem [sur Gotham Academy] avec Brenden Fletcher, qui est génial. Mais, voyez, c’est un autre point qui m’agace : tous ces titres avec des héroïnes, écrits par des femmes en tandem avec des hommes… J’aime beaucoup toutes les personnes impliquées, mais je ne puis m’empêcher de tiquer : les femmes n’ont pas besoin qu’on leur tienne la main… donnez-leur leur propre bouquin, merde ! Je vous assure qu’elles en sont capables ! Mais bon, je comprends, et j’espère qu’à l’avenir on n’aura plus besoin de les encadrer ainsi…

Enfin bref, voilà les femmes qui font vrombir mon moteur,  qui me font tripper. Mais j’entends sans cesse de nouveaux noms… et pas seulement des femmes. Là encore : j’aimerais voir toutes les minorités représentées, afin qu’elles ne soient plus dans la minorité, justement. J’aimerais pouvoir vous citer un ou une auteur gay, mais je ne suis même pas sûre de le pouvoir, car ils sont si peu nombreux dans le milieu… J’aimerais pouvoir citer un ou une auteur trans, mais je ne suis pas sûre d’en connaître. C’est… ça me met en rogne. C’est comme pour les réalisatrices, il y en a si peu de connues ; Kathryn Bigelow est la plus célèbre, je suis fan, mais… j’en veux plus. J’aimerais tellement que vous me demandiez « Jordie, qui sont tes auteures préférées » – même si j’espère qu’on n’en sera plus à poser ce genre de question dans dix ans, bien sûr, mais j’aimerais alors pouvoir citer tellement de femmes, avec des lesbiennes, des noires, des lesbiennes noires, toutes sortes de femmes… Mais pour l’heure, c’est tout juste si on peut citer dix auteures blanches vraiment géniales. J’en veux plus… Donnez-m’en plus ! C’est tout ce que je demande : qu’il y en ait plus.

Comic’Gone 2015 : Interview de Sabine Rich (27/06/15)

L’édition 2015 de la Comic’Gone m’a permis de rencontrer une artiste dont je suivais le parcours depuis un petit moment déjà, grâce à ses diverses couvertures chez Zenescope et Aspen Comics, ainsi que ses magnifiques illustrations d’héroïnes via son DeviantArt.
Sabine Rich 
est une habituée des plus grosses conventions de comics aux Etats-Unis et au Canada, tels que C2E2, la SDCC, ou FanExpo, ce qui permet à ses nombreux fans outre atlantique de lui demander des commissions toutes plus fabuleuses les unes que les autres.

Travaillant principalement à l’aquarelle, cette artiste franco-britannique totalement autodidacte a oeuvré comme dessinatrice et coloriste dans divers domaines tels que les livres pour enfants et les jeux vidéos. Ses couvertures pour Aspen, Zenescope et BlueRainbow l’ont faite connaitre du grand public, et ce que je peux dire c’est que sa gentillesse et sa bonne humeur n’ont d’égal que son talent.

Voici donc une interview exclusive, où Sabine revient sur son parcours, ses influences et ses goût artistiques, et finit tout simplement par nous donner les quelques ingrédients qui aboutissent à une parfaite héroïne de comics.

Comic’Gone 2015 : Interview de Sara Pichelli (19/06/15)

J’ai donc eu le privilège la semaine dernière de pouvoir m’entretenir avec quatre artistes fabuleuses, qui par l’ampleur de leur travail dans leurs disciplines respectives, et la portée de leurs actions au sein de l’industrie, représentent parfaitement cette génération de femmes qui évolue actuellement dans l’univers des comics.
Commençons par (il me semble) la plus connue d’entre elles, dont certains d’entre nous sont capables de braver une file d’attente de plusieurs heures pour obtenir un sketch.
Sara Pichelli est une artiste des plus généreuses et spontanées qui malgré la fatigue d’une première journée bien remplie s’est prêtée au jeu de répondre à mes petites questions avec beaucoup d’humour et de franc-parler, évoquant sa fulgurante réussite, son implication dans le collectif Truckers, et son statut d’artiste féminine.

My Batgirl is French : Interview de Bengal (08/05/15)

Bengal fait parti de cette vague d’auteurs français que les éditeurs américains convoitent actuellement, et DC Comics ne s’est pas trompé en lui laissant la lourde tache d’illustrer Batgirl Endgame, un numéro uniquement construit sur l’image et sans aucun dialogue, un exercice des plus difficiles où le dessinateur a parfaitement réussi à rendre dynamique le récit de Cameron Stewart et Brenden Fletcher.

Entre deux projets des plus alléchants, Bengal a eu la grande gentillesse de m’accorder une interview où il revient sur son entrée en scène dans la BD américaine, son attachement pour Batgirl et Spider Gwen, et son sentiment sur les coups d’éclat qui secouent régulièrement les réseaux sociaux concernant la représentation des héroïnes de comics.

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Salut Bengal, je suis vraiment ravie que tu aies accepté cette petite interview pour le TLGB d’autant plus que je me doute que ton emploi du temps est très chargé actuellement.
Est-ce que tu pourrais te présenter à nos lecteurs, nous raconter tes débuts et décrire ton parcours ?

Hello ! Je suis donc auteur de BD depuis plus ou moins 1998, et de comics désormais depuis l’année dernière ; j’ai également été designer pour le jeu vidéo il y a longtemps, et illustrateur de temps à autre.

J’ai évidemment commencé à dessiner quand j’étais pas bien grand, puis j’ai continué pendant toute mon adolescence, jusqu’à rencontrer, à 19 ans, JD Morvan et tout l’atelier 510 TTC lors d’une dédicace ; à partir de là je suis resté en contact avec eux et j’ai monté mon premier projet BD avec JD, chez Glénat, en 1998, projet qui malheureusement prendra 6 ans à se faire difficilement. Dans le même temps je me suis retrouvé à travailler donc comme designer dans un studio français, Darkworks, jusqu’en 2004, avant de reprendre la BD avec Meka chez Delcourt, puis Naja chez Dargaud, etc.

Comment t’es tu retrouvé à travailler dans le milieu des comics, il me semble qu’à la base tu es plutôt un grand amateur de manga et de bande dessinée européenne, n’est-ce pas ?

J’ai eu une éducation de lecture à la BD européenne, par la grande collection de mon père, puis je me suis mis au manga à l’adolescence, et c’est encore ce que je lis le plus de très loin, en effet ; mais j’avais aussi plein de Strange et autres périodiques du genre quand j’étais petit, et j’ai donc une vision bien spécifique des superhéros, je ne sais pas trop ce qui s’est passé pour eux depuis 30 ans, et je pense que du coup ça me permet d’aborder leurs aventures d’une manière un peu spéciale, avec d’un côté des habitudes de narration plutôt manga/BD, et de l’autre une vision un peu arriérée et naïve des personnages, et il se trouve que le résultat semble convenir chez les éditeurs US, donc on va continuer comme ça !

10403169_332408470242625_628287754325524834_nEst-ce que tu peux nous raconter comment l’aventure Batgirl a démarré ? Étais-tu familier avec le personnage ? Comment as tu collaboré avec Cameron Stewart et Brenden Fletcher sur Batgirl Endgame ?

Je me suis intéressé de nouveau à Batgirl pour la première fois depuis la fin du dessin animé Batman (celui designé par Bruce Timm) quand je suis tombé sur le relooking fait par Cameron Stewart l’année dernière. J’ai trouvé la logique de design excellente, le résultat bien équilibré, avec des lignes de costume nettes, simples et dynamiques, et un petit air global de Fantômette rafraîchissant ; j’ai ensuite découvert la nouvelle série et le boulot de Babs Tarr, et j’ai bien aimé la direction que prenait cette nouvelle Batgirl.

Dans la même période, je découvrais donc aussi les quelques images qui commençaient à traîner de Spider Gwen, et j’ai absolument adoré le costume : j’ai donc dessiné un fan art, pour le plaisir.

Il s’avère que la Bat Team (Cameron & Brenden) tombèrent sur mon dessin de Gwen et me demandèrent si je serais intéressé de faire un truc dans le même genre pour une variant cover pour Batgirl : évidemment j’ai sauté de joie, surtout qu’on m’a laissé faire ce que je voulais comme composition, et j’ai pu faire la cover du numero #37.

À partir de là, ça s’est enchaîné simplement : la Bat Team, satisfaite de la couverture, m’a proposé de dessiner le Endgame, à partir du script pas entièrement découpé (la deadline approchait à grands pas), avec la charge donc de construire toute la narration (silencieuse) par moi-même, ce qui m’a donné l’opportunité de leur montrer que j’en étais capable et d’y mettre ma manière de faire. J’ai pris un plaisir fantastique à le faire et je suis très heureux de l’accueil que le bouquin a eu, et c’est grâce à ça qu’on a tout de suite parlé de ce que je pourrais faire ensuite!

DSCN0156Tu sembles être très à l’aise pour représenter des héroïnes jeunes et graciles, qu’est-ce qui t’intéresse vraiment dans ce genre de personnage en particulier ?

Dans l’absolu, tous les personnages m’intéressent, mais je ne sais pas tous aussi bien les faire, tout simplement. J’adore par exemple les vieux compères de la BD “Les Vieux Fourneaux”, mais je ne serais pas très doué pour faire de tels personnages ; ou encore, j’adore des personnages comme Hulk, mais beaucoup d’auteurs le feront bien mieux que moi.

Il y a beaucoup de personnages que j’aimerais savoir faire, car j’adore les lire. Il s’avère que je me débrouille sur les personnages féminins, je vise à toujours les faire à la fois attirantes et élégantes, c’est comme ça que je les aime, donc voilà ; après, peu importe leur caractère, ça m’intéresse tout autant de travailler sur Wonder Woman que sur Batgirl, il y a une très grande variété parmi les héroïnes “jeunes et graciles” et c’est leur caractère propre qui les définit le plus, au fond, et ça influence ma manière d’aborder chacune.

Il y a justement une certaine levée de bouclier de la part de certains mouvements -que je ne peux pas qualifier de féministes car pour moi elles ne le sont clairement pas- vis à vis de la représentation des femmes dans la BD américaine, peux-tu nous dire quel est ton sentiment à ce sujet ?

Tout d’abord, je suis effaré par un fait aussi étonnant qu’écrasant de nos jours : c’est à quel point chacun devient nombriliste sur le net. C’est sidérant. Tout le monde pense que son opinion fait oeuvre de loi, et du coup, tout le monde pense que SES problèmes sont les problèmes du reste de l’humanité entière. Je ne comprends pas ce prisme qui déforme la perception qu’on a des autres individus sur le net, comme s’ils n’étaient que des PNJ dans un jeu où on est le seul joueur humain, je ne comprends pas ce comportement qui en découle. Je ne veux pas être méchant, mais je ne considère pas que chaque individu a un truc intéressant à dire ; tout le monde a le droit absolu de s’exprimer, bien entendu, mais il est impossible d’écouter tout le monde, puisque les avis des uns marcheront toujours sur les avis des autres, et beaucoup de monde n’a rien à dire, rien d’important.

Du coup, certains s’inventent des problèmes qui n’en sont pas, au lieu d’aller s’attaquer à de vrais problèmes. Comment peut-on faire un scandale à propos d’une case ou une couverture de comics, au lieu d’aller, pour des raisons semblables et à plus juste titre je trouve, faire un procès aux sites porno, ou à la condition des femmes dans certains pays, j’en passe et des meilleures? Les ‘social warriors’ ont peut-être de bonnes intentions mais mènent des combats bien inutiles je trouve, peut-être parce qu’ils sont plus faciles à mener que les vrais combats. Et le net leur sert de porte-voix, et du coup on les entend très fort alors qu’on a pas forcément envie de les écouter.

Les questions qu’ils soulèvent peuvent tout à fait être valables, parfois, mais ce n’est pas en cherchant le diable là où il n’est pas, et en demandant le bûcher pour des innocents, qu’ils feront avancer l’équité et une meilleure perception des genres, des races et des orientations de chacun ; je crois qu’ils ne font que créer encore plus de séparation entre les gens. Il suffit de voir comment les auteurs de comics ont même commencé à se diviser (Le cas Cho versus Rodriguez, entre autres), alors qu’on n’a jamais eu autant de diversité de produits dans les comics, pour à peu près tous les lectorats imaginables…
C’est bien triste.

Question à 2 € : Batgirl ou Spider Gwen ? Pourquoi ?

Les deux. J’avais dit pour mon poisson d’avril que j’avais obtenu un scenario avec les deux en tandem pour une aventure, ce qui est bien improbable évidemment, mais je te dis pas comment je serais heureux de le faire en vrai !

J’ai un petit amour supplémentaire pour Batgirl quand même, puisque j’ai eu la chance de faire un peu mieux connaissance avec, c’est naturel, on est plus proches.

As-tu le droit de me dire quels sont tes futurs projets sur le marché US ? En dehors de Marvel et DC as tu été sollicité par d’autres éditeurs tels qu’Image Comics ou IDW par exemple ?

Je viens de finir un GotG team-up pour Marvel, c’était très fun et ça m’a changé de mes habitudes! J’attaque les pages pour le Batgirl Annual dont j’ai déjà fait la cover, et j’ai déjà plusieurs options pour la suite. Je n’ai malheureusement pas le droit de trop en dire, certaines idées sont encore en discussion, mais DC et Marvel me proposent des trucs inrefusables et c’est autant un problème qu’une bénédiction, j’aimerais pouvoir tout faire !

Si tout se passe bien, l’Annual ne sera pas la dernière fois que je dessine Batgirl… Mais il ne faut pas le répéter ; et c’est à confirmer avec mes potes de la Bat Team.
Il y aura d’autres trucs plus tard chez un autre éditeur en effet mais je ne peux pas encore dire quoi !

batgirl-annual-3-2015Serais-tu intéressé par l’opportunité de faire du creator-owned directement pour le marché américain ?

C’est déjà prévu et en pré-développement, mais chut !

Nous nous sommes rencontrés à l’occasion du dernier TGS du mois de novembre 2014, et je ne sais pas si tu te souviens, mais la première fois que je t’ai vu, tu accompagnais Claire Wendling jusqu’à votre hôtel où je me trouvais en compagnie des auteurs invités.
Claire est une légende vivante, comment l’as tu rencontré ? Peux tu nous dire ce qu’elle représente pour toi en tant qu’artiste ?

Ah, Claire Wendling. Je vais pas être bien original : j’en suis hardcore fan depuis ses premiers trucs chez Delcourt, et elle a beaucoup influencé mon dessin à un moment ; elle a participé à me faire redescendre de ma passion trop exclusive pour les manga et à jeter à nouveau un œil à ce qui se passait chez nous, il y a une vingtaine d’années. “Les lumières de l’Amalou” et ses carnets de croquis m’ont littéralement giflé.

