Zombie Walk
Des bandes dessinées de zombies, il y en a des dizaines qui ont été publiées depuis que cette mode bat son plein et ce partout dans le monde : Aux États-Unis, en Europe et même au Japon, les morts-vivants mangeurs de chair fraîche font la joie des amateurs d’horreur dessinée (dont je fais partie bien évidemment). Cette profusion ne dérange pas les auteurs qui souhaitent ajouter leur création au mythe et on peut affirmer sans problème que cette mode n’est pas prête de s’arrêter et que ce genre de récits va continuer de proliférer tel un virus mutant sur les étals des libraires.
Mais comme souvent, cette profusion donne lieu à des bandes dessinées de qualité diverses et variées et il faut souvent trier le bon grain de l’ivraie et cela se révèle un véritable sacerdoce…
Heureusement votre serviteur est là pour vous conseiller les bandes les plus intéressantes et c’est ce que je vais faire aujourd’hui en vous parlant de Zombie Walk, une bande dessinée bien de chez nous illustrée et co-scénarisée par un artiste italien de grand talent pour lequel j’ai beaucoup d’admiration, Giuseppe Manunta !
Un après midi de septembre à Strasbourg, une manifestation a lieu au centre ville contre la société pharmaceutique Lenz qui compte mettre sur le marché un anti-coagulant révolutionnaire, le Sarnex. Seulement, il y a un problème et même si en théorie le Sarnex est un composé très enthousiasmant, en pratique c’est une autre histoire puisque dans les faits, il est loin d’être prêt à être commercialisé et l’annonce de son arrivée sur le marché est surtout un prétexte pour rassurer les investisseurs.
Cette manifestation qui rassemble une centaine de personnes est l’œuvre de Rachel, une ancienne employée de Lenz qui compte bien révéler au monde le véritable statut et la dangerosité du Sarnex. Mais durant cette manifestation, alors que Rachel tente de convaincre Frank, son petit ami, lui aussi un ancien employé de Lenz, plusieurs agressions ont lieu, et certains participants sont blessés, mordus…
Cette manifestation va devenir l’épicentre d’une horrible infestation, transformant les infectés en d’horribles créatures mangeuses de chair humaine.
Impossible de parler de Zombie Walk sans parler d’abord de l’artiste aux commandes, le talentueux italien Giuseppe Manunta.
Manunta est donc un artiste d’origine italienne aujourd’hui basé à Strasbourg, ville qu’il apprécie énormément et à laquelle il rend régulièrement hommage dans son œuvre.
Il est né à Naples en 1968 et après une formation artistique classique aux Beaux Arts, il se spécialise dans la bande dessinée dans la prestigieuse Scula Internationale de Comics à Rome.
Au milieu des années 90, il publie sa première création, Giunchiglia, une histoire de fantaisie érotique prenant pour cadre les légendes irlandaises.
Dans les années qui suivent, il travaillera surtout pour les magazines érotiques italiens Blue et Selen (on peut retrouver certaines de ces histoires en français dans les albums anthologiques du même nom, les tomes 27 et 28 Selen Présente… pour être plus précis, publiés par Vents d’Ouest). Début 2000, il s’exporte à l’international et travaille pour les magazines Penthouse Comix et Heavy Metal.
Même si en France il est surtout connu pour ses productions érotiques, Manunta a touché à un peu tous les styles : La fantaisie donc avec Giunchiglia et Le Seigneur d’Arkham, le péplum avec Artémis, le policier avec Sherlock Holmes (dans lequel le célèbre détective fait une escale à Strasbourg, la ville de cœur de Manunta) mais aussi l’horreur avec Noir sur Blanc, une histoire d’ésotérisme et évidemment Zombie Walk, sur lequel on va revenir plus bas.
Depuis 2017, il dessine la série d’aventure Maxime Valmont avec son comparse Roger Seiter avec qui il avait déjà collaboré sur Sherlock Holmes.
