Mon Ami Dahmer
J’ai horreur de la « starification » des tueurs en série réels.
Logiquement, je fuis donc comme la peste tout ce qui est films, livres ou autres médias adaptant la vie et/ou les méfaits de ces êtres abjects car je trouve que s’intéresser à eux, c’est aussi et surtout un irrespect total envers les victimes et c’est surtout pour ce point que j’ai horreur que l’ont mettent en scène ces tueurs dans des œuvres de divertissement. Après je peux comprendre que ça intéresse certaines personnes, les tueurs en série sont des criminels fascinants, je suis le premier à le reconnaître, mais mon empathie envers les victimes fait que je ne supporte pas qu’on les mettent en avant comme de véritables « stars » et je trouve qu’il y a suffisamment de tueurs et de méchants fictifs tout aussi intéressants et fascinants que les tueurs réels sans avoir à faire de la « publicité » à ceux ayant vraiment commis des actes immondes.
Cela étant dit, ce mois-ci ont va néanmoins parler d’une bande dessinée relatant les méfaits d’un tueur en série tristement célèbre, l’infâme Jeffrey Dahmer.
Je ne vous cache pas que j’ai longtemps hésité à parler de cette BD, déjà pour les raisons énoncées plus haut et ensuite parce que ce n’est pas vraiment une BD d’horreur.
Mais l’effroi quelle m’a procuré était comparable à certaines que j’avais déjà lu (et qui étaient fictives) et que le point de vue et la manière utilisée par l’auteur pour parler de son expérience reste très originale et très différente des récits du même genre.
Direction donc ce mois-ci dans les États-Unis des années 80 à la rencontre de Derf Backderf et de son amiJeffrey Dahmer, un garçon pas comme les autres… (1)
« Ein Schrei wird zum Himmel fahren
Schneidet sich durch Engelsscharen
Vom Wolkendach fällt Federfleisch
Auf meine Kindheit mit gekreisch »Rammstein – Mein Teil (Extrait de l’album Reise, Reise – 2004) (2)
Tout d’abord, qui est Jeffrey Dahmer ? Je ne vais pas m’étendre sur la vie de ce triste individu, si vous voulez vraiment en savoir plus, Google est votre ami, Wikipédia aussi et de nombreux documentaires le concernant existent, libre à vous de vous renseigner à votre envie.
Rapidement, Jeffrey Dahmer est un tueur en série américain ayant sévi principalement dans les années 80. Homosexuel refoulé (3), marginal, ayant vécu une enfance difficile, alcoolique, il assassinera dix-sept hommes entre 1978 et 1991, et se livrera sur ses victimes à des actes de viols, de nécrophilie, de démembrements et de cannibalisme.
Il sera arrêté le 22 juillet 1991 quand l’une de ses victimes réussira à lui échapper et alertera une patrouille de police qui passait par là.
Il est condamné en 1992 à 957 ans de prison, soit dix-sept fois la peine maximale pour meurtre.
Contrairement à d’autres tueurs en série qui sont en général manipulateur, menteur et orgueilleux, Dahmer n’a jamais nié ses crimes et les a tous reconnus à la suite de son arrestation, il avoua même être satisfait d’avoir été arrêté, sans quoi il aurait fait d’autres victimes.
Ce fut un prisonnier modèle, jusqu’à son décès, le 28 novembre 1994, jour où il est battu à mort par un autre détenu, Christopher Scarver, un schizophrène convaincu d’être un justicier envoyé par Dieu, à l’aide d’une barre d’haltère alors qu’il faisait le ménage dans le gymnase de la prison. Ironie du sort, c’était avec une barre d’haltère que Dahmer avait tué sa première victime…
Après Jeffrey Dahmer, qui est Derf Backderf ?
John « Derf » Backderf est un journaliste et auteur de comics strips américain.
Après ses études, il étudie l’art mais insatisfait par ses études, les abandonne et retourne vivre dans sa ville natale et devient éboueur.
Il obtient une bourse d’étude pour l’université de l’Ohio où il suivra un cursus de journalisme tout en continuant de réaliser des illustrations pour le journal local. Suite à ces études, il devient journaliste pour un quotidien de Floride mais abandonne cette carrière pour se lancer dans la création d’un comic strip, The City, qui sera publié sans interruption pendant 22 ans dans plus d’une cinquantaine d’hebdomadaires.
Son premier succès critique arrive en 2010 avec la publication de son premier roman graphique, Punk Rock et Mobile Homes (poublié en France aux éditions Ça et Là).
Il commence à travailler sur Mon Ami Dahmer en 1994. Initialement prévu comme une histoire courte, il finira par l’élaborer et l’enrichir de plus en plus tout au long des années suivantes jusqu’à en faire un roman graphique, publié en 2012 aux États-Unis chez Abrams Comics Arts, puis en 2014 en France aux éditions Ça et Là.
Mon Ami Dahmer reçoit de nombreux prix, notamment en France via un Fauve à Angoulême en 2014 – catégorie Révélation – et le prix du polar SNCF la même année.
Mais qu’est-ce qui fait de Mon Ami Dahmer un ouvrage plus intéressant que la pléthore de livres, documentaires ou films consacrés à Jeffrey Dahmer ? Tout simplement le fait que Backderf a connu personnellement Dahmer et était même un de ces amis au collège et au lycée.
