Béni soit le Fruit Défendu

« Whenever I’m alone with you 
You make me feel like I am home again 
Whenever I’m alone with you 
You make me feel like I am whole again »

The Cure – Lovesong

En 1996 j’étais sur le point d’avoir 20 ans, et cette année là, j’eu l’opportunité et même la chance (si l’on remet les choses dans leur contexte) d’aller au cinéma voir mon premier « film lesbien » (le terme ne veut plus dire grand chose de nos jours, comme celui de « Geek » d’ailleurs, mais vous repasserez pour que je change le nom de ce blog ^^).
Ce film c’était When Night Is Falling de la Canadienne Patricia Rozema, il était diffusé dans le cadre du Printemps Lesbien de Toulouse.
Je ne saurais pas vraiment vous retranscrire tous les états par lesquels j’étais passée en voyant ce film, mais ce qui était sûr c’est qu’en le voyant je me sentais enfin chez moi, en sécurité, je savais que j’avais encore beaucoup de chemin à parcourir mais cette voie là avait déjà un semblant de topographie, c’était déjà ça.
When Night Is Falling évoquait dans un ton assez onirique et poétique le sujet de la découverte de soi et de son homosexualité alors même que l’on est issu d’un milieu totalement rigide et hermétique (ici religieux pour Camille, l’une des deux protagonistes principales) et régit par des règles à ne surtout pas franchir. La tension est palpable tout au long du film, on ne peut pas en deviner le dénouement, mais celle-ci est apaisée de façon salvatrice par les interactions liées à l’univers du cirque dans lequel évolue l’autre héroïne de ce film, Petra.

Le film Désobéissance (Desobedience en VO) que nous offre le Chilien Sebastián Lelio (réalisateur qui a largement pu témoigner de sa fibre pro-féministe et LGBT tout au long de sa filmographie) et adapté du roman de Naomi Alderman, reprend les mêmes idées narratives que When Night Is Falling en les exploitant à l’inverse (je doute que cela soit volontaire).
On ne peut en effet nier les corrélations entre ces deux œuvres cinématographiques qui à la fois s’opposent et se complètent (et auxquelles l’on devrait ajouter le film tout aussi puissant Fire de la réalisatrice Deepa Mehta qui décrit tout autant le sort de la femme lesbienne ou tout du moins Queer face à l’Institution religieuse et sociétale en Inde).

Désobéissance décrit le retour et la confrontation entre Ronit (incarnée à la perfection par la magnifique Rachel Weisz), photographe vivant à New-York (et totalement émancipée, cela va sans dire) et la communauté juive-orthodoxe du nord de Londres dont elle est issue, suite au décès de son père, oh Grand Rabbin Patriarche, figure à la fois omnipotente et paternaliste.
En exil depuis des années, la jeune femme découvre rapidement que Dovid (Alessandro Nivola) son meilleur ami et fils spirituel de son propre père est désormais marié à la femme pour qui elle a dû soudainement tout quitter : Esti.

L’un des plus beaux atouts de ce film réside dans le fait qu’il ne se contente pas de décrire l’histoire d’amour problématique entre Ronit et Esti (Rachel McAdams), mais de contextualiser la relation très conflictuelle et inachevée que l’héroïne entretenait avec son père.
Entre fracture idéologique, non-dits, séparation et rejet de toute filiation, la frustration et le malaise que ressent la jeune femme se manifeste dans toutes ses réactions, ses réparties (la plupart du temps pleines d’esprit et d’ironie, en total décalage avec l’univers policé qu’elle a fuit) et faits et gestes (le port de la perruque, symbole de l’uniformité et totale transparence des femmes dans ce milieu, et que l’on peut retrouver dans la plupart des communautés religieuses sous différents codes vestimentaires).