C’est grâce à internet qu’on a copiné ; c’est assez naturel que les dessinateurs, artistes, etc, se rapprochent les uns des autres, et avec internet c’est devenu simple, et on est tous en contact avec beaucoup d’autres artistes, mais c’est vrai que Claire et moi sommes devenus bons amis, enfin il me semble. On a parlé de beaucoup de choses, on s’est échangé des p’tits trucs pour le dessin (enfin, elle a tout à m’apprendre en dessin, je reste à ma place hein, disons que j’avais modestement 2-3 trucs à partager pour la couleur en échange) ; l’émulation, ça rapproche énormément, et on partage le même avis pour beaucoup de choses.

Bref, on est potes, j’ai beaucoup de chance ; et au dernier TGS, on savait qu’on arrivait par le même train, donc on s’est choppé à la gare !

Tu as annoncé il y a peu de temps via ta page Facebook que certaines de tes planches seraient disponibles à la vente via le prestataire Cadence Comic Art, qui distribue également les travaux originaux de grands noms des comics tels que Becky Cloonan, Sara Pichelli, Jeff Lemire, Emma Rios, David Messina, Jill Thompson, David Lloyd… à vrai dire la liste est tellement longue que je ne peux décemment pas énumérer tous ces talentueux artistes ici…
Peux-tu nous expliquer comment s’est déroulée cette opportunité de vendre et partager tes travaux au plus grand nombre, et pourquoi as-tu choisi ce prestataire plutôt qu’un autre ?

Vu que je suis nouveau dans ce business, j’avoue ne pas connaître grand monde côté galeries et ventes d’originaux ; j’ai donc essayé d’en vendre tout seul sur ma page FB et twitter, j’en ai vendu une paire…

Et là, Cadence Comic Art, que je ne connaissais pas encore, m’a simplement contacté et demandé si je serais intéressé de lui confier mes originaux ; il y a quelques bons amis chez Cadence (Sara, Becky, David, Rafael…) donc j’ai dit oui, très reconnaissant, et heureux de les rejoindre !

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions, il me tarde de découvrir tes prochains travaux 🙂

Merci à toi, j’ai hâte de m’attaquer à la suite, je dois avouer !

Spider Gwen Bengal

Des Comics et des Femmes : Entretien avec Linda Lessmann et Elsa Charretier (17/06/2014)

Choses promises choses dues, voici la vidéo (en deux parties) de ma petite intervention aux côtés des deux artistes incroyables que sont Linda Lessmann et Elsa Charretier sur le thème de la place des femmes dans les comics, cela s’est déroulé samedi dernier à la Fnac Bellecour de Lyon dans le cadre de la Comic’Gone (dont vous aurez un compte rendu très bientôt).

Ce fut une très belle expérience pour moi, pouvoir poser toutes ces questions à ces deux femmes de grand talent était un honneur et je remercie encore les organisateurs de ce festival de m’en avoir donné l’opportunité.
Je remercie aussi chaleureusement Audrey qui a eu la gentillesse de filmer tout ça alors qu’elle n’était vraiment pas obligée.

Enjoy 🙂

TGS Springbreak 2014 : Interview de Stéphanie Hans et Gérald Parel (14/05/2014)

Deuxième vidéo mise en ligne par les copains d’Hype Média, qui nous propose aujourd’hui l’interview et Stéphanie Hans et Gérald Parel, ce fut un moment très agréable passé auprès de deux grands artistes, j’espère que cet entretien vous apprendra à mieux les connaitre 🙂

The Infinite Loop : Interview d’Elsa Charretier et Pierrick Colinet (03/05/2014)

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Et bien voilà, c’est le grand jour. Je ne suis pas en train de parler du Free Comic Book Day, bien que cela soit très important, mais du lancement aujourd’hui du projet d’Elsa Charretier et Pierrick Colinet intitulé The Infinite Loop via la plateforme de financement participatif Ulule. Ce projet me tient à cœur pour plusieurs raisons : déjà le thème principal est une histoire d’amour entre deux femmes qui vont lutter de toutes leurs forces pour rester ensemble coûte que coûte. Mais c’est également un comics de science fiction qui parle de voyages dans le temps… Et puis, il y a les deux auteurs, Elsa et Pierrick sont certes au début d’une longue et passionnante carrière, mais ils n’attendent pas pour s’engager sur des thèmes aussi primordiaux que l’homophobie. Et oui, qui a dit que les hétéros ne sont pas capable de faire aussi bien que nous pour véhiculer ce message ? En tout cas moi ça me donne du baume au cœur. Et pour finir, il y a les dessins bien sûr ! Le crayonné d’Elsa, d’une finesse toute féminine accompagné par une colorisation en double teinte nous transporte dans cet univers futuriste à la fois urbain et aérien (à la vue des trois premières pages dévoilées aujourd’hui) et donne une vraie identité à ce projet exceptionnel.

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Si je n’ai pas réussi à vous convaincre, allez quand même jeter un œil sur la page Ulule consacrée à The Infinite Loopet regardez l’interview d’Elsa et Pierrick que j’ai réalisé avec l’équipe d’Hypemédia lors du derniers Toulouse Game Show, cela vous donnera une idée beaucoup plus concrète sur les motivations et le talent de ces deux artistes à la carrière très prometteuse.

Witchblade #170 : Interview de Laura Braga (30/10/13)

Au risque de me répéter un petit peu (mais que voulez-vous à mon âge, c’est un détail que je préfère éluder !), l’une des plus belles et des plus enrichissantes expériences que j’ai le bonheur de vivre depuis que j’ai lancé ce blog est de pouvoir entrer en contact avec des artistes hors du commun, dont le talent devrait être connu de tous, et qui méritent complètement tout le bien qui leur arrive sur le coin de la figure, tout simplement parce qu’ils ont travaillé dur pour cela. Laura Braga fait partie de ces artistes dont la gentillesse, la disponibilité et la modestie m’ont laissé sur le carreau. C’est donc un véritable honneur pour moi que de vous proposer cette interview, le jour de la sortie de ce 170ème numéro de Witchblade, dont elle est désormais la dessinatrice régulière aux côtés d’un scénariste culte de retour sur un personnage qu’il a grandement contribué à devenir ce qu’il est.

Je ne remercierai jamais assez Jessica pour la merveilleuse traduction des mes questions en Italien, tu es formidable et je te dédie cette interview :).

1208868_761323303893723_1930185771_nBonjour Laura, une fois encore je tenais à te remercier pour m’avoir donné l’opportunité de te poser quelques questions concernant ta carrière et ton travail sur Witchblade, les lecteurs du blog aiment déjà ton style et sont très impatients de voir comment toi et Ron Marz allez reprendre la suite de cette formidable série !

Ma première question va être très simple : même si j’ai déjà fait ta présentation dans un précédent article, peux-tu tout de même nous expliquer comment tu es parvenue à être celle que Top Cow a choisi pour illustrer la suite des aventures de Sara Pezzini, héroïne emblématique de l’éditeur, aux côtés d’un des meilleurs scénaristes de sa génération ?   

Un bonjour à toi , Camille, et à tous les lecteurs de Lesbian Geek. Tout a commencé l’année dernière quand j’ai décidé de proposer quelques planches à Top Cow avec leurs personnages. Totalement par hasard, alors que je travaillais sur ces planches, Ron Marz a remarqué mon travail sur mon site et m’a contacté sur twitter. C’était vraiment une énorme surprise, j’ai toujours été une fan de Ron depuis l’époque de Crossgen et son premier run sur Witchblade. Peu de temps après, j’ai été contactée par Top Cow pour dessiner quelques pages d’après un scénario de Ron Marz. Tout cela s’est passé tellement vite qu’aujourd’hui je réalise à peine !

Quels genre de BD lisais-tu enfant ? Tu avais déjà une culture comics ou uniquement européenne ?

Enfant, j’aimais les bandes dessinées, les livres et tout ce qui était illustré et coloré. La toute première bande dessinée que je me souviens avoir eu entre les mains est « Mickey Mouse« , mon grand-père me l’achetait chaque semaine, si je me souviens bien, même avant que j’apprenne à lire. J’ai grandi avec la bande dessinée et les personnages de Disney, d’où mon amour pour ceux-ci même en devenant plus « adulte » (en 2003, j’ai suivi les cours de l’Académie Disney de Milan).

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J’ai vu que tu avais collaboré avec Milo Manara, quel impact artistique a t-il eu sur ton travail ?

Travailler avec Milo Manara a été très important pour moi surtout pour me rapprocher d’un style de dessin plus réaliste. Jusque-là (en 2005), je travaillais principalement avec un style plus « dessin animé » destiné à de l’édition pour enfants, donc avec un style très différent de l’actuel. Travailler aux côtés de Milo Manara m’a permis de connaître et d’apprécier un style plus proche de ce que j’ai adopté et développé depuis.

Connaissais-tu Witchblade et son héroïne lorsque Top Cow t’as engagé sur la série ? D’ailleurs comment s’est déroulé cette embauche ?

Je connaissais Witchblade parce que c’était l’un des premiers « comics » que j’ai lu, j’ai toujours été une fan de Sara Pezzini, donc c’était encore plus beau et passionnant quand on m’a demandé de travailler sur cette série. La proposition est venue après avoir dessiné une histoire courte de Witchblade écrite par Ron Marz (et mon tout premier travail pour Top Cow). L’e-mail que j’ai reçu racontait ceci :  » Laura, souhaitez-vous devenir la dessinatrice régulière de Witchblade aux côtés de Ron Marz  ?  » La réponse était évidente … 🙂

WB17007_LauraBragaComment travailles-tu ce personnage avec Ron ? Personnellement, quelle est ta vision du personnage ?

Travailler avec Ron Marz est tout simplement parfait ! C’est un grand écrivain, attentif à chaque détail ainsi qu’au dialogue et à l’échange avec le dessinateur. Dès le début, ça a été tellement naturel de dessiner ses histoires, j’imagine tout de suite ce qu’il dit dans le détail.

Ron Marz est un scénariste réputé pour mettre en valeur ses personnages féminins et en faire des héroïnes fortes et profondes. Es-tu sensible à cette vision ?

Absolument, je pense qu’il a une vision de la femme très actuelle et surtout je pense que c’est une des raisons pour lesquelles le personnage de Sara Pezzini a été un grand succès.

Avec quels autres scénaristes souhaiterais-tu travailler ? Y a t-il des scénaristes féminines dont tu aimes le travail et avec qui tu souhaiterais collaborer si tu en avais l’occasion ?

J’ai vraiment aimé travailler sur le scénario de David Hine pour l’histoire courte  » Heart of Darkness « , publié dans The Darkness # 114, j’aimais dessiner les personnages de CYBERFORCE  d’après le scénario de Marc Silvestri, et c’était génial de travailler avec Ben Abernathy qui a écrit l’histoire de mon premier Motion Book qui sera publié très prochainement chez Madefire. Ce qui est sûr, c’est que j’aimerais avoir l’occasion de travailler à nouveau avec eux.

Tu as également une carrière européenne, as-tu des projets de ce côté de l’atlantique ou te concentres-tu pour le moment sur ta carrière américaine ?

Pour le moment mes projets sont seulement Américains. Je suis vraiment intéressée par le marché français pour qui j’ai déjà travaillé au cours des dernières années, mais comme coloriste. Mon cœur est certainement lié artistiquement vers l’Amérique et la France.

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Tu fais partie de ces nombreux artistes européens à avoir une carrière aux Etats Unis, quelles sont les avantages et les inconvénients de travailler pour un éditeur américain par rapport à un européen ?  

En ce qui concerne mon expérience (en prenant en compte seulement des Etats-Unis et de la France) je ne trouve pas de réel inconvénient dans ces situations, mais que des avantages : ce sont tous les deux des marchés très importants et professionnels, où il y a une véritable culture de la bande dessinée. Peut-être pour moi, c’est juste un peu plus facile de travailler avec les Etats-Unis, mais pour une raison très triviale : Je ne parle pas français!

Quels conseils donnerais-tu à une femme qui souhaiterait faire carrière dans les comics où dans la bande dessinée ?

Ce serait probablement le même conseil que je donnerais à un garçon, parce que dans ce domaine comme dans tous les autres, les femmes n’ont pas moins de capacité ou de possibilité de réussir. En général, il s’agit d’un secteur difficile et comme tous les domaines artistiques, il faut beaucoup de détermination, de passion et BEAUCOUP DE TRAVAIL. Personne ne naît en sachant naturellement dessiner, mais c’est avec le travail et la passion que vous pouvez obtenir des résultats d’une grande qualité.

Miss Deeplane : Interview de Louis (02/04/13)

Lorsque l’on me demande ce que m’a apporté le TLGB depuis bientôt trois ans, je réponds toujours la même chose : ce sont les rencontres exceptionnelles (réelles ou virtuelles) que j’ai pu faire grâce à lui, par le biais des festivals et des conventions ou plus simplement par mail ou à travers les réseaux sociaux, du lecteur novice ou averti à l’artiste en herbe ou mondialement connu, nombreux sont ceux qui ont exprimé jusqu’ici un message de sympathie et de soutien envers ce blog un peu particulier et loin d’être parfait, mais dont la sève de la passion pour les comics coule dans chaque billet avec plus ou moins de réussite.

Lorsque Louis, l’auteur de Tessa Agent Intergalactique m’a contacté une première fois par mail en juillet dernier, c’était pour me dire « bravo » et me proposer de faire un cameo sur le blog dans sa prochaine création, Miss Deeplanecomme ça tranquille. Après m’être fait pipi dessus, je lui ai avoué toutes mes lacunes en BD Franco Belge, puis j’ai découvert l’univers de cette héroïne aux multiples facettes, diablement sexy aux premiers abords mais surtout terriblement touchante. J’ai bien évidemment été conquise. Ainsi pendant des semaines et de façon régulière, Louis m’a fait parvenir ses planches, me montrant les aventures de la Miss et moi les attendant comme on attend un nouvel épisode de Game of Thrones.

Parce que Miss Deeplane a un petit quelque chose en plus, ce que vous apprendrez en lisant cette interview, et parce que j’ai senti que son auteur était un artiste sincère et engagé comme j’ai rarement eu l’occasion de connaitre, l’occasion était trop belle pour vous livrer une interview qui je l’espère sincèrement saura vous inciter à acheter cet album.

Miss Deeplane sort le 18 avril prochain aux éditions Clair de Lune et c’est une très belle BD mélangeant science fiction, humour et sensualité, tout cela enrobé d’un message des plus sérieux, bref tout ce que l’on aime ici au TLGB.

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Bonjour Louis, pour commencer je te remercie de m’accorder cette interview à l’occasion de la sortie de ton nouvel Album, Miss Deeplane qui il me semble est une héroïne que tu as créé il y a pas mal de temps déjà n’est-ce pas ?