Comme vous pouvez le constater plus haut, Giuseppe Manunta est un artiste à l’aise dans tous les styles, son trait élégant et ses personnages expressifs étant immédiatement reconnaissables (1). C’est pour ma part l’un des artistes européens que j’apprécie le plus et dont je suit la carrière avec assiduité.
Après cette rapide présentation, revenons à l’horreur et à Zombie Walk, série en deux tomes publiée en 2013 et 2015 en France aux Éditions du Long Bec.
When there’s no more room in hell
Then the dead will walk the Earth
And the living won’t have a prayer
Cause it’s the dawn of the dead
Can’t you see what this world’s become?
When the dead feast off the living, yeah
And we’re about to join the funMurderdolls – Dawn of the Dead, extrait de l’album Beyond The Valley of the Murderdolls (2002)
Zombie Walk compte pour le moment deux tomes, tous deux scénarisés et dessinés par Giuseppe Manunta, assisté pour le scénario du premier tome par Fabrice Linck.
Dans les deux tomes on suit les tribulations de Frank, le petit ami de Rachel, un des scientifiques ayant travaillé sur le Sarnex, et une femme surnommée Alpha 9, une des commandos ayant eu (au début) l’ordre de capturer Frank mais qui a fini par se rallier à lui.
Dans le premier tome, on assiste aux efforts de Frank, Rachel et Alpha 9 pour sortir de Strasbourg et échapper aux commandos ayant pour ordre de les capturer. Leurs mésaventures vont les conduire aux quatre coins de la ville et leur faire faire des rencontres plus ou moins profitables. De plus, le rôle de Frank dans cette épidémie se fera de plus en plus étroit au fur et à mesure du récit et la présence du monstrueux « Mister-K » dans les rues de Strasbourg, un des sujets de test du Sarnex, le mettra plus que jamais face à ses erreurs…
En lisant ce premier tome de Zombie Walk, on peut en déduire plusieurs choses : La première c’est que Manunta adore la ville de Strasbourg ! Les coins de rue, les boutiques etc, tout y est représenté avec une fidélité qui force le respect. Je ne suis allez à Strasbourg qu’une seule fois mais de ce que j’y ai vu, ça ressemblait manifestement beaucoup à ce que l’on voyait dans la bande dessinée, les zombies en moins évidemment !
Niveau dessins, ce premier tome est dessiné dans un style crayonné. Assez déstabilisant au début (surtout lorsque l’on est comme moi habitué au style coloré de Manunta), celui-ci passe plutôt bien au bout de quelques pages et au final se révèle adapté a l’approche horrifique et gore de l’histoire, lui donnant un aspect « sale » assez original.
Pour les connaisseurs et fana de culture fantastique, Zombie Walk est truffé de clins d’œil et de références : Que se soit ce zombie sosie de George Romero, les affiches du Festival du Film Fantastique de Strasbourg qui parsèment les rues (le créateur de ce festival écrivant d’ailleurs la postface de la bande dessinée), ce singe zombie qu’on croirait directement issue de 28 Jours Plus Tard ou bien les références évidentes à Resident Evil (impossible de ne pas faire le lien entre la société Umbrella et la société Lenz), Zombie Walk, en plus d’être une histoire bien rythmée et haletante, revendique et étale ses références avec passion, sans que celles-ci ne deviennent jamais envahissantes et ne changent la propre personnalité du récit.
En résumé, ce premier tome de Zombie Walk est un récit de zombie maîtrisé qui même si son scénario n’est pas des plus originaux marque sa différence avec sa localisation française, son rythme effréné et son style graphique : En résumé, une lecture plus que recommandable (surtout pour les Strasbourgeois !).
Pour parfaire le tout, la bande dessinée (ainsi que son second tome d’ailleurs) est proposée dans un format comics avec softcover.