 

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que Désobéissance est loin d’être un pamphlet anti-religieux. Il prend le temps d’explorer les rites, processions, traditions de cette communauté qui se retrouve perturbée par le retour d’une brebis galleuse, et met en avant le côté pervers d’un système vivant replié sur soi.
On retrouve ce schéma dans de nombreuses situations, de la barre d’immeuble dans les quartiers nord de Marseille au village de 800 habitants perdu dans les causses du Larzac. La différence est souvent une source de rejet, et le film de Sebastián Lelio arrive justement à ne pas sombrer dans des poncifs radicaux, grâce notamment au personnage de Tante Fruma, un appui salvateur pour Ronit dans bien d’occasions.

Le parcours de Dovid dans le film est tout aussi intéressant, un scénario fainéant et binaire pourrait en faire le méchant idéal qui chercherait à assouvir sa masculinité de part son statut privilégié, il n’en est rien.
La pression de sa communauté est quelque part aussi forte sur lui que sur Ronit, alors qu’il est sur le point d’accéder au statut ultime dont il a consacré toute sa vie, contrairement à son amie qui est allé jusqu’à l’exil pour en échapper.

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Et puis, évidemment, il y a le cœur de ce film, la romance entre Ronit et Esti. Entre celle qui a su partir il y a des années par rébellion et dépit, et l’autre qui s’est trouvé une raison de survivre, du moins pendant une période. Se marier avec son meilleur ami ce n’était pas si mal après tout. Faire l’amour avec lui tous les vendredi, un rituel nécessaire.
Les spectateurs de The Handmaid’s Tale auront surement reconnu de nombreuses similitudes avec Désobéissance, et ce à juste titre.
Le fait est que le personnage totalement effacé d’Esti en début de film va se révéler à chaque minute, à tel point que l’on est à se demander si ce n’est pas elle la véritable héroïne. Loin de moi l’envie de vous spoiler soit dit en passant…

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Désobéissance est un film qui va à long terme avoir un réel impact sur la filmographie / iconographie des LGBT au cinéma. Celui-ci – et il est très difficile de passer à côté –  comporte une scène de sexe lesbien absolument dantesque (et qui s’interprète comme étant un instant intégralement libérateur pour ses protagonistes) et qui a le mérite de faire oublier l’horreur pornographique voyeuse balancée par Abdellatif Kechiche dans La vie d’Adèle.

Autant d’arguments pour vous inciter à aller voir ce film sorti le 13 juin dernier dans toutes les bonnes salles…

4 commentaires sur “Béni soit le Fruit Défendu

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  1. When the night is falling! j’avais été attiré par l’affiche tout d’abord, le thème ne m’avait pas interpellé, mais les actrices étaient touchantes et magnifiques. Désobéissance, il y a deux Rachel que j’adore, je vais donc le visionner. J’aime bien les histoires d’êtres humains qui s’aiment.
    Bravo pour ce long article plein de bonnes choses!

  2. Personnellement, la scène de sexe entre les deux, et notamment un certain passage, m’a plutôt dérangée, ça faisait un peu scène de cul d’un porno entre un mec et deux femmes repris et remis dans ce contexte de scène sensée libérer et connecter encore plus les deux protagonistes. Le reste du film en soit est très bien (mis à part quelques longueurs mais ça c’est sûrement un ressenti personnel car j’étais très fatiguée quand je suis allée le voir ^^) mais ce fameux passage de la scène de sexe m’a vraiment dérangé je ne voyais pas son utilité à la scène, si ce n’est faire bander les mecs cis hétéro?

    1. Je vois bien ce que tu veux dire car c’est exactement ce que j’avais ressenti en allant voir La Vie d’Adèle à l’époque.
      Ici j’ai trouvé que ça passait beaucoup mieux

  3. Je pense, comme toi, que ce film laissera sa marque dans le cinéma LGBT. La tension qu’il y a entre Ronit et Etsi et qui se fait de plus en plus présente tout au long du film est encore plus accentuée par la lourdeur de leur environnement, le silence et le gris qui les entourent. Je suis allée le voir hier au cinéma, je l’ai revu aujourd’hui. Et je crois pouvoir dire que cette histoire est dévastatrice, en tout cas pour moi.
    [Spoiler]: même si une fin plus heureuse aurait été trop attendue, c’est super frustrant !

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