Bonjour Miss K! Merci à toi de m’avoir proposé cette interview ! Alors, oui. Miss Deeplane existe depuis bientôt 14 ans! C’est un perso que j’avais créé pour feu, le magazine « Dixième Planète ». Un magazine sur les produits dérivés ciné, tv, bds etc. Toï, son side Kick bleu était arrivé quelques temps après. Dans l’ours du magazine j’étais indiqué comme « papa de Miss Deeplane ». Du coup, j’ai intégré cela dans la bd, ou je suis son « papa ». Je suis moi même un perso récurrent de mes BD. Ha ha ha. Pour revenir à la miss, à l’arrêt de magazine, j’ai gardé les droits visuels du perso, mais je n’avais pas le nom. J’ai pu le récupérer enfin quelques années après, et je suis enfin propriétaire à 100% des deux persos, et de l’univers créé, car j’ai tout déposé à l’INPI. Donc, c’est un cas un peu particulier dans le monde la bd, car contractuellement, l’éditeur ne détient les droits avec moi que de ce one shot. Pas des persos. C’était une condition sine qua non pour moi. C’est mon premier perso, je ne voulais pas le partager.;) C’est ma fille après tout, merde! ha ha ha. Sérieusement, toute ma carrière découle de Miss Deeplane, qui était la « pré Tessa ». Donc si certains trouvent que Miss Deeplane ressemble à Tessa, c’est en fait l’inverse ! Ha ha ha.

Je sais que tu es un autodidacte, mais comment as tu démarré ta carrière de dessinateur ?

Justement grâce à Miss Deeplane, qui a été mon tremplin. Mais j’avais fais quelques illustrations avant, comme dans le zine « Le Grimoire », ou quelques illus. C’est grâce aux débuts d’internet que j’ai pu avoir mes premières commandes, car toutes les portes étaient restées fermées, sinon. Et de file en aiguille, de fanzines, en prozines, puis en magazines, j’ai gravis très lentement tous les échelons, à force de travail et de remise en question. ET puis j’ai fini par démissionner de mon travail de prof de physique appliquée et d’électrotechnique en 2000. Je salue mes anciens élèves ici, que je garde toujours quelque part au chaud. Super expérience de vie !

Les lecteurs de BD Franco Belge te connaissent bien grâce à Tessa Agent Intergalactique, tu sembles avoir un penchant pour les héroïnes sexy au caractère bien trempé… d’ailleurs as-tu un modèle où une héroïne de prédilection en tant que lecteur ? 

C’est vrai qu’on me dit souvent que je dessine des nanas aux attributs bien affichés, mais ca vient de ma culture comics, d’une part, et d’autre part, il est vrai que je prends moins de plaisir à dessiner des boudins. p8ha ha ha. Je dis souvent qu’un dessinateur « caresse »ses premiers seins sous son crayon. C’est vrai. On ne peut pas dire « n’y voyez pas là le fantasme de l’auteur », car, à la base, c’est cela. Une version fantasmée de la femme. C’est vrai aussi pour les hommes que je dessine. D’ailleurs. Mon modèle de prédilection pour l’héroïne  Je dirais Kitty Pride. C’est toujours la première qui me vient en tête. Même si ce modèle est celui que j’avais ado. Je dirais que c’est affectif, parce que maintenant je dirais plus Power Girl, ha ha ha;) C’est l’homme qui parle, plus l’adolescent qui trouvait en Kitty Pride la copine fantasmée, de son âge. Maintenant, ma Kitty Pride, c’est ma femme. C’est d’ailleurs, de facto, ma super héroïne de prédilection !

On te sent très influencé par la culture comics, d’où vient-elle et que lis-tu en ce moment ?

Ma culture comics me vient de mon grand frère. Il a 10 ans et demi de plus que moi( un demi de taille quand j’en avais 9 et demi, et qu’il est partit voler de ses propres ailes). Pendant que je lisais Pif, puis le journal de Spirou, lui lisait Strange et compagnie, et je suis tombé dedans comme cela. Je lisais les collections de mon frère. C’était un trésor à mes yeux. En ce moment, je ne lis plus les X-Men, et depuis longtemps, alors que c’était mon groupe fétiche, mais principalement les New Avengers, et Avengers, alors que je détestais Captain America enfant. Je n’aimais que Iron Man, de ce groupe. Je lis aussi Spidey, toujours. En version terre 616 et Ultimate. La Bat Family, Green Lantern, Walking dead, Justice League, et j’en oublie. Plus les event Marvel. Et Captain America, depuis Brubaker.

Ce qui est frappant aussi lorsque l’on regarde tes planches c’est le nombre incalculable de caméos et de clins d’œil que tu as l’habitude de faire envers des lieux, des personnages, ou des artistes (et même des blogueuses !) et tu sembles beaucoup t’amuser à les insérer. Est-ce que tu as une idée précise de qui tu vas « poker » longtemps à l’avance ou tu joues la carte de la spontanéité ?

Les deux ! Certains sont prévus de longue date, comme la double page hommage aux super héros français, ou le costume de spidey dans la poubelle. D’autres, en fonction des rencontres, comme une célèbre blogueuse !

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Sur cet album tu as travaillé avec ta femme Véronique, vous faites partie de ces couples dessinateur/coloriste que l’on retrouve parfois dans la bande dessinée, je pense à Mike et Laura Allred, ou Mitch et Elizabeth Breitweiser qui oeuvrent dans le milieu des comics, comment se déroule votre collaboration ? Est-ce plus évident de travailler avec la personne avec laquelle on vit, plutôt qu’un artiste avec qui on correspond par mail ou par téléphone ?

p17C’est forcément plus évident, au bout d’un moment. Ça a été compliqué quand elle s’est lancée, car étiquetée « femme de ». Mais maintenant, son talent parle pour elle, et c’est plus facile, surtout pour elle ! Nous, on a trouvé nos marques, et ça roule tout seul. On se comprend, et je lui laisse carte blanche, sauf sur des détails, ou des points en rapport avec le scénario, la mise en scène, bien sûr. Mais on peut dire qu’on est dans des chaussons, façon Bidochons épanouis de la BD;) On aime la routine, dans le sens positif du terme. On est des marmottes  et on s’épanouis dans notre terrier. Donc, c’est une façon de bosser idéale pour nous, mais on se rends souvent compte que ça effraie les gens. La première question est souvent: »ohhhh ce n’est pas trop difficile de bosser en couple?  » Ben non, pas pour nous. Ni pour pas mal de couple en BD, d’ailleurs.

Nous nous connaissons depuis peu mais j’ai pu découvrir à plusieurs reprises que tu faisais partie de ces artistes très impliqués pour la cause LGBT, ton héroïne est bisexuelle et ses paroles sur son identité sexuelle au début de l’album sonnent très juste. Ma question a deux euros est la suivante : pourquoi avoir choisi de faire de Miss Deeplane une représentante de la communauté LGBT  ?
Ce n’est pas du tout une question à deux euros, puisque c’est un des éléments de base de l’album, et du personnage principal. Le thème principal de cet album est de jouer avec les identités. Publique, secrète et sexuelle. Les deux premières étant constitutives de la notion et du thème des super héros, la seconde étant plus sociétale. Le fait est que c’est tombé pendant l’actualité du mariage pour tous, et que ça a été un bon moyen pour moi de prendre position, comme la fin de l’album le montre. Maintenant, ce sujet, est un sujet qui touche, et dans une plus large mesure, la tolérance, et l’acceptation des différences, est un de me thèmes récurrents à travers mes scénarios. (Certains disent scenarii, je préfèrent le pluriel de scénario). Si j’ai aussi choisi ce thème en particulier, de la bisexualité, c’est parce que j’avais envie d’aborder le thème de l’identité sexuelle dans un de mes albums. J’aurai pu opter pour l’homosexualité, mais la bisexualité permet de questionner à la fois les hétéros, et les gays et lesbiennes, parce qu’il est une chouille encore plus complexe. Pas question de tirer la couverture d’un côté ou de l’autre, mais quitte à parler de tolérance, autant essayer de parler au plus grand nombre. D’un côté, il y a des homophobes, et c’est connu, mais de l’autre, bon nombre de gars et lesbiennes considèrent les bisexuels comme des gays/lesbiennes non pas refoulées, puisqu’ils/elles ont tester, mais non assumés. Tu vois ce que je veux dire? C’est aussi une forme d’intolérance qui refuse la fait qu’il n’y ai pas à trancher, d’un côté, ou d’un autre, puisque c’est la particularité de la bisexualité. Un autre point que je voulais clarifier sur la bisexualité était la fidélité  Un bisexuel n’est pas plus infidèle qu’un hétéro, ou un gay/lesbienne. Il ou elle est amoureux, point. Le fait que j’aborde ce sujet est aussi dû au fait que même si les différences sexuelles sont mieux acceptées de nos jours, faire son coming out est toujours aussi compliqué dans certaines familles, certains milieux, et je trouve très courageux de pouvoir le faire. Certains ne le peuvent toujours pas, au risque de perdre leurs familles. Devoir choisir entre son identité sexuelle, et sa famille est un dilemme qui confine à la torture au quotidien. Je voulais parler cela aussi. Et comme le dit Miss Deeplane, après tout, qu’est ce que cela peut bien faire ce que l’on fait dans lit, et avec qui ? On ne demande pas à un hétéro quels sont ses jeux, parce qu’il est hétéro. Alors qu’une fois au lit, il se fait peut être tacler les fesses, ou gifler en se faisant traiter de tous les noms, et j’en passe. Mais parce que l’étiquette est hétéro, on passe à autre chose. Alors que si on est lesbienne, Gay, Bi, ou trans, on a l’étiquette au dessus de la tête, et les gens ont des images qui vont avec. Je ne te fais pas de dessin, mais tu vois de quoi je parle. Maintenant, pour conclure, je dirais qu’un auteur parle toujours un peu de lui et de ce qu’il connait, ou aimerait connaître, dans ses bds, par opposition, ou transcription. Si tu trouves que ce que je dis sonne juste, et j’en suis très touché, et bien… C’est sûrement que je connais le sujet, et je suis ravi d’avoir visé juste alors. Maintenant, certains vont du coup se dire: « Alors, ça veut dire quoi? Il en est le Louis ou pas? » Indice de réponse, je suis marié de 7 ans, et en couple avec la même femme depuis 11 ans. Ensuite, si des gens veulent imaginer sur moi ce qu’ils souhaitent pour les 31 années précédentes… Grand bien leur fasse, je ne trancherai pas, sinon je dénaturerais le propos de Miss Deeplane qui est de dire: Ce qui est de la sphère privée ne regarde que les protagonistes, et évitons les cases. Que je sois donc hétéro, ou Bisexuel ne regarde que moi. C’est donc l’un, ou l’autre, à chacun de choisir si ça lui fait plaisir. Je n’ai pas de problème avec mon image. il n’y a que deux solutions. Ou je suis hétéro, et si on me me pense Bi, je m’en fous. Ou je suis Bi, et je me fous aussi de ce qu’on pense. Le but de ce message, de cet album, est que les gens s’acceptent comme ils sont, sans savoir ce qu’ils font au lit les uns les autres. Par contre, dans cet album, je fais un vrai coming out. Mais sur une autre facette de ce que je suis. Bi, oui, mais Bipolaire. J’avais envie de parler de ça, aussi. De dire que c’est un syndrome complexe, compliqué, et qui complique la vie au quotidien, de celui qui l’a, mais aussi de l’entourage. Mais qu’on peut apprendre à vivre avec, dans une certaine mesure. Pour le coup, ceux qui ont vus les deux derniers épisodes de la série Homeland, saison 1, peuvent se dire que c’est une très bonne illustration de ce qu’est un, ou une, Bipolaire. J’ai longtemps hésité à le dire, et à en parler, parce que c’est un peu le terme à la mode dans le showbizz en ce moment. On a l’impression que tout le monde est Bipolaire. Je ne sais pas pour les autres, mais l’étant moi même, j’avais envie, au delà du fait de le dire, de l’expliquer un peu. De le montrer. Et de le dire. C’est le conseil que je peux donner aux gens qui sont diagnostiqué Bipolaires. En parler avec son entourage, l’accepter. C’est le début pour vivre avec ce syndrome  On n’en guérit pas, on apprends à vivre avec, c’est tout. Mais c’est déjà beaucoup. Et en parler, c’est aussi, voire surtout, pour ménager ses proches. Bref, quoiqu’on soit, la base, c’est de s’accepter, et c’est le message de Miss Deeplane. Bisexuel, Bipolaire, ou je ne sais quoi… Soyez vous mêmes, dans la mesure de vos possibilités, et que vous puissiez le crier sur les toits, ou pas, vivez heureux.
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Quels sont tes projets à venir ? Une suite pour Miss Deeplane est-elle prévue ?

Des projets, j’en ai plein! En cours, ou à venir, et dans plusieurs styles différents! Un peu plus réaliste et sombre avec Sylvain Runberg au scénario, chez Le Lombard, pour un diptyque qui s’appellera « Drones ». Un gros one shot avec Jérôme Félix au scénario, chez Bamboo, qui est une fable romantique rurale, et plus semi réaliste graphiquement. Bien sûr, le dernier tome de Tessa avec les amis Mitric et Lamirand, aussi. J’ai un album en fin d’écriture très dur, très sombre, très glauque, dans la collection 1800. Je finis aussi Khaal, avec Valentin Sécher, bien sûr, et la fin du spin off de Tessa, « Ultime étoile », avec Jull. J’ai d’autres choses dans les tuyaux, mais je ne peux pas encore en parler. Et pour Miss Deeplane alors? Et bien le but était d’en faire un one shot. Une vraie histoire complète, hommage au genre du super Héros. Si le succès est au rendez-vous, on reverra surement la miss, tôt, ou tard. J’ai mis 13 ans, depuis sa « naissance », avant de pouvoir lui donner à nouveau vie en BD, je peux attendre 13 ans de plus. Je le répète, je suis propriétaire du perso, puisque je l’ai déposé à l’inpi, et ce one shot est une cession ponctuelle à l’éditeur qui a fait ce one shot. Je peux en faire d’autres avec qui je veux, quand je veux;) Donc…

Les super-héroïnes ou la libération de la femme : Interview de Xavier Fournier (19/02/13)

TextoMalheureusement on ne peut pas être partout. Et je dois dire que je suis vraiment déçue de ne pas pouvoir être du côté de Rouen le samedi 2 mars, lorsque Xavier Fournier dirigera sa conférence sur les super-héroïnes, une animation organisée par le réseau des bibliothèques de la Ville de Rouen dans le cadre d’une thématique autour des super-héros dont vous pouvez voir le programme ici. Alors à défaut d’être là, je tenais tout de même à faire un petit coup de projecteur sur cette si belle initiative, mettre en évidence les femmes dans le milieu des comics est tellement rare surtout auprès d’un large public que cela mériterait une standing ovation à la fin de cette conférence (si vous y allez, faites-la pour moi !) L’occasion m’a semblé idéale pour demander un petit entretien à Xavier, véritable puits de science sur les comics et qui aurait beaucoup à m’apprendre dans mon domaine de prédilection.