Le second tome est sous-titré L’Espoir et se situe quelques jours après les événements finaux du premier tome : [SPOILER : Nos héros ont réussi à fuir Strasbourg à bord d’un dirigeable] Frank et Alpha 9 et échoué en Italie, près de Turin et font route vers Gênes. En parallèle, on suit le destin de René et Laura, deux habitants de Gênes qui eux aussi font aussi tout leur possible pour survivre.
La situation en Italie n’est pas meilleure que celle en France : L’épidémie à violemment touché le pays et les quelques survivants tentent d’embarquer à bord des quelques bateaux qui promettent de les emmener vers des endroits sûrs. Ces embarquements se font souvent dans la douleur, comme le constaterons amèrement René et Laura.
Toujours en chemin vers Gênes, Frank et Alpha 9 vont de rencontres en rencontres, parfois providentielles, parfois beaucoup moins…
Alors que les deux duos pensent avoir trouvé chacun de leur coté un havre de paix, la réalité de la nature humaine va très vite leur revenir en pleine figure.
Second tome et suite directe du premier tome, on est en terrain connu puisque après avoir rendu hommage à la ville de Strasbourg, Manunta localise son histoire à Turin et Gênes et là aussi on sent bien que le dessinateur aime ces villes, tant la fidélité des décors est encore à la fois remarquable. Contrairement à Strasbourg, je ne suis jamais allé dans ces deux villes mais je ne doute pas que l’artiste les a reconstitué avec fidélité.
Idem pour les références, toujours présentes : Que se soit Alpha 9 et son bras mécanique qui ne sont pas sans rappelé le personnage de Merle dans Walking Dead, le Roi du Château, sorte de version perverse d’Ézéchiel du même comics, le zombie géant et obèse directement inspiré par celui de Resident Evil 6 et les corbeaux (indissociable également de cette licence de jeux vidéos), la culture zombie est évoquée de part et d’autre du récit pour les plus observateurs. D’autres références plus larges sont également présentes, comme ce capitaine d’un des bateaux de survivants qui est un sosie de Corto Maltese ou l’affiche pour le festival de bandes dessinées érotique Ces Pages d’Amour. Là encore les références sont évidentes, sans toutefois trahir l’originalité du récit.
En ce qui concerne le récit justement, contrairement au premier tome qui se focalisait surtout sur la fuite de nos héros, ici l’histoire est plus profonde, les personnages plus nombreux et prend plus le temps de poser les caractères et enjeux des personnages. Malgré cela, l’action et le gore sont toujours au rendez-vous et le tout est suffisamment rythmé pour maintenir le lecteur en haleine.
De plus la fin ouverte laisse sous entendre une suite inévitable que j’attends personnellement avec impatience.
Visuellement, il y a par contre eu une évolution : Le style est toujours crayonné, mais Manunta opte cette fois-ci pour un style noir et blanc au trait plus fin avec de grands aplats de noir. C’est visuellement plus agréable et force est de constater que le style de l’artiste y gagne en lisibilité et en clarté. Très honnêtement, ce tome 2 est de loin beaucoup plus abouti à ce niveau que le premier.
Ce second volume est la suite logique du premier, et je trouve, la surpasse sur tous les points et vu qu’un tome 3 semble inévitable, on ne peut qu’être impatient pour la suite.
Difficile de faire dans l’originalité avec une bande dessinée de zombies, tant l’affluence de ce style et le poids de certaines œuvres emblématique (une certaine série de Robert Kirkman et Charlie Adlard) débouche inévitablement sur une comparaison.
Mais Manunta réussi à marquer son originalité en localisant son action et en y ajoutant une dose de fan-service discrète mais appuyée. Ajoutez-y son style de dessin inimitable et vous obtenez une bande dessinée d’horreur originale et passionnément réalisée. Un très bon moment d’horreur dessiné, que je conseille ardemment.
Zombie Walk, de Giuseppe Manunta disponible en deux tomes aux Éditions du Long Bec depuis 2015.
1 : Pour pouvoir apprécier pleinement son talent, je vous conseille son artbook, Fantasy Art, qui est de toute beauté.
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