Le livre commence donc logiquement avec le premier contact de Backderf avec Dahmer, au collège. Selon Backderf, Dahmer était un adolescent comme les autres, timide, insignifiant, marginal, différent. Le genre qui aurait pu très facilement se fondre dans la masse, comme beaucoup d’adolescents…
Mais comme beaucoup de (futurs) tueurs en série, Jeffrey Dahmer avait de nombreux problèmes : Déjà une famille dysfonctionnelle, avec des parents qui passaient le plus clair de leur temps à se battre et se chamailler. Sa mère était accro aux médicaments et passait par de nombreuses phases de dépression et de crise de nerfs qui la laissaient à bout de force. Dahmer deviendra d’ailleurs « célèbre » dans son lycée en imitant ses crises de nerfs.
Sans repères, souffre douleur de ses camarades, sans soutien parental, Dahmer doit également lutter contre une homosexualité qu’il refoule et n’accepte pas, vivant des fantasmes morbides de nécrophilie…
Backderf insiste longuement tout au long du livre sur ces relations avec Dahmer, ses camarades et lui n’étaient en effet pas tendre avec celui-ci, mais contrairement à d’autres, point de violences physiques envers lui : Moins qu’une réelle amitié, il s’agissait plutôt pour Backderf et ses amis de faire de Dahmer une sorte de mascotte, le mettant régulièrement en scène dans le journal du lycée où en le forçant à s’incruster sur les photos de groupe ou de classe, même quand il n’en faisait pas parti.
Au lycée, il devient alcoolique, consommateur régulier de marijuana et on assiste au travers des souvenirs de Backderf à la longue descente aux enfers de ce jeune homme qui finira par succomber à ses pulsions, tout d’abord en collectionnant dans des bocaux les animaux morts qu’il récupère autour de chez lui, puis en les capturant, torturant et tuant lui-même avant de passer (inévitablement) aux meurtres d’êtres humains, devenant l’un des tueurs en série les plus monstrueux de l’histoire américaine.
Mon Ami Dahmer se conclu sur le premier meurtre du tueur, là encore où certains documentaires ou films aiment appuyer sur le « spectaculaire » des méfaits de ce genre de criminel, Backderf n’en fera rien, n’en dira pas un mot et se contentera de laisser au lecteur le soin d’imaginer le funeste destin de ce pauvre jeune homme qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment…
La plus grande originalité de Mon Ami Dahmer, et qu’il est loin d’être un simple récit biographique : Backderf met sa propre expérience, css propres souvenirs en parallèle avec les méfaits du tueur, les raccordent et les met en rapport.
Loin d’être complaisant ou même de starifier Dahmer, Backderf en dresse un portrait neutre, se contentant de raconter par le prisme de ses souvenirs la vie et le parcours de Dahmer.
Backderf a fait de nombreuses recherches pour la réalisation de Mon Ami Dahmer et n’a pas pris de risque : Par exemple, si il ne connaissait pas ou n’a jamais fréquenté certaines personnes gravitant autour de Dahmer, il n’en parle pas, notamment le petit frère de Jeffrey, que l’on aperçoit succinctement qu’au détour d’une page.
L’honnêteté et la sincérité du récit sont donc exemplaires, ce qui se ressent profondément tout au long du livre et sa narration.
Pour ce qui est des dessins, si vous êtes habitués aux comics « mainstream », vous allez probablement avoir du mal, surtout au début de la lecture.
Le style de Backderf, très influencé par son expérience d’auteur de comics strips, est grossier (dans le bon sens du terme), caricatural et s’affranchit souvent des codes et règles graphiques inhérentes au genre. Loin de desservir le sérieux et le ton de l’histoire, le faciès des personnages, leurs physiques exagérés et surtout leurs expressions, notamment le visage quasiment toujours impassible et sans expression de Dahmer, sont au contraire des arguments et rendent même parfois certaines scènes particulièrement malaisantes, je pense notamment à la scène du chien, monstrueuse par son déroulement et son horrible conclusion.
Tous ces éléments font de Mon Ami Dahmer une œuvre atypique, hors du commun et inclassable. Dans quelle catégorie la ranger ? Policier, drame, thriller ?
Pour moi impossible à dire mais l’effroi et le malaise que l’on ressent en lisant cette bande dessinée est indéniable, me faisant dire que malheureusement, la réalité est toujours pire que la fiction.
Comme je l’ai souligné en début de cette chronique, j’ai horreur de la starification des tueurs en série et j’ai longtemps hésité avant de parler de cette bande dessinée dans cette chronique.
Je me suis d’ailleurs longuement demandé si il s’agissait bien de l’endroit adéquat pour le faire mais après mure réflexion, je me suis dit que si on consacrait à Dahmer des films et des livres, je n’avais aucune raison de ne pas parler d’une bande dessinée dans une chronique consacrée aux comics d’horreur, car c’est un fait, Mon Ami Dahmer est une histoire horrible mais racontée de façon originale et sincère, elle aviait donc toute sa place ici.
Je précise au passage pour finir que cette bande dessinée a été adaptée en film l’année dernière et que je ne l’ai pas vu, vu mon aversion pour le genre.
1 : Si je n’aime pas ce genre d’ouvrage, comment je me suis retrouvé avec ce livre ? Tout simplement par pur hasard, l’ayant trouvé d’occasion à pas cher et me souvenant vaguement en avoir lus une critique sur un site concurrent (mais néanmoins ami) tenu par un certain Bruce.
2 :
3 : Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que l’homosexualité refoulée est un des facteurs qui revient souvent dans de nombreux cas de tueurs en série américain : C’est le cas donc de Jeffrey Dahmer, mais aussi de John Wayne Gacy, Luis Alfredo Garavito (Colombie) ou encore Huang Yong (Chine).
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