Bonjour Xavier, merci beaucoup de m’accorder cette petite interview, je sais que tu as un emploi du temps très chargé mais je ne pouvais pas manquer de te poser quelques questions à propos de cette conférence sur les super-héroïnes, tout d’abord peux tu nous dire qui a eu l’excellente idée d’organiser une conférence sur un tel sujet, et comment vas-tu orienter ton propos ?

Bonjour Katchoo et merci de t’intéresser à cette conférence sur les super-héroïnes. Elle se place dans le contexte de nombreuses animations, expositions et interventions que les bibliothèques de la ville de Rouen organisent en ce début 2013. L’été dernier, Samuel Mabire, qui supervise le projet, m’a contacté pour m’en parler et me demander d’y participer en animant une intervention. D’emblée c’était intéressant parce qu’une ville comme Rouen s’intéresse au sujet… J’ai vu d’ailleurs passer un édito du maire, Yvon Robert, dans lequel il parle du rêve collectif de devenir super-héros. A une époque pas si lointaine on ne risquait pas de voir les institutions aller dans ce sens ! Donc l’idée était d’emblée séduisante, j’ai dis oui et quelques temps plus tard Samuel Mabire est revenu vers moi en me demandant si j’étais d’accord pour parler des super-héroïnes. Certaines de ses collègues se demandaient en effet s’il n’y en avait que pour les hommes dans ces univers. Et comme la conférence se déroule (le 2 mars prochain) à quelques jours à peine de la Journée de la Femme, celà faisait sens. D’autant que je suis assez pour que les organisateurs proposent des angles, ça m’évite de toujours refaire la même conférence sur l’histoire des super-héros. Sur l’orientation précise du propos je veux pas trop déflorer la chose. Mais globalement j’espère montrer la complexité du message véhiculé par ces héroines. « Complexe » dans le sens où certaines d’entre elles véhiculent plus de choses qu’on pourrait le croire. « Complexe » aussi parce qu’il n’est pas rare qu’une héroïne lancée avec les meilleures intentions du monde en vienne à représenter le contraire…

Wonder Woman 1941-01

Beaucoup d’auteurs de comics ont trouvé leur inspiration auprès des femmes qui ont partagé leur vie. Je pense notamment à William Moulton Marston et Wonder Woman, Jack Kirby et Big Barda, ou encore Michael Kaluta et Madame Xanadu. On peut donc penser qu’ils rendaient en quelque sorte hommage à leur plus fidèle soutien en créant ces femmes aux pouvoirs extraordinaires, non ?

Je pense, moi, que la chose vraiment étonnante est que si PEU d’auteurs « ont trouvé leur inspiration auprès des femmes ». A priori nous vivons dans un monde mixte et je me suis même laissé dire que les femmes sont légèrement plus nombreuses sur Terre que les hommes. Quand on y regarde bien la parité n’est pas de mise dans les comics. Ceci dit ce n’est pas propre aux comics : La femme dans la BD est bien souvent considérée comme une minorité ! L’univers de Tintin n’a guère que la Castafiore. Mais dans pas mal d’équipes classiques de super-héros, il y a une femme pour quatre ou cinq héros. Bien sûr la petite proportion de femmes parmi les auteurs explique une partie du problème. Mais à une époque le lectorat aussi avait une activité de censeur. Les jeunes lecteurs de comics étaient majoritairement des garçons. Pas question de « jouer à la poupée ». C’est un peu caricatural mais il ya de ça… Beaucoup de tentatives de lancer des super-femmes se sont soldées par des échecs parce que le public masculin ne voulait pas en entendre parler. Pour ce qui est de ta sélection elle est intéressante mais je pense que sur ces trois-là seul William Moulton Marston avait réellement une volonté d’explorer la place de la femme. Quand on y regarde bien Jack Kirby a produit assez peu d’héroïnes dans sa carrière. Sif et Big Barda sont plus affirmées qu’Invisible Girl ou Beautiful Dreamer mais dans l’ensemble le King laissait la femme dans une position de second rôle. Michael Kaluta a bien créé le design de Madame Xanadu mais je pense que le décideur dans l’affaire était le scénariste, David Michelinie, qui a d’ailleurs fait des choses assez intéressantes avec les femmes. C’est, par exemple, le co-créateur de Bethany Cabe, la petite amie/garde du corps d’Iron Man à la fin des années 80. Avant ça un des principaux architectes de la féminisation dans les comics est le scénariste Otto Binder, créateur de Mary Marvel, Miss America, Merry the Girl of 1000 Gimmicks ou encore Supergirl (joli palmarès!). Mais il y a des raisons diverses selon les époques. A certains moments les éditeurs avaient conscience d’avoir fait le plein en lecteurs masculins et espéraient conquérir un nouveau lectorat (féminin) en introduisant des filles. A d’autres époques, plus simplement, il s’agit de jouer sur le sex-appeal. Parfois il s’agit d’un hommage, oui, mais la chose reste peu répandue…

On cite souvent Power Girl comme étant l’archétype de la super-héroïne source de fantasmes auprès des lecteurs masculins, est-ce que c’est un passage obligé pour ce genre de personnage d’être en premier lieu considéré comme objet de désir plutôt qu’un symbole du féminisme ?

Je pense que l’archétype principal de la super-héroïne source de fantasmes auprès des lecteurs masculins reste Wonder Woman, ne serait-ce que parce qu’elle est la plus connue. Ironiquement WW est aussi l’objet de fantasmes et d’un phénomène d’identification avec le grand public féminin. Beaucoup de jeunes filles ou jeunes femmes savent qui est Wonder Woman même si elles n’ont jamais lu une de ses aventures. Elle a un côté « Girl Power ». Power Girl est déjà plus un personnage de « niche », connu par les lecteurs de comics. Ce qui est intéressant c’est qu’elle a d’abord été créée comme une réaction à Supergirl, qui était jugée trop potiche. Dans l’univers alternatif de Terre-2 on a décidé que Kara Zor-L serait une forte tête et qu’elle ne céderait pas un pouce devant les hommes. Mais le scénario n’avait pas anticipé que l’encreur de l’épisode, Wally Wood, amateur de jolies filles, accentuerait la poitrine du personnage. Ce qui donne lieu à un paradoxe intéressant : Power Girl fait tout pour montrer qu’elle n’est pas une potiche mais la plupart des hommes (à l’intérieur des comics mais sans doute aussi à l’extérieur) ont invariablement les yeux fixés sur sa capacité pulmonaire. En un sens (et c’est souligné dans plusieurs épisodes) Power Girl sort renforcée de cette situation. Elle est symbole de féminisme mais ceux qui se rabaissent en la considérant seulement comme objets de désir ce sont les hommes qu’elle croise. En un sens c’est parce qu’ils se comportent ainsi qu’elle est renforcée dans sa démarche.

JSA - Power Girl 1976-01

Les lectrices de comics ont souvent été plus attirées par des titres non super-héroïques, comme ceux de Vertigo par exemple, car elles rejettent notamment l’image de la super-héroïne dont le costume ne fait que quelques centimètres carrés afin de mieux révéler leurs atouts. Comment t’y prendrais-tu pour convaincre une lectrice de se pencher sur le cas de personnages comme Sara Pezzini, Star Sapphire, ou l’héroïne d’Empowered ?

She-Hulk 1999-01Je ne sais pas si les lectrices de comics sont souvent plus attirées vers les publications de Vertigo. Je ne suis pas au courant d’études statistiques dans ce sens. Très franchement les personnages féminins de Fables ou de Fairest, séries par ailleurs excellentes, sont souvent des top-models « à forte poitrine » et leurs atouts sont apparents. Ce que je crois, par contre (mais ce n’est qu’un avis personnel), c’est que le fantasme héroïque, chevaleresque, résonne plus dans l’imaginaire masculin. Batman, Superman et les autres (y compris Power Girl et ses consoeurs) tentent de résoudre les problèmes de la société à coup de poing. Donc je crois que c’est plus les limitations d’un certain fonctionnement super-héroïque qu’elles rejettent plus qu’un décolleté. Ironiquement j’ai souvenir d’avoir vu beaucoup de lectrices suivre les aventures de Fathom, Witchblade ou Danger Girl il y a une quinzaine d’années parce qu’elles les percevaient non pas comme des bimbos mais comme des femmes fortes, par opposition aux super-héroïnes classiques. Sara Pezzini, oui, un certain nombre d’épisodes la montrent avec une tenue déchirée (mais en un sens comme She-Hulk) seulement il y aussi bien des épisodes de Ron Marz où elle n’est pas déshabillée, ou on est plus dans une sorte de Seven gothique. Green Lantern Star Sapphire 1970-1Star Sapphire je crois qu’elle aurait le potentiel d’être une autre Power Girl et je ne comprends d’ailleurs toujours pas pourquoi et comment DC Comics ne lui a pas donné sa série (qui aurait plus de sens que les Red Lanterns). Ce qui me fait tiquer chez Star Sapphire, ce n’est pas son costume mais plus la mentalité de fond de cette armée rose dont les membres n’existent que pour « aimer » (y compris de façon perverse) les Green Lanterns. On en arrive à une femme surpuissante donc la seule fonction vitale semble d’être de former un couple avec Green Lantern. Ca aurait besoin d’être « updaté ». Empowered est une série qui assume son côté potache. Maintenant voilà… Je me demande s’il serait plus simple de convaincre une nouvelle lectrice de lire Ms. Marvel, Scarlet Witch, Wasp…

Qu’est-ce qui différencient les super-héroïnes du Silver Age à celles que l’on rencontre aujourd’hui ?
Ben ca revient à peu près à ce que je disais tout de suite. Un bon nombre d’héroïnes classiques du Silver Age ont pour pouvoir… de se faire oublier ! Marvel Girl peut soulever de petits objets par la pensée. Invisible Girl peut… disparaître. La Guêpe peut devenir microscopique. La Sorcière Rouge utilise des pouvoirs qu’elle ne comprend pas et qui ne servent pas à grand chose (en tout cas à l’époque). Clairement on est avant la libération de la femme ! De nos jours Tornade, Malicia et de nombreuses autres héroïnes n’ont rien à voir avec les potiches des années 60…
Penses-tu que les femmes scénaristes sont plus à même de créer ou de mieux mettre en valeur une super-héroïne ?
Pas forcément. Disons que les résultats peuvent être assez divers en la matière. Tout comme un scénariste masculin peut totalement se planter en écrivant les aventures d’un surhomme. Je ne crois pas à un certain déterminisme qui ferait qu’on serait forcément doué pour écrire des personnages du même sexe ou de la même origine. Sinon il faudrait forcément des auteurs noirs pour écrire des héros noirs, puis des auteurs kryptoniens pour écrire Superman… Il y a des femmes qui ont écrit de très bonnes séries « féminines », je pense en particulier à Gail Simone sur Birds of Prey (qui me semble pourtant moins inspirée sur Batgirl). Inversement le passage de la romancière Jodi Picoult sur Wonder Woman a été une catastrophe. Si on me donne à choisir entre la Wonder Woman de Picoult et celles de Greg Rucka, Phil Jimenez ou Brian Azzarello le choix est vite fait, désolé Jodi ! Et Batwoman est assez bien écrite par un homme. Par contre, comme je le disais plus tôt, il est vrai qu’une plus grande proportion de femmes à l’écriture équilibrerait sans doute certaines choses et pas seulement sur des séries solo d’héroines. Bien que je ne sois pas super-convaincu par les Avengers Assemble de Kelly Sue Deconnick, je pense que si plus de femmes écrivaient des séries de groupes majeurs ca réglerait certaines choses. Ce ne serait pas toujours la Sorcière Rouge qui se ferait posséder, par exemple. Mais on pourrait aussi parler de la reconstruction de la Guêpe après qu’elle soit devenue une femme battue. Les scénaristes mâles, à l’usure, ont reformé plusieurs fois son couple comme si de rien n’était. Si une femme s’était occupée de la destinée de la Guêpe dans les années 90, je crois que qu’Hank Pym ne s’en serait pas tiré à si bon compte. Cataloguer les femmes scénaristes aux seules séries solo d’héroïnes reviendrait à créer un ghetto. Mais leur donner plus de séries de groupes (et là aussi on peu parler de Gail Simone, avec Secret Six) permettrait de diversifier les comportements. Et puis ce serait bien qu’on laisse une femme écrire un des crossovers annuels de Marvel ou DC. Là aussi ça changerait certaines choses…
Scarlet Witch 2010-01
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Quel est pour toi la super-héroïne idéale, et parmi toutes tes années de lecture quelle super-héroïne t’as le plus marqué ?
Je n’en ai pas une seule et unique. Dans le sens où on n’attend pas la même chose d’une femme (quand bien même fictive) selon qu’on a 8, 19 ou 40 ans… Forcément plus jeune j’ai fais partie de la « génération Jean Grey » parce que DC était publié anarchiquement par Arédit et Sagédition. Donc Marvel (grâce à Lug) dominait… A l’époque où j’ai commencé à lire, les Fantastiques étaient déjà partis dans des albums plus chers et trimestriels. C’était moins feuilletonnant… Bref. Presque mathématiquement Jean Grey, alias « Strange Girl », était la seule femme dans les X-Men mais aussi la seule héroïne publiée dans les pages de la revue Strange. Je crois qu’on ne pouvait pas y couper à l’époque. 71VALK01Après est arrivée la Veuve Noire dans les aventures de Daredevil. La Valkyrie (Défenseurs) et Power Girl (JSA) avaient autant de caractère que si on avait transplanté le cerveau de Ben Grimm dans le corps d’une Barbie, ce qui était intéressant en termes de dynamique. En dehors de l’importance « historique » de Jean Grey je ne sais pas trop si une super-héroïne m’a vraiment marqué. Une super-héroïne idéale ? Aujourd’hui je te dirais Prométhéa sans doute… Sinon je trouve dommage que Marvel n’ai pas su gérer Malicia sur le long terme (dans les années 80 elle était régulièrement élue comme deuxième personnage préféré de l’éditeur !). Et j’ai aussi un regret qui vaut pour Marvel, DC ou même les labels les plus petits : le fait qu’à chaque fois qu’on nous montre un cercle des personnages les plus intelligents de l’univers en question (à part un épisode où Médusa débarque presque par erreur chez les Illuminati), il n’y a que des hommes. Chez les Vengeurs ou chez la Justice League, quand il faut parler techno c’est l’affaire des hommes. Ce serait bien qu’on en arrive à des super-femmes capables de tenir tête à Mister Fantastic ou Iron Man, qui ne se contenteraient pas d’aller faire du shopping tandis que les hommes bossent au labo…
Cette conférence se déroulera donc le samedi 2 mars à 15 heures à la Bibliothèque Simone-de-Beauvoir de Rouen (Pôle culturel Grammont), tous les détails sont disponibles sur la page Facebook de cet évènement. J’espère que vous serez nombreux à y participer et surtout n’hésitez pas à venir en parler ici si le coeur vous en dit. Il est fort possible qu’une retranscription vidéo soit disponible dans un futur plus ou moins proche, ce dont je me ferai un plaisir de partager bien évidemment !

