Hate, Chroniques de la Haine
Comme tous les ans à cette époque, les Jeudis prennent leurs quartiers d’été ! En gros, ça ne signifie pas la disparition de votre rubrique pour la période estivale, mais juste une baisse de régime de votre serviteur. Donc pas de gros dossier ou d’article volumineux, juste une petite review d’un comic pas piqué des hannetons afin de ne pas oublier que même pendant l’été, les monstres et autres épouvantables créatures restent à l’affût dans votre bibliothèque et que tout monsieur (in)loyal que je suis, je continue de vous faire découvrir des comics horrifiques même durant les grosses chaleurs, pour peu que les zones d’ombres de ces univers glauques vous fassent frissonner de peur, à défaut de froid. Et de zones d’ombres il en est question ce mois-ci avec Hate, Chroniques de la Haine de Adrian Smith.
« The rebirth is near completion
As we slowly awaken from slumber
To receive the light that shines in darkness
The light that shines forevermore
Forevermore»Dimmu Borgir – Gateways (Extrait de l’album Abrahadabra, 2010) (1)
Hate est un monde sombre, qui est décrit comme dépourvu de nature, les arbres et autres animaux ayant depuis longtemps laissé la place à des déserts de rochers et de pierres. Comme si ça ne suffisait pas, le soleil ne brille presque plus, plongeant la Terre dans une obscurité presque permanente. Dans ce monde froid, sombre et désespérant, les hommes vivotent tant bien que mal : Les quelques humains restant réduisent en esclavage les autres créatures, asseyant ainsi une supériorité relative. Le chef des humains, un colosse barbu peu loquace est juste surnommé « Le Tyran ». Quand aux autres êtres vivants terrestres, la plupart ont muté, devenant d’informes créatures, ceux-là même asservis par les hommes et d’autre tribus de mutés plus forts.
Et c’est le destin d’une de ces misérables créatures que nous allons suivre.
Hate nous raconte donc les mésaventures d’une pauvre créature silencieuse prénommée Vers, qui va malgré lui et à l’instar d’un Bilbo Baggins dans Le Seigneur des Anneaux, devenir le sauveur d’une terre déchirée par des batailles sanglantes entre plusieurs peuples.
Un soir, alors qu’il sert la nourriture à son maître, Vers va voler un parchemin révélant l’emplacement d’un pouvoir si puissant qu’il peut déstabiliser l’ordre en place et faire de celui qui le détiendra, une sorte de messie. A peine a t’il mis la main sur le parchemin, qu’une déesse de la nature apparaît, lui révélant qu’il doit à tout prix mettre la main sur ce pouvoir. Flanqué de la déesse et de quelques infortunés compagnons rencontrés en chemin, notre héros part en quête de trois clés, permettant d’ouvrir le lieu où se trouve le pouvoir : Notre pauvre bougre mal-formé va devoir traverser monts, forêts, marais et collines entachées par la guerre, envahis de montres, morts-vivants et de guerriers tous plus sanguinaires les uns que les autres afin de s’acquitter de sa quête.
Je vous vois en train de vous dire (mais oui, vous deux, là, les deux au fond qui lisez mensuellement ma rubrique et écrivez des commentaires avec plusieurs comptes différents pour me faire croire que je suis beaucoup lu. Il faut arrêter d’ailleurs, ça a beau flatter mon ego, c’est pas très sympathique… En fait, si : Continuez.) « Mais attends, il est en train de nous parler d’héroïque fantaisie là le bougre ! On veut de l’horreur nous, des têtes qui explosent, des monstres dégueulasses, des zombies et des femmes à poils (= Des femmes nues, pas des femmes avec des poils partout) » et bien calmez-vous mes (deux) lecteurs, tout ça et bien plus, il y en a dans Hate, et même plein !
Hate c’est donc un graphic novel (un nom plus cool pour ne pas dire comic, très utilisé dans des magazines très « In » comme les Inrocks ou Télérama), publié par Top Cow aux USA, Glénat en France et c’est écrit et dessiné par Adrian Smith et si ce nom ne vous dis rien, c’est normal : Dans les comics, Adrian Smith et bien, il a pas fait grand chose…
Adrian Smith est en fait un illustrateur anglais travaillant principalement pour le studio de jeux de rôle Games Workshop, notamment sur la série Warhammer et Warhammer 40K où il a contribué avec Ian Miller, un autre illustrateur, à créer cette ambiance sombre et glauque depuis indissociables de cette série.
Depuis quelques années, Adrian Smith travaille avec Pat Mills sur une bande dessinée, Broz, qui est à l’heure actuelle toujours inachevée… Le tome 1 est sorti début 2005, le tome 2 en décembre de la même année et le tome 3 devait sortir en… 2012 et on l’attend toujours.
