Les animaux et les comics, c’est une histoire qui dure depuis les débuts du média : La plupart des héros de comics ont souvent leur sidekick animalier, certains sont même devenus des stars à part entière, le plus connu étant Krypto, le chien de Superman. Les autres animaux stars des comics sont souvent des zoomorphes comme Howard Le Canard chez Marvel ou Captain Carrot chez DC, plus proche du personnage de cartoon que du véritable héros animal comme on peut le voir dans certaines séries télévisées ou films comme Rintintin ou Lassie. Mais depuis quelques années, les personnages animaliers ont le vent en poupe et certains comics s’en servent pour dénoncer certains travers de notre société : La vivisection avec We3 (Nous3 en VF) de Grant Morrisson et Frank Quitely ou encore les horreurs de la guerre avec Pride of Bagdad de Brian K. Vaughan et Niko Henrichon. Une série à même pris le pari de faire de nos compagnons à quatre pattes des enquêteurs du surnaturel, sortent de Mulder et Scully à poils, dans la série Beasts of Burden (Bêtes de Somme en VF) de Evan Dorkin et Jill Thompson.
Avec la mode des comics d’horreur sur les épidémies comme Walking Dead ou Crossed, il fallait ni plus ni moins qu’un scénariste adepte des histoires extrêmes pour propulser des héros à quatre pattes dans ce monde d’horreur : Garth Ennis releva le défi avec Rover Red Charlie, un comic exceptionnel, dont je vais vous exposer les qualités ci-dessous.
« If only I could have a friend
Who’ll stick with me until the end
And walk long beside the sea
To share a bit of moon with me
I’d take my friend most everywhere
La, la, la, la, I wouldn’t care
And we’ll stay away from crowds
With signs that said « No friends allowed »
Oh we, we’d be so happy to be
Up, la, la, la, la ooh
We, we’d be so happy together. »Harry Nilsson – The Puppy Song (1969)
Rover, Red et Charlie sont trois chiens : Un Border Collie, un Setter Irlandais et un Basset Hound (oui j’ai fait des recherches pour retrouver les races exactes de nos trois héros) qui un beau jour assistent avec effroi à un changement de comportement soudain des « feeders » : Fini les caresses et les friandises, les humains deviennent fous furieux, se massacrent entre eux, laissant leurs compagnons à poils dans le désarroi le plus total. Après moult péripéties, nos trois infortunés héros réussissent à quitter la ville où ils ont toujours vécus et partent découvrir le monde. Entre désillusions, espoirs, bonnes et mauvaises rencontres, Rover, Red et Charlie vont s’interroger sur leur vie passée, leur relation avec les humains et si le fait qu’ils aient disparus est une aussi mauvaise chose que ça. Malgré tout, nos trois héros, sur une idée de Charlie, se donnent pour but de rejoindre « The Bigger Spalsh », là où les humains aimaient se rassembler durant l’été.

Rover Red Charlie est un comic en 6 numéros écrit par Garth Ennis et dessiné par Michael DiPascale, publié par Avatar Press en 2013 puis en trade paper en 2014.
Autant être franc d’emblée : Ce road trip animalier est très certainement l’un des meilleurs comics mettant en scène des animaux que j’ai pu lire, cela étant beaucoup dû à l’écriture de Garth Ennis. Le scénariste irlandais, plus habitué aux histoires ultra-violentes et malsaines, surprend avec cette version horrifique de l’Incroyable Voyage, jonglant entre émotions, répulsion, tristesse et réflexion. Au travers de nos trois héros aux caractères bien différents, Charlie est un ancien chien d’aveugle totalement dévoué aux humains, Red est un gentil naïf courageux et Rover, doté d’un accent anglais jouissif, est la tête pensante des trois, malgré un cotés sarcastique parfois un peu énervant, Garth Ennis nous brosse un portrait sans concession de notre monde et de notre relation aux animaux, au travers de situations et de rencontres que feront nos héros poilus durant leur périple.
Tout bon comic a son méchant et Rover Red Charlie a Hermann, symbolisant les abus que les humains peuvent infliger aux animaux, Hermann est un gigantesque Bulldog aigri envers les hommes dont cette fin du monde est le moyen idéal de se venger.
Les autres animaux ne sont pas en reste et sont présentés de façon originale : Les oiseaux s’expriment comme des attardés mentaux, répétant en boucle les mêmes phrases ou grossièretés et les chats sont dépeints comme des êtres cruels, vils, manipulateurs et égoïstes. C’est d’ailleurs l’un des seuls reproches que je peux faire à cette bande dessinée : J’aurais apprécié que l’on y croise d’autres races d’animaux comme les chevaux ou les singes par exemple.
Niveau langage, le plus marquant est la façon dont Garth Ennis a réussi à gérer les aboiements : Les traduisant par « I’m a Dog ! » (Je suis un chien), de cri de colère en cris de désespoir, « I’m a Dog ! » devient un véritable cri du cœur selon les situations, un leitmotiv, presque un slogan et est une façon particulièrement bien trouvé de Garth Ennis pour interpréter cette manière de s’exprimer des chiens.

Nos trois héros vont principalement croiser d’autres chiens, hormis le terrible Hermann, il y aura aussi des instants de félicité comme la rencontre avec le courageux Bingo ou la séduisante colley Sasha ou des instants d’émotions assez intenses comme la déchirante discussion de nos héros avec le labrador Hobby ou la rencontre avec le basset Albert. Garth Ennis n’oublie cependant pas son goût pour les scènes violentes et certains passages, notamment avec Hermann, sont particulièrement trash.
Garth Ennis surprend admirablement avec cette histoire canine, montrant une facette de son talent que je ne connaissais que très peu.
Mais l’écriture de Garth Ennis ne serait rien sans l’incroyable talent de Michael DiPascale : Le dessinateur livre des planches absolument admirables, dessinant des animaux dont les expressions restent crédibles sans être exagérées ni tomber dans la caricature. On est forcément touché par les faciès particulièrement expressifs de nos héros à quatre pattes et on ressent clairement leur peine ou leur joie au premier coup d’œil : C’est en ce qui me concerne du jamais vu dans un comic et la prestation et le talent de DiPascale ne peuvent qu’être félicité.

A noter que le livre est introduit par une préface admirable et érudite du grand Alan Moore.
Rover Red Charlie est un comic absolument admirable, jouant habilement avec nos émotions, il nous laisse après la lecture avec une sensation douce amère, la tête pleine de questions sur notre relation avec les animaux, leurs sentiments et la façon dont nous les traitons. Sans délaisser son coté provocateur, Garth Ennis est surprenant en nous dévoilant avec ce road trip canin sur fond d’apocalypse humaine un côté méconnu de son talent, renforcé par l’incroyable prouesse graphique de Michael DiPascale.
Un excellent comic, qui parlera particulièrement aux amis des animaux et plus particulièrement des chiens et peut-être même aux autres. Quand aux fans de Garth Ennis, c’est une lecture quasiment obligatoire.

Rover Red Charlie de Garth Ennis et Michael DiPascale, disponible en trade paperback chez Avatar Press depuis le 07 octobre 2014.
Je l’ai vu passer, ta critique me donne envie de le lire… et en plus il est dispo en VF chez Komics Initiative….
Je vais surveiller ^^
Tu peux foncer les yeux fermés : C’est du très grand Garth Ennis 🙂
Your thee best