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Paris Comics Expo : Interview de Guillem March (01/11/12)

Chose promise chose due les enfants, voici la retranscription de l’interview que nous avons fait BTO et moi de Guillem March lors de la Paris Comics Expo, comme je le disais précédemment, nous nous sommes assis en face d’un artiste très posé et sympathique qui a eu la gentillesse de nous parler de ses divers travaux, passés et futurs, tout en revenant à ma demande sur sa vision conceptuelle de la féline de Gotham. Je ne pourrai jamais assez remercier Bystrouska qui nous a accompagné pour jouer les interprètes et qui en plus a retranscrit ce que vous êtes sur le point de lire. You rock Girl !

Pourriez-vous vous présenter à ceux qui ne vous connaissent pas ?

Je m’appelle Guillem March, je suis un artiste espagnol résidant sur l’île de Majorque. Je travaille principalement pour DC Comics, pour qui j’ai dessiné notamment CatwomanGotham City SirensBatman, et à présent Talon.

 J’ai cru comprendre que vous étiez autodidacte ; quelles sont vos influences ?

En tant que dessinateur de comics, j’apprécie particulièrement les artistes faisant preuve d’un style libre, mais également emprunt d’un certain classicisme, voire d’un certain académisme. J’aime les artistes au trait puissant, comme Joe Kubert, Neal Adams – ce sont le genre d’artistes que j’aime observer afin de trouver ma propre voie. Voilà pour ma façon de dessiner. En tant que lecteur, en revanche, j’ai des goûts bien plus vastes : j’aime lire de tout, du manga japonais à la bande dessinée, en passant par l’underground américain… Mes influences ne se limitent donc pas aux comics ; j’essaie de garder l’esprit ouvert.

 Comment avez-vous été amené à travailler pour DC Comics ?

J’ai rencontré mon actuel éditeur, Mike Marts, lors de la Ficomic de Barcelone. Il a parcouru mon portfolio, mon travail lui a plu, et j’ai donc commencé à travailler avec lui dans l’univers de Batman. J’ai donc toujours travaillé avec le même éditeur, et j’en suis ravi.

 Quels ont été jusqu’à présent la rencontre ou l’événement majeur qui ont le plus marqué votre carrière ?

Je pense que je viens justement de répondre à cette question, puisqu’il s’agit de ma rencontre avec Mike Marts lors de cette convention. J’ai alors commencé à travailler pour DC, sur Batman… Un de mes premiers projets pour eux a été l’illustration de deux numéros de Batman, ce qui est plutôt énorme pour un nouveau venu. Toute de suite après, j’ai été amené à travailler sur Gotham City Sirens, alors une nouvelle série. C’est important, pour un jeune artiste, de travailler sur les débuts d’une série, car cela en fait « votre » série. C’est donc ma rencontre avec Mike Marts qui m’a permis d’entrer dans le milieu des comics.

 Parmi les différents scénaristes avec lesquels vous avez travaillé, avec lequel vous êtes-vous le mieux entendu, artistiquement parlant ?

La plupart des scénaristes avec lesquels j’ai collaboré se sont montrés très encourageants, je pense. J’ai aimé travailler avec chacun d’entre eux. Nous correspondons habituellement de façon directe, par email. Judd Winick, en particulier, m’a été d’un grand soutien sur Catwoman, en me donnant régulièrement son avis sur mon travail. J’entretiens également une excellente relation avec James Tynion IV, le scénariste de Talon, nous échangeons beaucoup d’idées sur ce personnage. Je n’ai donc jamais eu de problème avec mes scénaristes. Il arrive parfois qu’un auteur tarde à rendre son script, ce qui raccourcit mes délais, mais c’est très rare.

Pouvez-vous nous parler de votre dernier artbook, Muses à gogo ?

C’est un livre que j’auto-publie. J’ai créé un projet sur la plateforme Verkami, un site comparable à Kickstarter qui permet de financer directement les projets. Il s’agit d’un recueil d’esquisses faites sur mon temps libre, augmenté de dessins faits spécialement pour les personnes ayant participé au financement.  J’aime beaucoup l’idée de voir collectés des dessins, qu’il s’agisse des miens ou de ceux d’autres artistes, sous forme de livre. Maintenant que j’ai les fonds, le livre devrait voir le jour d’ici quatre ou cinq mois ; j’espère pouvoir le vendre lors de conventions, par exemple. Il ne sera pas disponible en librairie, mais uniquement par mon biais.

 Quel est le travail dont vous êtes le plus fier actuellement ?

Je suis très fier de mon travail sur Azrael, un personnage pas très connu de l’univers de DC Comics. Ce sont des numéros que je trouve très réussis, avec un scénario de qualité et des thématiques plus matures qu’on n’en a l’habitude chez DC. Malheureusement ces numéros n’ont jamais été publiés en recueil, mais ils contiennent sans doute ce que j’ai fait de mieux jusqu’à présent. Je suis également très fier de mon travail sur Talon en ce moment ; là encore, je pense avoir atteint un niveau supérieur à ce que j’ai pu faire par ailleurs sur d’autres séries. J’en suis très content.

 BTO : Vous venez de passer une longue période à travailler principalement sur des personnages féminins avec Gotham City Sirens et Catwoman. Qu’est-ce que cela vous fait de revenir à un personnage masculin avec Talon ?

C’est agréable ! Ce n’est pas moi qui choisis les personnages sur lesquels je travaille ; lorsqu’on m’a confié Gotham City Sirens, je n’étais pas en position de sélectionner mes projets. Même chose avec Catwoman – ils ont pensé que c’était un titre qui me conviendrait, et il se trouve que j’adore dessiner des personnages féminins, mais jamais je n’ai dit à DC, « Hé, j’aimerais dessiner un livre avec une héroïne, ou un personnage masculin ». Mais j’adore aussi travailler sur des personnages masculins, je trouve que je m’en tire plutôt bien. Et après Catwoman, j’avais envie de passer à quelque chose de totalement différent, aussi Talon était l’occasion parfaite. Cela me permet d’explorer un style différent, plus âpre, plus libre au niveau du trait et de l’encrage, et cela me plaît beaucoup. Avec les personnages féminins, il faut se montrer plus soigneux, ce n’est pas aussi fun.

 Quelle a été votre réaction face au tollé engendré par la dernière page de Catwoman #1 et à la couverture du numéro 0 ? Vous attendiez-vous à de telles réactions ?

Je m’y attendais un peu pour la dernière page du numéro 1, oui. Je pense que c’était notre cas à tous, le scénariste, les éditeurs… et cela nous a beaucoup amusés. Je ne me considère pas comme un fanboy qui déteste qu’un personnage ne corresponde pas à ses attentes ; je pense au contraire que les personnages existent pour qu’on joue avec, qu’on leur fasse faire des choses amusantes, aussi mettre en scène des rapports sexuels entre Batman et Catwoman ne me posait aucun problème. J’ai reçu beaucoup de courrier, aussi bien de louanges que de critiques ; j’essaie de ne pas trop m’y attarder et de faire mon travail le plus sereinement possible.

Pour ce qui est de la couverture, en revanche, je ne m’attendais absolument pas à une telle réaction, qui me semble vraiment exagérée. DC ne s’y attendait pas non plus, d’ailleurs, puisqu’ils ont donné le feu vert à cette couverture. Devant les commentaires reçus, ils m’ont demandé de la changer, ce que j’ai accepté de faire sans difficulté. Mais je ne me préoccupe pas vraiment de ce que les fans pensent de mon travail : les lecteurs sont multiples, et chacun a sa propre opinion. Il est impossible de contenter tout le monde. J’essaie donc de travailler dans le sens qu’attend DC. Puisque ma Catwoman était sexy dans Gotham City Sirens et que DC m’a engagé pour dessiner Catwoman, c’est que mon travail leur a plu, aussi ai-je continué dans la même voie.

 BTO : Votre réponse m’inspire une boutade – pensez-vous que les réactions concernant la couverture du #0 de Catwoman étaient aussi exagérées que ses attributs ?

Après la diffusion de cette couverture, certains commentaires sur mon blog allaient jusqu’à souhaiter ma mort… Peut-être était-ce un gamin de douze ans qui a posté ça – j’essaie de ne pas y prêter trop d’attention –, mais, franchement, ce n’est qu’une couverture ! Vous n’êtes pas obligés de l’acheter… Si vous trouvez ça trop sexy, OK, mais après tout, il s’agit d’une jeune femme qui s’en va bondir sur les toits de la ville dans une combinaison en cuir moulante… ça n’a rien de réaliste. Avec un autre type de personnage féminin, je m’y prendrais différemment. Donc, oui : la réaction était aussi exagérée que la couverture.

 Est-ce qu’à votre avis on peut parler ici d’un choc des cultures entre votre sensibilité européenne et un certain puritanisme américain ?

Je pense qu’ici, en Europe, nous sommes plus habitués à voir dans les bandes dessinées des choses qu’on ne pourrait montrer aux Etats-Unis. Je n’ai aucun problème à dessiner un nu, par exemple, alors qu’aux Etats-Unis c’est impensable – du moins chez DC ou Marvel. J’essaie donc d’adapter mon style suivant que je travaille pour un éditeur européen ou américain : je change d’outils, de format, de crayons, de style d’encrage, tout. Je change aussi ma façon de penser afin de voir ce qu’ils attendent de moi. Ce sont deux mondes différents, et deux façons différentes de travailler. Je ne sais pas si cela répond à votre question…

 Est-ce que vous appréciez votre séjour en France et le festival ?

Oui ! j’ai passé une bonne partie de la journée à dessiner, aussi n’ai-je pas encore eu le temps de visiter l’Expo, mais j’ai pu faire un peu de tourisme ces deux derniers jours. C’est ma première visite en France, et j’y prends beaucoup de plaisir. J’espère pouvoir en voir plus, aussi bien de Paris que de l’Expo, pendant mon séjour.

Terry Moore : Une interview au goût de Paradis (04/08/2012)

Terry Moore : Une interview au goût de Paradis

Au même titre que Neil GaimanDave SimDaniel Clowes ou Charles BurnsTerry Moore fait partie de ces auteurs indépendants qui font toute l’excellence et la diversité de l’industrie des comic-books. A travers trois œuvres aussi diamétralement opposées qu’inévitablement indissociables, ce scénariste-dessinateur-encreur-et même compositeur de génie a su au fil des années entrainer avec lui des milliers de lecteurs grâce à sa sensibilité hors du commun, son amour pour les personnages féminins et son goût inné pour la dramaturgie et le suspens.

Et si autant de talent ne suffisait pas pour un seul homme, Terry Moore est également un être humain d’une générosité inouïe, le genre de personne qui ferait chavirer le cœur du plus blasé d’entre nous. Le mien a succombé il y a bien longtemps et ne s’est toujours pas remis ne notre dernière rencontre à Arras lors du salon du livre «Colères du Présent». Plus de 10 ans après notre première entrevue et sans pratiquement jamais avoir repris contact depuis, il a tout de suite reconnu l’espèce de folle qui avait traversé la moitié de l’Espagne pour venir à sa rencontre. Je peux dire sans trop prendre de risque que ce genre d’artiste, par sa simplicité et sa gentillesse est une perle dans ce milieu. C’est une joie de le rencontrer, un bonheur de le voir dessiner, et un véritable plaisir de le voir plaisanter devant ses propres créations, comme si de rien n’était.

Je pourrais vous parler de lui pendant des heures, mais le mieux serait, il me semble, de lire ce qu’il a à dire concernant « l’avenir » de ses trois séries, Strangers in Paradise, Echo, et Rachel Rising mais également de connaitre son point de vue (sans concession) sur l’industrie des comics en général, son statut d’auteur indépendant, celui des femmes (bien évidemment), du futur des comics et … quelques surprises, ça vous tente ?

Bonjour Terry, vous n’étiez pas venu en France depuis 10 ans, comment s’est passée votre  rencontre avec les lecteurs français ?

C’était génial. Les fans de comics sont les mêmes partout, ils sont chaleureux. Quel monde merveilleux, les comics.

D’ailleurs ce qui vous caractérise, c’est la diversité de votre lectorat, j’ai encore pu en être témoin, vous avez la capacité de fédérer les hommes, les femmes, les gays, les hétéros, les jeunes et les moins jeunes, comment expliquez-vous cela ?

Je ne sais pas. Ce qui m’intéresse, ce sont les gens. Pas seulement les gens comme moi ou les gens que j’aime, mais toutes sortes de gens. L’humanité est fascinante, n’est-ce pas ? C’est le seul sujet qui vaille d’être traité : l’histoire humaine.

Vous nous avez montré au fil des années que vous étiez à l’aise avec n’importe quel genre, de la comédie au drame en passant par la science-fiction et maintenant l’horreur, mais avez-vous un genre narratif de prédilection ?

Mon genre de prédilection est la comédie. C’est là que je suis le plus heureux, quand je dessine des histoires amusantes. Ce que je ne fais pas souvent, car cela n’attire pas autant de lecteurs que le drame. C’est un peu comme se poster à un coin de rue pour raconter des blagues alors qu’un terrible accident de la circulation est en train de se produire juste derrière : on sourira peut-être à l’humoriste, mais on restera obsédé par le crash.

Rachel Rising est extraordinairement bien écrit, à tel point que l’on ne peut en aucune manière prévoir comment l’histoire va évoluer. Quelle a été votre principale source d’inspiration pour Rachel Rising ? Quel film d’horreur vous a marqué dans votre jeunesse ?

Je puise dans les vieux films, qui s’attachaient à nous effrayer à coups de réalité. Là où les films modernes ont recours au son pour faire peur, les classiques, eux, exploitaient le silence. C’est parfait pour les comics, vous ne croyez pas ? Essayez de dessiner des story-boards pour un Hitchcock, et cela ferait un comic formidable. La voilà, mon inspiration.

Vous aviez prévu de boucler Echo en 30 numéros, en est-il de même pour Rachel Rising ? Ou envisagez-vous de faire durer cette série beaucoup plus longtemps ?

Non, Rachel Rising durera également entre 24 et 30 numéros. Je ne suis pas encore tout à fait fixé sur le nombre exact.