Adrian Smith a également dessiné quelques cartes du jeu Magic The Gathering et de nombreuses illustrations pour le magazine Toxic !
Le style de Adrian Smith est immédiatement reconnaissable : Sombres, glauques, malsains et détaillés, ces dessins sont de toute beauté, parfaits exemples de ce qu’est la Dark Fantasy. Je vous conseille d’ailleurs son artbook, The Art of Adrian Smith, sorti en 2003 qui est sublime. Mais revenons à Hate.
La première chose qui frappe lors de la première lecture de Hate, c’est la quasi-absence de dialogues : On a au pire 5 ou 6 bulles toutes les dix pages et tout l’accent est mis sur les illustrations.
Dans un noir et blanc aux teintes de gris d’une noirceur terrifiante, Adrian Smith nous montre un monde sombre, cruel et monstrueux dans lequel la loi du plus fort et la seule qui existe permettant de survivre et de se faire respecter.
L’aspect gigantesque des créatures de cet univers tranche radicalement avec l’aspect de notre héros : Petit, malingre, monstrueux et doté de trois jambes (ce qui, on le comprend vite, lui permet de courir plus vite et d’ainsi se sortir de plusieurs situations périlleuses), il est l’exact contraire de la plupart des personnages de l’histoire.
L’ambiance générale de Hate et très désespérante : On sent bien que la plupart des tribus qui s’affrontent dans cette histoire sont usées et fatiguées par ces guerres qui n’en finissent pas. L’atmosphère sombre, lourde, glacée et suffocante est palpable dans chaque page, dégageant un sentiment pessimiste, autant que le sont les personnages qui au final, s’affrontent pour obtenir un pouvoir dont au final il ne savent quasiment rien, la seule chose étant qu’il peut, apparemment, changer la face du monde.
Il est donc presque comique que la seule personne pouvant changer cela soit une des créatures les plus pathétiques qui soit.
Le récit est certes classique, mais du coup se concentre sur l’essentiel et ne s’encombre pas de subtilités : C’est classique, mais efficace.
Visuellement, c’est juste somptueux : Adrian Smith démontre son talent pour dépeindre des univers de fantaisie sombre et violent à chaque page. Ces personnages sont énormes, bardés d’armures détaillées et les scènes de batailles dantesques, fourmillant de soldats et de créatures gigantesques massacrant à tour de bras.
Cette opulence de détails a malgré tout un revers : Ajouté à l’ambiance sombre, on peine parfois à réellement saisir le déroulement de certaines scènes et il n’est pas rare de devoir reprendre quelques pages passées et de bien scruter chaque détail pour être sûr de ne pas avoir loupé quelque chose. Très honnêtement, je suis très souvent revenu en arrière à cause de cette raison et du coup, malgré le fait que l’histoire soit quasiment dépourvue de paroles, la lecture m’a pris beaucoup de temps… Mais bon, je suis comme ça, je suis un perfectionniste, la lecture de Hate m’ayant, dans un genre différent, rappelé la lecture du Seigneur des Anneaux il y a une vingtaine d’années (oui, je suis vieux), où, dans le même genre, il n’était pas rare que je revienne en arrière, voir allant parfois jusque prendre des notes pour me remettre en tête certains événements et personnages.
Malgré ces quelques menus défauts, Hate est une lecture prenante, on est vite happé par ce monde sombre et attirant à la fois et vite plongé au cœur de ces batailles sanglante et le parcours de notre infortuné et monstrueux héros.
Un dernier mot pour finir sur l’édition française : éditée par Glénat, la version française est en hardcover, grand format, papier glacé et flanquée d’une couverture en relief de toute beauté. L’éditeur a visiblement dû se rendre compte de la densité de lecture que cela représentait car il a eu la très bonne idée d’y ajouter un marque page.
Le livre se conclu par trois histoires qui, si j’ai bien compris, racontent succinctement l’histoire des trois chefs de clans qui s’affrontent dans le livre ainsi qu’une galerie d’illustrations et des couvertures originales.
Hate et donc un véritable ovni dans le monde des comics : Dépourvu de dialogues, illustré de façon admirable, il s’agit d’un pur récit de Dark Fantasy comme on en voit trop peu depuis trop longtemps. De ce fait, il ravira les fans des multiples récits de Conan Le Barbare de la grande époque, des aficionados de la revue Heavy Metal et des amateurs de fantasy en général.
Une lecture plus que recommandable, parfaitement éditée en France : Un must read, assurément !
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