J’ai entendu dire qu’Echo pourrait être adapté au cinéma, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Une option a été prise pour Echo par Lloyd Levin, un des producteurs de Hellboy. Produire un film tient du défi de nos jours. Je croise les doigts pour que le projet aboutisse.

L’année prochaine marque les 20 ans de SIP, et nous espérons tous avoir des nouvelles de Katchoo etFrancine. Pouvez-vous nous dire un peu plus de ce vous avez prévu à cet effet ?

J’ai prévu de publier une nouvelle histoire dans l’univers de SiP, mais sous forme de roman cette fois ! Je vais également sortir un Treasury book qui proposera un aperçu des coulisses de la série, un peu à la manière d’un commentaire de l’auteur.

Vous êtes devenu une véritable institution parmi les auteurs de comics indépendants et autres creator-owned, à quel point vos débuts ont ils été difficiles ? Pensez-vous qu’il est plus facile de nos jours pour un auteur indépendant de percer et de mener sa barque ? Que pensez vous des lanceurs de projets comme Kickstarter ?

Lorsque j’ai débuté en 1993, il y avait une vaste communauté de créateurs indés, qui m’a beaucoup aidé par ses encouragements, et où les gros poissons ouvraient la voie pour les plus petits spécimens comme moi. Aujourd’hui, les choses ont changé. Je ne saurais dire si c’est plus facile ou plus dur, mais cela reste un défi de se faire connaître de par le monde. Kickstarter en a aidé certains. Je ne sais pas si cette plateforme perdurera en tant que vecteur de promotion, ou si elle restera comme une fantaisie de 2012. L’internet a tendance à se désintéresser rapidement des choses. Sitôt prisé, sitôt oublié.

Vous avez récemment décidé de rendre vos comics disponibles en version numérique par le biais deComixology. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre cette décision, et pouvez-vous déjà nous dire si votre démarche a permis de toucher de nouveaux lecteurs ?

J’avais des échos de fans dans le monde entier qui n’avaient pas accès à des points de vente, soit parce qu’ils vivent dans des zones à faible densité de population, soit parce qu’ils habitent des lieux tellement retirés qu’ils ne peuvent même pas recourir à la vente par correspondance en raison de coûts trop élevés. Par exemple, un fan en Australie doit faire face à des frais de port exorbitants s’il veut importer depuis les États-Unis. Les comics numériques résolvent ce problème en ouvrant le monde à des lecteurs qui en étaient jusqu’alors privés. Maintenant, on peut lire le dernier numéro de Rachel Rising le jour de sa sortie, même au sommet de l’Everest ! C’est un sérieux progrès, vous ne trouvez pas ? Je suis très heureux de pouvoir ainsi toucher un lectorat plus vaste.

Quel regard portez-vous sur l’industrie des comics en général, trouvez-vous qu’elle a évolué depuis le début de votre carrière ou qu’au contraire elle peine à se renouveler malgré les efforts et les trouvailles éditoriales des « Big Two » ?

Le cœur même de l’industrie des comics américains est constitué de ces deux compagnies érigées sur des idées vieilles de cinquante ans. Et chaque modification apportée crée des fractures au sein du lectorat. Il faut faire avec.

Alors, oui, c’est difficile de préserver la vitalité et la fraîcheur du comic à l’américaine. Très sincèrement, je ne sais pas dans quelle direction il va évoluer. Mais on aurait pu dire la même chose chaque année depuis l’après-guerre, n’est-ce pas ? Les comics américains ont toujours flirté avec le désastre, et pourtant ils sont toujours là et font partie de la pop culture. C’est plutôt impressionnant. À l’évidence, nos comics renferment plus d’atouts que trois ou quatre personnages célèbres, autrement nous ne serions pas là. Je leur suis reconnaissant, car mes comics se vendent sur un marché que Marvel et DC maintiennent en vie. Merci les gars !

Que pensez-vous du relaunch de DC ? Quels titres du relaunch lisez-vous ?

Je ne suis pas le relaunch. À mon avis, DC est un beau fouillis en ce moment, et je m’en moque un peu. Ils l’ont bien cherché. S’ils ont besoin de moi pour les sauver, je veux bien écrire Supergirl. (grand sourire)

Mis à part le relaunch, quelles sont vos autres lectures ? J’aime lire des ouvrages de physique, d’histoire, et des romans policiers.

La publication de SIP en France a été plutôt mouvementée mais au final KYMERA a fourni un excellent travail très respectueux de votre œuvre, en êtes vous satisfait ?

Beau travail, j’en suis très satisfait.

Qu’en est-il de Rachel Rising, une publication française est-elle prévue dans un futur proche ?

Je pense, oui. Ce n’est pas moi qui gère le versant « affaires » de ma production, mais je sais que nous entretenons une relation étroite avec Kymera.

Vous faites partie de ces (trop rares) auteurs masculins qui réussissent dans chacune de leurs œuvres à créer des personnages féminins forts et profonds et ainsi, quelque part, à rendre hommage aux femmes. Pensez vous que le statut des héroïnes de comics a changé depuis le début de votre carrière, et qu’en est-il d’après vous de celui des artistes féminines ?

Les scénaristes et artistes féminines sont assurément plus nombreuses aujourd’hui qu’en 1993. Et il y a du niveau ! Pour ce qui est des héroïnes, je ne crois pas que les choses aient vraiment changé. Les personnages sont toujours les mêmes ; la plupart restent des seconds couteaux. Mais ce n’est que mon opinion, bien sûr. Je sais que beaucoup ont vu leur histoire changée, mais si l’on s’attache à la façon dont elles sont représentées à l’aune de la culture moderne… eh. Pensez donc, elles pourraient être des icônes de la pop culture, et pourtant ce n’est pas le cas. Vous ne verrez jamais un magazine de grande envergure rapporter combien la jeunesse d’aujourd’hui est influencée par tel ou tel personnage féminin. Cela devrait être l’objectif des grandes compagnies. L’important, ce n’est pas de produire plus de titres ; c’est d’établir des icônes de la pop culture qui redéfinissent la mythologie moderne. Aucune des super-héroïnes majeures ne remplit ce contrat. Il y a encore fort à faire de ce côté-là.

Un grand merci (et des gros bisous) à Mathilde, la meilleure traductrice au monde, pour son aide inestimable.

American Dark Age : Interview de Jean David Michel (18/04/2012)

Vous vous en êtes sans doute aperçus, lorsque j’aime un comic book, un personnage ou même un artiste, je le défend corps et âme, j’en parle et j’en reparle indéfiniment pour inciter le plus grand nombre à découvrir l’objet de mes émois et à ne surtout pas passer à côté. Le web comic American Dark Age fait partie de ces pépites hallucinantes dont le premier numéro a été financé grâce à Kickstater et qui continue sa croisade en vue d’un deuxième épisode qui se profile comme étant tout aussi épique que le premier. J’ai eu la chance de me voir accepter un entretien avec Jean David Michel, l’homme derrière ADA qui a eu l’extrême gentillesse d’avoir répondu à mes quelques questions par mail. Après tout ça, si vous ne tombez pas sous la coupe de Katherine Brody, l’héroïne punk et tranchante d’American Dark Age, je vous jure que je me fais nonne.

Bonjour Jean David Michel, je suis très heureuse que vous ayez accepté de répondre à mes mes quelques questions, American Dark Age fut pour moi l’une des plus belles découvertes de l’année 2011, tant par l’originalité de son scénario que par les dessins percutants de votre acolyte, Jaqueline Taylor. Pouvez-vous pour commencer vous présenter auprès des lecteurs du TLGB qui ont déjà entendu parler d’ADA mais qui au final ne savent pas grand-chose des artistes qui sont à l’origine de cette œuvre prometteuse.

Bonjour Camille et merci pour toutes les magnifiques éloges dites à mon sujet et à mon équipe à propos d’American Dark Age. C’est vraiment enthousiasmant de savoir que nous avons des fans de la sorte en France. Lorsque l’idée d’American Dark Age m’est venue à l’esprit, j’ai senti que je ne maîtrisais plus rien. C’est une idée originale que je n’avais jamais vu avant et plus je pensais à ses possibilités, plus je voulais la voir naître. Une nuit, je n’arrivais pas évacuer l’idée de cette jeune fille faisant partie d’un groupe de punk rock en train de tout découper à travers un champ de bataille munie d’une longue épée, alors j’ai sauté hors de mon lit et j’ai dessiné la toute première image de Katherine Brody à 4h du matin et depuis lors j’ai été obsédé par ce qu’elle est, et ce qui lui arrive. Je n’avais jamais écrit professionnellement avant. J’étais juste un artiste en art visuel médiocre qui avait écrit une histoire de reboot sur Doc Savage que personne ne voulait publier. American Dark Age et Katherine Brody m’appartenaient. Je n’avais pas besoin de la permission de quiquonque pour les publier, c’est alors que j’ai commencé à écrire des scripts et apprendre ce qu’il fallait pour publier son propre comic book.

Comment avez-vous rencontré Jaqueline Taylor et pourquoi l’avez-vous choisi pour illustrer ADA ?

J’ai trouvé Jacqueline via DeviantArt. Lorsque je me suis rendu compte qu’illustrer moi même ma bande dessinée n’allait pas fonctionner, je savais que je voulais quelqu’un qui pourrait donner aux personnages autant d’expressivité que je l’avais envisagé. Je voulais aussi quelqu’un qui comprenait la chorégraphie des combats à la fois avec humour et d’un niveau instinctif. L’oeuvre de Jacqueline possède tout cela et bien plus encore. Elle a l’énorme capacité d’être en mesure de distiller les concepts et les idées que je lui ai donné pour en faire des images les plus dynamiques que je n’ai même jamais imaginé. Jac est aussi très passionnée par la manière dont Brody est représentée et comment elle peut réagir dans certaines situations, ce que j’apprécie beacoup. Lorsque j’étais à la recherche d’un artiste, je voulais m’assurer qu’il serait aussi investi dans l’histoire et les personnages que je le suis et elle l’a prouvé maintes et maintes fois.

Passer par Kickstarter était il pour vous une évidence pour financer ADA ? Est-ce réellement de nos jours la meilleure solution pour mener à bien un projet artistique, mais aussi se faire connaître d’un large public ?

Trouver les moyens de financer ADA était une priorité, et une fois que nous avons découvert Kickstarter, oui, absolument, c’était évident. Lorsque nous avons utilisé Kickstarter pour la première fois, il n’y avait pas encore tous ces exemples de réusite, alors nous n’étions pas sûr si ça allait fonctionner. Mais cela semblait être le chemin le plus sûr. Ils font en sorte que cela soit assez simple à mettre en place, puis c’était juste à nous d’organiser toute la promotion.

ADA est le premier comic issu de votre maison d’édition, Megabrain Comics, est-ce que d’autres projets sont sur les rails ?

À l’heure actuelle, ADA est la principale priorité. Nous travaillons toujours dessus en vue d’une sortie régulière tout en tenant compte des aléas de la production. Mais effectivement, il ya d’autres projets en vue. Ce que nous espérons faire dans quelques années, c’est d’avoir quelques livres qui couvrent tout un tas de genres. Les prochains projets sont un comics de super-héros pour tous les âges et une comédie romantique.

Parlons un peu d’ADA, comment définiriez-vous l’histoire ? Pour ma part il me plait de la comparer (en tout cas au premier abord, vu que je n’ai lu que le premier numéro) à une version Rock n’ Roll d’Y The Last Man

Y The Last Man a eu une influence énorme sur l’histoire ainsi que, Tank Girl, la série L’Arcane des épées de Tad Williams et Avatar: The Last Airbender. Si je devais simplifier le concept, je suppose que je le décrirais comme Le Seigneur des Anneaux qui rencontre GI Joe interprété par Brody Dalle comme personnage principal. Mais c’est vraiment beaucoup plus vaste que ça.J’essaie de créer un monde où tout lecteur peut s’en imaginer l’exploration et y vivre ses propres aventures. L’histoire est née d’un simple rêve que j’ai eu tout au long de ma vie. Comment pourrais-je devenir un chevalier ? C’est une idée très large qui aurait pu être mis en œuvre de mille façons différentes pour une bande dessinée, mais je voulais vraiment trouver un scénario qui n’entraînerait pas la magie ou le voyage dans le temps. J’aime les épées autant que je peux apprécier une histoire avec des armes à feu dans une bonne scène d’action, j’ai toujours été attiré par les armes blanches et les guerres archaïques.

La musique a l’air d’avoir une part importante dans ADA, avec des références à la scène Punk notamment (Citizen Fish, The Ramones, Television), cela va t-il continuer à être le cas compte tenu de l’aspect particulier de la suite des évènements ? Quel est votre univers musical ?

J’ai été un artiste visuel toute ma vie, mais au fond j’ai toujours voulu être une rockstar à la tête d’un groupe comme les Dead Boys, Suicidal Tendencies ou The Clash. La musique d’une certaine façon ou d’une autre a toujours informé de ce que j’ai fait dans ma vie soit comme source d’inspiration ou d’éducation. Elle se trouve tellement dans tout ce que nous faisons. Si vous revenez à Tolkien, Shakespeare et même Homère – la musique a toujours été une partie de leurs fantasmes épiques. Combien de scènes sont là, dans Bilbo le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux où les gens partagent des chansons de leur pays d’origine lors un feu de camp? J’ai conçu American Dark Age avec beaucoup de musique tout comme ces histoires l’avaient fait, mais avec notre musique d’aujourd’hui. J’imagine que si j’étais sur un champ de bataille avec une épée à la main, je n’entendrais pas les ballades de ménestrel dans mon esprit, parce que la musique n’a rien à voir avec notre monde d’aujourd’hui. Iron Maiden, The Ramones et Slayer seraient la trame sonore de mes combats.

A quelle intervalle espérez-vous publier ADA ?

Comme je l’ai dit plus tôt, nous subissons toujours les aléas de la production pour ADA. Nous aimerions tous que cela soit un mensuel, mais les exigences de nos emplois respectifs et nos familles jouent un grand facteur dans tout cela. La carrière de Jacqueline a commencé à prendre de l’élan en même temps que nous avons commencé à travailler ensemble. Elle ne travaille plus uniquement sur notre livre ce qui rallonge la période dans laquelle nous pouvons compléter ensemble chaque numéro. Je dois dire que les prochains numéros méritent certainement l’attente, oui. Brody va se retrouver dans certaines situations graves qui feront grincer des dents les lecteurs et les remplir de joie. Chacun d’entre nous à Megabrain croisons les doigts pour que d’ici la fin de l’année, nous soyons sur une cadence régulière bi-mensuelle. Espérons que nous ne perdions pas les fans que nous avons obtenus en raison de tout cela.

Quelles sont vos héroïnes de comics préférées, est-ce qu’une héroïne en particulier a été une source d’inspiration pour créer  le personnage de Katherine Brody ? 

Wow ! Il y en a tant. Parmi mes héroïnes préférées de comics se trouvent Red Sonja, les Bat Women, Batgirl, Wonder Woman, Oracle, Storm, Wolfsbane, Thorn, et je pense que tu la connais très bien, Katchoo de Strangers in Paradise. Je sais qu’elle n’est pas une héroïne typique, mais elle incarne une grande partie des traits et des caractéristiques qui m’attirent chez un personnage féminin. Forte, décalée, un peu endommagée. Tout autour, elle n’est pas parfaite, mais elle parvient tout de même à mener sa vie selon ses propres termes. Oh, et l’une de mes grandes favorites qui je pense ne reçoit suffisamment de crédit est Atom Eve d’Invincible. Cette fille est phénoménale ! J’ai été élevé par ma mère et mes trois sœurs, qui sont toutes très fortes et indépendantes, donc je pense que cela a joué un rôle énorme pour être attiré par tant d’héroïnes de comics. Katherine Brody a tant d’influences autour de sa personnalité allant des personnages de bandes dessinées, de musiciens que des personnes avec qui j’ai grandi avec certains de mes personnages préférés issus de film. Red Sonja, Buffy, Thorn Harvestar et Wonder Woman sont quatre héroïnes de bandes dessinées qui ont contribué à la construire, mais David Bowie, Brody Dalle, la pirate Anne Bonny, et Boadicée sont également quelques influences réelles pour son personnage. Vu que je ne suis pas une femme, cela m’a vraiment beaucoup aidé d’avoir des personnages forts comme référence afin d’écrire ses dialogues et son caractère.

Puisque c’est le thème principal de ce blog, que pensez-vous du sort des héroïnes dans les comics mainstream ? Les comics indie ne sont ils pas au final plus respectueux de leur personnage féminins ? Que feriez-vous par exemple si l’un des Big Two vous proposait de publier ADA ?

Je ne suis pas trop optimiste sur le sort des personnages féminins dans les comics traditionnels. Il est triste que les bandes dessinées, que j’ai toujours pensé comme étant plutôt socialement progressiste, soient tellement à la traîne dans la politique des genres. Les titres des New 52 de DC sont presque universellement désastreux pour les personnages féminins, et tandis que Marvel n’a pas été aussi spectaculairement mauvais pour ses personnages féminins, ils n’ont pas non plus fait tomber des murs. Les comics Indés ont quelques avantages. Le plus évident, c’est que nous sommes presque tous des creator owned, et les créateurs aiment leurs personnages. Nous n’allons pas utiliser nos personnages féminins comme des victimes, des objets sexuels, et des excuses pour pousser nos personnages masculins à entrer dans l’action. Brody n’est pas là pour faire bonne figure pour un gars, ou pour permettre à un mec de paraître bien. Je ne sais pas si je voudrais que l’un des Big Too publie ADA. La distribution et la publicité seraient étonnants, mais c’est une petite histoire, c’est centré sur les personnages, ce n’est pas sûr. Je ne sais pas si les Big Two s’en occuperaient de même la façon dont nous le ferions. Si ils nous approchent pour travailler sur tout autre projet, alors bien sûr, je serai ravi de travailler avec eux. (DC, Marvel – s’il vous plaît approchez, prenons le temps d’en discuter !)

Voilà, j’espère que cette nouvelle interview vous a plu les enfants, maintenant il ne vous reste plus qu’à foncer sur le site de Megabraincomics, l’éditeur d’American Dark Age.

Des comics et des filles : Interview de Lorena Carvalho (25/01/2012)

Alors là les enfants, attention les yeux, ça va piquer. Je ne vais rien vous apprendre, Internet est l’endroit rêvé pour dénicher des artistes talentueux, de grands espoirs, peut-être des futures étoiles de l’art séquentiel qui sait… L’autre jour je suis tombée sur l’une de ces étoiles justement, grâce à un site américain que je consulte régulièrement, et en regardant de plus près sonDeviant Art puis son blog personnel, je n’ai pas pu résister à la contacter tellement son talent m’a brûlé les yeux. Ni une ni deux je me suis lancée dans l’élaboration de quelques questions, cela a été pour moi une expérience très enrichissante, car poser des questions à une personne que l’on ne connait absolument pas, et bien c’est loin d’être évident. Lorena Carvalho, c’est son nom, a tout de suite répondu à ma requête de manière positive et enthousiasmante. Je pense que vous allez tomber comme moi sous le charme de ses croquis et de ses interprétations de Black Canary, Wonder Woman, Barbara Gordon, Harley Quinn. Franchement entre nous, Adam Hughes et Terry Dodson  n’ont qu’à bien se tenir.

Bonjour Lorena, avant de commencer cette petite entrevue, j’aimerais te remercier d’avoir répondu si rapidement à ma requête et surtout de prendre le temps de répondre à mes questions afin que les lecteurs français puissent découvrir ton travail fantastique ! Alors pour commencer je sais que l’exercice n’est pas toujours facile mais peux tu te présenter, je sais que tu es d’origine Catalane (plus précisément de Barcelone c’est ça ?) et qu’en plus d’être une excellente illustratrice, tu es également étudiante à l’Ecole de Conservation et de Restauration des biens culturels de Catalogne. Peux-tu nous parler dans les grandes lignes de ton parcours professionnel et artistique ?

C’est exact, je m’appelle Lorena Carvalho, je suis originaire de Barcelone et j’ai 25 ans. Mon beau-frère m’a toujours dit que  quand j’avais 5 ans et qu’il venait chez moi,  il me trouvait toujours tranquillement assise sur le canapé à dessiner, et 20 ans après, rien n’a changé, je continue à être assise et à dessiner. Donc, mon intérêt pour l’art et la création viennent depuis que je suis toute petite et aux alentours de mes 14/15 ans, c’est à ce moment là que j’ai réalisé dans mon fort intérieur que je voulais transformer mon passe-temps en un moyen pour vivre et gagner ma vie. Ainsi étant adolescente et ayant été élevée par bon nombre des séries d’animation à la télévision, j’ai décidé de prendre des cours de Manga à l’Ecole Joso de Barcelone, étant donné que le Manga était ce que je connaissais et maitrisais le plus. Puis, quatre ans après avoir fini les cours de Manga, j’ai découvert davantage de choses sur le monde fascinant de la bande dessinée et de l’illustration, davantage de styles et d’auteurs je me suis éloignée  du style manga pour apprendre et définir mon propre style, donc j’ai décidé de continuer ma formation à l’Ecole Joso mais cette fois dans un cours plus vaste, celui des Arts Graphiques où tout au long de ses quatre nouvelles années, j’ai amélioré mon dessin dans beaucoup d’aspects et j’ai découvert la conception graphique où je me suis sentie étonnement à l’aise en faisant plusieurs travaux rémunérés pour différentes entreprises avec des commandes de logos et la création de collections en lien avec l’impression textile.

Pour me spécialiser un peu plus avec le logiciel qui était utilisé en conception graphique j’ai fait un cours intensif d’Illustration Appliquée à la Conception dans l’Ecole Idep (Barcelone), mais après plusieurs problèmes personnels et blocages artistiques, j’ai décidé de m’éloigner de tout pendant une période indéfinie pour me remettre en question sur quelle direction je voulais diriger ma vie personnelle et artistique. Après ce repos j’ai choisi l’optionConservation et Restauration d’Art, comme quelqu’un qui irait à un cours de cuisine, pour changer d’atmosphère et connaître des gens nouveaux. Je suis aujourd’hui déjà en seconde année et j’ai remis en route mes projets personnels.

Est-ce que ton expérience de conservatrice d’art a une influence sur ton travail d’illustratrice, ou au contraire, ta sensibilité d’auteur n’influe t’elle pas sur ta manière d’appréhender les œuvres que tu te dois de sauvegarder ?

De nos jours, la conservation et la restauration a cessé d’être une idée romantique pour être très technique et chimique ; une oeuvre est comme un patient auquel on donne un diagnostic, on lui on donne des médicaments là ou il a été opéré. Il y a des règles qui doivent être suivies dans un atelier sur les pièces et la sensibilité artistique que l’on peut avoir n’intervient pas beaucoup. Mais je dois mentionner qu’étudier dans ce cursus m’a apporté de l’air frais, ainsi que d’autres influences et techniques pour pouvoir les inclure dans mes travaux, avoir des idées nouvelles et ne pas m’enfermer dans des thématiques.

D’où vient ton intérêt pour les comic-book ?

J’ai toujours été attirée par les super héros comme par exemple Batman, de plus mon intérêt a crû au fur et à mesure que les professeurs et des amis m’ont recommandé des auteurs et des titres.

Tu sembles d’après tes illustrations être très attirée  par les personnages de DC Comics et Vertigo. Peux tu nous en dire plus ?

J’adore DC et ses personnages, je suis une fan absolue. Les comics Sandman et Hellblazer m’ont marquée à vie et j’ai pour habitude de les relire dès que je le peux. Mes personnages principaux préférés sont Batman, Death, John Constantine et Zatanna.

Il semble que l’Amérique commence à porter un certain regard sur toi, journalistes et blogueurs relaient tes différents travaux, comment abordes-tu ce début de reconnaissance et as-tu déjà été approchée par des éditeurs outre atlantique ?

En vérité c’est pour moi un réel honneur et une joie inattendue. Cela donne toujours l’illusion qu’on est fixé sur ton travail, qu’on l’aime ou qu’il inspire les gens, ça t’encourage à continuer à croire en ce que tu fais et à continuer à dessiner que ce soit pour les loisirs ou le travail.

Quelles sont tes aspirations en tant qu’artiste, et quels sont tes projets ?

En ce moment le projet que j’ai entre les mains concerne une de mes sœurs, cela s’appelle le Paradis de Lola (www.elparaisodelola.com), un magasin online où nous créons des accessoires artisanalement d’après mes illustrations, on vend quelques unes de mes œuvres originales, je fais des commandes personnalisées et je suis également la conceptrice graphique.

Quels artistes t’inspirent ?

Du monde de l’illustration et de la bande dessinée ceux qui m’inspirent sontAdam Hughes, Terry Dodson, j.ScottCampbell, Tim Bradstreet, Joseph Christian Leyendecker, Olivia, Alphonse Mucha, Joseph Christian Leyendecker. En peintres : John Waterhouse, Sorolla, Klimt,… En sculpteurs, Bernini, Canova, LLimona… Je m’inspire aussi généralement beaucoup de la musique et la photographie.

Depuis ses débuts, il y a une certaine histoire d’amour entre la Catalogne et la Bande Dessinée, de plus l’influence des comics américains est très présente et a beaucoup de succès en Espagne, d’ailleurs beaucoup de dessinateurs espagnols (et Catalans) travaillent pour les Etats-Unis est-ce que tu es capable d’expliquer ces deux situations aux lecteurs Français ?

Je ne peux pas parler en mon nom puisque je ne suis jamais allée chercher du travail auprès des éditeurs ni porter de projets personnels à publier, mais en parlant avec des auteurs et des amis, la majorité des éditeurs espagnols ne prennent apparemment aucun risque, ils parient sur des personnes ou des projets qui ont précédemment fonctionné sur d’autres marchés, fermant ainsi les portes aux nouveaux artistes. Donc les artistes ne restent pas les bras croisés et ils décident de tenter  leur chance sur les marchés français ou américain qui paraissent être plus réceptifs, il s’ensuit qu’actuellement la majorité des dessinateurs Espagnols travaillent pour l’étranger.

Pour finir, quel regard portes tu sur les artistes féminines qui évoluent où qui tentent de percer dans l’industrie des comics qui est un milieu essentiellement géré par des hommes et destiné en majorité à un public masculin ?

Je suis fière que les sujets sur ce thème aient fait l’actualité, et que les femmes se battent pour ce qu’elles veulent et apportent leur essence au sein de l’industrie des comics dans le poste qu’elles occupent. Je ne me suis jamais sentie personnellement discriminée en tant que femme, au contraire, je me suis sentie gâtée, en outre dans ce milieu, ton travail doit parler pour toi, que tu sois une femme ou un homme. Concernant les lecteurs, j’ai toujours cru que les comics n’étaient jamais destinés uniquement pour des hommes et il y en a toujours eu pour tous les âges et pour les deux sexes, il y a des années cet univers était assez inconnu maintenant il est déjà plus généralisé et on n’écoute plus généralement cette phrase stupide : « mais si les bandes dessinées sont pour les enfants ! ! ! … » qui démontrait seulement l’ignorance de certains. En outre du point de vue d’un auteur ou d’un éditeur c’est quelque chose de difficile à concrétiser ou prédire, car un auteur crée peut-être  un personnage et des histoires destinés à un public masculin et il triomphe ensuite également auprès du lectorat féminin.

http://lorena-carvalho.deviantart.com/

http://batsandstars.blogspot.com/

http://www.elparaisodelola.com/

Alors ? Convaincus ?

En attendant Batwoman : Interview de JH Williams III (09/08/2011)

Voici une interview MEGA EXCLUSIVE que JH Williams III a eu la gentillesse de faire spécialement pour Comics BlogSullivan (mais 100000000000000 fois merci !) m’a demandé il y a plusieurs semaines de réfléchir à quelques questions dont voici les réponses du Maître, et là je dois vous dire ce soir que mon petit coeur bat très très fort.

Le génial auteur qu’est JH Williams 3 nous a fait l’immense honneur de nous accorder une longue et seconde interview à la veille de la sortie de sonBatwoman #1, au sujet duquel il parle avec passion et amour. De sa collaboration en trois arcs avec Amy Reeder à sa relation au personnage deKate Kane en passant par l’exploitation du folklore Mexicain dans la série, le Californien est revenu sur beaucoup de points qui façonnent ce qui s’annonce déjà comme un des titres les plus merveilleux de cette fin d’année :

Comment avez-vous été amené à travailler sur Batwoman Elegy, ou autrement dit, les épisodes 854 à 860 de Detective comics ?

Ce fut simple, j’étais sensé revenir sur Detective Comics quand Paul Dini travaillait dessus, mais j’avais déjà mes obligations sur le numéro 1 de Seven Soldiers. Donc le temps que je le finisse, c’était déjà trop tard pour que je puisse retourner travailler avec Paul Dini. A ce moment-là, on parlait de travailler sur Batwoman et on me l’a présenté, mais je n’étais pas  l’univers d’un nouveau personnage du Batverse m’intriguait, car cela présentait des nouveaux challenges par rapport à un travail sur Batman qui est établi depuis si longtemps. Et avoir la possibilité de travailler avec Greg Rucka était très excitant. Mais le principal problème c’était que le projet n’était pas totalement prêt, ainsi j’ai embarqué sur Batman avec Grant Morrison sur quelques numéros, pendant que Batwoman se préparait pour commencer. Ce qui s’est plutôt bien goupillé, puisque cela m’a permit d’être libre pour pouvoir dessiner l’une de mes histoires favorites du run de Grant.

Vous avez collaboré avec deux des plus éminents scénaristes de l’industrie. Qu’est ce qui différencie le plus selon vous Greg Rucka d’Alan Moore ?

Hmmm… C’est difficile de répondre à cette question. Ils ont tous les deux des qualités que j’admire. Mon expérience avec eux, ma relation de travail avec chacun d’eux, avait plus de similarités que de différences. Le point qui m’a le plus réjouit, c’est que chacun d’eux était prêt pour une véritable collaboration, pour avoir de vraies conversations, et attendait mon avis en retour. Je sais qu’ils accordaient de l’importance à ce que j’avais à leur dire et l’appliquait aux histoires qu’ils voulaient raconter. Je ne pense pas que ce que je leur ai dit les ait poussés à changer ce qu’ils voulaient dire mais plutôt comment le dire. Je travaille mieux quand un rapport avec les autres personnes évoluant dans le projet est noué. Là où pour moi les deux diffèrent le plus, c’est dans la structure, sur comment l’histoire se développe. Mais honnêtement, je ne me suis pas identifié à un style plus qu’à un autre, ce sont deux personnes incroyablement talentueuses.

Vous avez apporté quelques changements au costume de Batwoman par rapport à celui qu’elle porte dans la série 52. Ces détails sont très judicieux et font basculer ce personnage du statut d’héroïne juste sexy en véritable justicière de terrain. Etait-ce évident pour vous d’illustrer un personnage moins glamour et peut être moins accrocheur pour le public masculin qu’il le fut précédemment ? 

Personnellement, je dois dire que oui. J’ai toujours eu à prendre en main des personnages féminins, en tant que co-créateur de Chase, puis sur Promethea et aussi Desolation Jones, où j’ai montré à quel point elles pouvaient être fortes. Cela ne m’intéresse pas de dessiner des furies sexy, plutôt des femmes réalistes. Je les trouve plus attirantes et belles. Cela implique qu’elles soient plus pleinement construites, pas juste des objets de fantasme. Cela vous permet de s’identifier à elles.

Avec Greg Rucka, vous avez contribué (et vous le faites encore de votre côté) à donner de la visibilité à un personnage issue de la communauté LGBT. Que pensez-vous justement du manque de visibilité des personnages gays dans les comics, et de la frilosité de la part des éditeurs mainstream d’aborder ce genre de sujet ?

Avec Alan Moore, on a beaucoup abordé ce sujet dans Promethea, nous avons aussi abordé plusieurs questions à propos des transgenres. Dans Batwoman, on aborde la problématique des transgenres sur quelques points aussi. Mais je pense que ce sujet  à propos des personnages gays devient de moins en moins tabou dans l’industrie du divertissement. On voit le sujet de plus en plus abordé et cette tendance devrait se normaliser dans les années. La société dans laquelle nous vivons fait progresser doucement le sujet de l’homosexualité et même si cette avancée n’est que trop lente, elle existe. La preuve en est qu’un éditeur historique et conservateur comme DC en vienne à publier une série à l’héroïne Lesbienne, sans aucun (ou presque) commentaire négatif de la part du lectorat, preuve s’il en était besoin que cette acceptation est en bonne voie. Les héros gay dans l’histoire des Comics ont déjà de belles années derrière eux, c’est seulement nouveau pour les super-héros. Terry Moore dans Strangers in Paradise par exemple, qui est un de mes Comics préférés de tous les temps, a su faire preuve de longévité sur une série à l’orientation marquée et assumée. Nous vivons dans une époque où même Archie Comics met en scène gay qui a de l’importance dans ses histoires ! Je pense qu’un jour, grâce à nos actions à celles d’autres auteurs qui n’ont pas peur d’aborder ce sujet, la question ne se posera même plus autour de l’orientation sexuelle des

Batwoman est extrêmement riche graphiquement,  que ce soit en termes de composition ou de styles. Quelles étaient vos principales influences pour le titre ?

 Je ne peux pas pointer exactement toutes les influences que j’ai eu sur Batwoman, à part pour deux choses. L’une est plutôt qu’une influence, un effet psychologique et subliminal. L’autre est tirée directement d’un comics clé de l’histoire de Batman. Le premier dont je parle, c’est à quoi ressemblent les dessins quand Kate Kane essaye de vivre sa vie normale, les moments au milieu de ses dangereuses aventures nocturnes. Quand elle est Kate Kane, quand nous l’approchons sans avoir aucune ambiguïté sur qui elle est comme personne, elle a eu de profondes questions et des déchirements émotionnels en sachant qu’elle soit lesbienne, et puis elle s’est acceptée pleinement. Donc je trouvais important sur un niveau psychologique d’enlever toutes les ombres sombres du dessin de ces pages, créant un effet subliminal sur le lecteur  comme quoi elle sait parfaitement qui elle est, elle ne se pose pas de questions à ce propos. Ces dessins ont une clarté ouverte qui symbolise cela vraiment efficacement et fonctionnent comme une contre balance à ses scènes en Batwoman. Ce sont ces scènes où elle continue de chercher sa voie qui sont donc plus sombres, plus empreintes de sentiments forts. Le second style a été utilisé pour raconter ses origines civiles, son enfance et sa recherche de soi. Quand j’en parlais avec Greg (Rucka), nous ne pouvions nous empêcher de considérer cet aspect comme son Year One, même si cela couvre essentiellement son enfance. Le fait d’en avoir parlé m’a donc immédiatement fait penser à Batman Year One, l’histoire du Caped Crusader la plus influente à mes yeux, et l’une des plus vénérées de tous les temps. J’ai donc consciemment essayé de reproduire l’art de Frank Miller sous la forme d’un hommage pour mieux raconter cette partie de l’histoire et essayer de donner une influence de qualité aux lecteurs nostalgiques de l’époque de Batman Year One. Cette pratique a dès lors très bien fonctionné auprès des lecteurs, qui de manière subliminale ont tout de suite abordé ces pages  comme l’origine de Batwoman (en tant qu’héroïne) et ont permis de rendre hommage à un chef d’œuvre sans jamais le copier. Quand vous lisez Batman Year One, vous ne pouvez vous empêcher de ressentir cet esprit de nostalgie, comme un instinct primaire. Utiliser les mêmes procédés graphiques avec notre histoire permet donc de déclencher le même genre d’instincts chez les lecteurs, qui ressentent là aussi une nostalgie toute particulière face à ces scènes que l’on voulait fortes. En connectant notre travail à l’une des histoires les plus acclamées de tous les temps de manière métaphysique. Et je pense que cela marche très bien à ce niveau. Et pour les lecteurs qui n’ont pas lu Batman : Year One auparavant, ils verront cela comme une belle approche stylistique appelant les anciens temps du passé.

Et concernant les looks d’Alice et de Kate Kane, qu’elles ont été vos sources d’inspiration ?

Alice avait réellement besoin que le livre soit fait pour elle,  et je voulais faire en sorte qu’elle semble sortie de cette réalité, cela lui donne une qualité éthérée comme jamais. Ce qui est parfait puisqu’elle est aussi le leader d’une religion, un culte.  Un fantasme

Nous attendons tous la série régulière de Batwoman avec beaucoup d’impatience, comment se passe votre collaboration avec Amy Reeder et ou en êtes vous exactement ?Très bien et très loin.

Je vais commencer les dessins du numéro 5 ce mois-ci,  et Amy a fini le 6.  Au-delà du numéro 0 qui est sorti il y a un moment, où Amy et moi partagions l’espace, je dessine tout le premier arc (les  cinq premiers numéros), puis Amy l’arc suivant (jusqu’au numéro 11) et puis je dessine le troisième arc (qui fait cinq numéros). Les scripts sont finis jusqu’au dixième numéro. Donc chaque séparation sur les dessins se fait après chaque arc, mais l’histoire se perpétue au travers des différents arcs,  mais chacun des 3 arcs que nous écrivons s’imbrique avec le suivant et ainsi de suite. C’est une situation particulière puisque nous voulions sincèrement écrire une histoire élargie sur 3 arcs, où chacun d’entre eux s’attarde sur une histoire précise. C’est très important de construire un personnage avec un héritage aujourd’hui…

Avez-vous peur que le « faux départ » d’Avril dernier affecte les ventes de la série en Septembre, avec des lecteurs lassés d’avoir attendu trop longtemps ?

Pas du tout. C’était une inquiétude au départ mais les fans nous ont rassurés très tôt en montrant un réel intérêt pour le titre. Il faut prendre en considération que de bonnes histoires prennent longtemps à réaliser et que l’on doit parfois consentir à attendre un peu plus… Je pense que beaucoup de fans sont bien conscients de cette réalité et son prêt à prendre leur mal en patience en attendant de découvrir la série dans un mois maintenant, en nous accordant leur confiance sur l’approche qualitative du titre. Avec Alejandro Jodorowsky par exemple, les fans sont prêts à attendre plusieurs années entre chaque numéro, parce qu’ils savent que son travail sera incroyable et qu’ils pourront s’en délecter à sa sortie…

Pouvez-nous nous en dire plus sur Bette Kane, la cousine de Kate ?

Bien sûr, mais je ne veux pas trop en dire. Sachez juste que sa relation avec Kate va s’intensifier et que la vie de Bette s’apprête à devenir digne des montagnes russes !

Et concernant ce premier arc, « the weeping woman », comment en êtes-vous venus à vous intéresser au folklore mexicain ? Grant Morrison s’est-il impliqué dans l’histoire, après avoir amené Batman au Mexique dans Batman INC. ?

Je ne voulais vraiment pas que Grant soit impliqué dans ce que j’écris,  même si c’est son idée, et nous n’aurions pas eu le contrôle sur ce que nous voulions raconter. J’aime Grant et son talent, mais je suis intéressé par développer mes propres idées, pas les siennes. Le folklore mexicain m’intéresse beaucoup. Et les légendes urbaines sont quelque chose que mon partenaire d’écriture, Haden Blackman, aime beaucoup. Il a beaucoup de connaissances à ce propos, ça a nourri les histoires que nous avons racontés, et nous avons tout les deux un amour pour les monstres et les sujets ésotériques. Donc nous en sommes venus à faire de la Weeping Woman la première d’un panthéon de vilains pour Batwoman,  car nous avons sentis que c’était important de lui faire une galerie d’ennemis à affronter pour qu’elle développe un héritage. Nous avons l’intention d’introduire plusieurs vilains lors de cette première année. Après Alice, le second adversaire de Batwoman est également une femme, êtes-vous en train de constituer un bestiaire d’ennemis comparable à ceux de Batman avec lesquels Batwoman sera régulièrement confrontée ?

Oui, c’est important. Pour l’instant, cela ne nous intéresse pas qu’elle affronte des ennemis de Batman, car elle perdrait de sa force en tant que personnage et qu’elle perdrait sa propre histoire. Heureusement, nous avons fait en sorte que ces vilains soient construits de façon à ce qu’ils puissent revenir.

Allez-vous travailler sur un autre série que Batwoman dans un futur plus ou moins proche ?

J’ai peur que non, je ne vais pas faire de couverture non plus, je reste concentré sur Batwoman jusqu’à ce que je sente en avoir fini, ou que DC en ait fini avec moi. J’ai des plans pour développer mes propres personnages qui attendent leur moment. Les seules choses que je fais en dehors pour le moment, c’est une contribution à un dessin sur Star Wars Art : Comic Book, qui sortira à la fin de l’année et où j’ai créé un personnage, ce qui m’a bien amusé. J’ai aussi fait deux pages bien denses pour le CBLDF Liberty Comics, qui à l’air vraiment cool. Et j’ai écrit une histoire de 2à pages sur l’Epouvantail, dont je ne connais pas la date de sortie, et qui sera dessinée par le talentueux Alex Sheikman (Robotika). Vous qui la côtoyez jour après jour, qu’est ce qui vous plait le plus chez ce personnage ?

Batwoman /Kate Kane est coriace, sympathique, unique, facile à appréhender. C’est facile de tomber amoureux d’elle 😉 Mais ce que j’aime aussi chez elle c’est qu’elle a défauts, elle est loin d’être parfaite, ce qui la rend très intéressante à écrire…

Merci 1000 fois de la part de toute la rédaction à l’artiste dont la disponibilité, la gentillesse et l’intelligence n’ont d’égal que son talent ! Une vraie rencontre coup de cœur comme il devrait y en avoir d’avantage au sein de cette industrie !

L’Activateur de couleur (26/05/2011)

Il s’appelle Gwendal, il est l’auteur de l’article sur Daria dont je vous ai récemment parlé, et en plus d’être un journaliste-blogueur émérite et passionné c’est aussi un artiste extrêmement doué et nourri aux influences contemporaines. Un de ses nombreux talents est de restaurer, de remanier les couleurs de dessins issus de comics, ses œuvres ne sont pas de vulgaires copies mais au contraire un hommage aux héros iconiques de la pop culture. C’est un régal pour les yeux :

Je lui ai posé trois petites questions sur son travail :
Comment procèdes-tu pour restaurer ces dessins ?
 Je retrace tout sur Illustrator. J’ai mis du temps à capter comment marchait le vectoriel mais j’m’éclate bien. J’ai refait la majeure partie de mes dessins et comme en ce moment j’ai moins le temps / l’envie de gribouiller, il faut bien que je trouve des trucs à redessiner :) (et merci les tumblr à ce propos !).
Peut-on qualifier tes restaurations ? D’œuvres pop-art ou bien d’art-pop ?
Y a de ca, oui. Notamment avec ce genre de dessin ( http://www.flickr.com/photos/10661825@N07/5755237836/in/photostream/ ) on pense tout de suite au boulot de Roy Lichtenstein. J’invente donc rien et mon but n’est pas de voler le talent du dessinateur original. Mais j’aime bien le principe de redonner de l’impact à des dessins/illustrations qui me marquent et, grâce à mon boulot de fourmi, de faire connaitre des artistes via ma galerie Flickr. Y a un côté “moine copiste de l’ère digitale” qui m’amuse beaucoup. Et comme je suis un geek invétéré, ca lorgne évidemment beaucoup du côté de la pop culture :) .

Envisages-tu de t’attaquer à l’univers DC par exemple ?

Pourquoi pas. Même si je connais plus l’univers Marvel,  y a des cases deBatman qui peuvent valoir le coup (je pense notamment à celles de Frank Miller) et s’il y a des sites ou je peux aller fouiller, je suis preneur :)
Après il s’agit surtout de trouver une case qui vaut le coup d’être restaurée (papier jauni, couleurs délavées) et dont le style de dessin permet un retraçage. Le trait de Kirby s’adapte ainsi super bien avec ces aplats de noir donc je risque d’en refaire encore quelques uns.
Si vous voulez voir toute l’étendue de son talent, allez faire un tour sur sa galerieFlickr, n’hésitez surtout pas ça vaut le détour !

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