Les Jeudis de l’Angoisse (des Comics) #40

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Freaks of The Heartland

Un thème qui revient souvent dans la culture horrifique, c’est celui du monstre humain, le freaks. J’en avais déjà rapidement parlé dans mon Jeudi consacré à Freaks, La Monstrueuse Parade / La Foire aux Monstres (toujours lisible ici pour ceux que ça intéressent) et je vais de nouveau m’y intéresser ce mois-ci au travers d’un comic dont je voulais vous parler depuis longtemps, un comic hors des sentiers battus de par son approche originale du sujet et qui pose plusieurs questions intéressantes : Quelle est vraiment la définition du monstre, est-ce que ce terme est vraiment péjoratif ou n’est-il qu’un mot pour designer un physique ou un comportement ? Freaks of the Heartland, c’est toutes les réponses à ces questions et bien plus encore, et tout ça dans un seul comic.

Mais avant toute chose, revenons rapidement sur le thème du freak et de quelle façon il a été traité dans la culture horrifique, principalement au cinéma et à la télévision.

And I’m not fooling no-one
I know you think you’d win
But I won’t pay for your sins
My monsters keep me company
And I’ll never be lonely
They will keep me safe
Protected from harm
Monsters keep me company
Until I will set them free

LordiMonsters Keep Me Company, extrait de l’album Deadache (2008)

Freaks of the Heartland prend pour point de départ un des thèmes chers à la culture horrifique, principalement américaine d’ailleurs, presque une légende urbaine, celui du monstre caché.
Il s’agit d’un des thèmes qui revient le plus souvent au cinéma ou dans les séries télévisées du genre fantastique ou horrifique : Celui de l’enfant difforme et repoussant que l’on cache dans le grenier ou la cave, souvent par honte et ou parce qu’on le pense dangereux.
Quasiment toutes les séries télévisées fantastique (ou non d’ailleurs) contiennent un épisode ayant comme point de départ ce genre d’histoire. Les exemples sont nombreux, mais on notera notamment un des épisodes de la série X-Files, Aux Frontières du Réel titré La Meute, épisode dans lequel nos deux agents spéciaux du FBI se retrouvent confrontés à une famille de fermiers atteinte de diverses malformations.
La cultissime séries Les Contes de la Crypte aura quelques épisodes usant également de ce point de départ, le meilleur épisode (selon moi) étant La Dernière Émission, épisode durant lequel un pédopsychiatre animant une émission de radio décide de se rendre chez ses auditeurs afin de régler leurs problèmes avec leurs enfants, mais sa première émission dans le genre va lui faire rencontrer une enfant bien particulière… A noter que dans cet épisode, la mère de l’enfant « spéciale » est interprétée par Zelda Runbinstein, actrice culte du cinéma fantastique pour avoir interprétée Tangina Barrons dans la trilogie Poltergeist.
Plus récemment, la série Fringe aura également un épisode de ce style dans sa saison 2, titré le Village des Damnés.
Les feuilletons comme la Quatrième Dimension ou Au-Delà du Réel ont aussi un ou plusieurs épisodes sur ce thème, par exemple dans la saison deux de la série Au-Delà du Réel, L’Aventure Continue, un épisode titré Sélection pas Très Naturelle reprend directement ce thème au travers d’un point de départ futuriste sur l’eugénisme.
La série American Horror Story a quant à elle beaucoup utilisé ce thème et l’utilise d’ailleurs quasiment à chaque nouvelle saison, comme thème central ou secondaire, il semblerait d’ailleurs que la future saison 7 sera basée sur ce thème.

Dans le cinéma, c’est un thème archi-utilisé et je dirais même usé jusqu’à la moelle : Les films ayant ce genre d’histoire ont souvent les mêmes ressorts scénaristiques, à savoir donc un ou plusieurs enfants difformes ou monstrueux, cachés et qui souvent se vengent de manière plus ou moins directe et violente. Le tout est souvent couplé à une histoire de secret populaire du genre « Tout le monde le sait mais personne ne dit rien ».
Les exemples de films ne manquent pas, citons notamment le fameux et mythique film de Bob Clarck, Black Christmas (1974), la saga Vendredi 13, The Unborn / Né Pour Tuer / Baby Blood (titre au choix) de Roger Corman (1991), le film culte de Larry Cohen de 1974, It’s Alive (Le Monstre est Vivant) et ses multiples suites et son (mauvais) remake de 2008. Notons également que le (très) bizarre premier film de David Lynch, Eraserhead, a également comme point de départ la naissance d’un enfant monstrueux.

Mais les monstres cachés n’ont pas toujours le mauvais rôle : Ceux qui ont grandi dans les années 80 ont très certainement en tête le sympathique Sinok du film de Richard Donner, Les Goonies (1985).

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Sinok et les Goonies

Comme vous pouvez le constater, dans la culture fantastico-horrifique, le thème de l’enfant monstrueux est un thème très largement utilisé depuis des décennies, mais qu’en est-il des comics ? L’un des premiers exemples est sans aucun doute le personnage du Pingouin, emblématique ennemi de Batman et bien sûr les X-Men, même si pour ces derniers, même monstrueux, les mutants finissent le plus souvent soit avec un justaucorps bleu, soit dans la défroque d’un ennemi.
Était il nécessaire de parler encore de Batman ou des mutants Marvelien dans cette rubrique ? Très honnêtement, je ne pense pas, d’autres le font mieux que moi et c’est en fouillant dans mes archives horrifiques que j’ai trouvé un comic plus en adéquation avec le sujet, Freaks of The Heartland, de Steve Niles et Greg Hurth.

Au travers de l’exemple de Sinok cité plus haut, on a là le parfait point de départ pour aborder Freaks of the Heartland : Et si un physique monstrueux ne faisait pas d’un être quelqu’un de forcément monstrueux et qu’être un « monstre » était quelque chose de plus subtil ? C’est à cette question que répond ce comic, et de manière admirable.

Trevor est un jeune garçon de la campagne, il vit dans une ferme isolée avec ces parents. Son père est un homme violent et alcoolique, sa mère une femme effacée et continuellement triste. Mais Trevor n’est pas vraiment seul car même si son père lui interdit de fréquenter les autres enfants des fermes alentours, Trevor a Will, son petit frère, a qui il se confie lorsqu’il doit lui amener à manger. Mais Will n’est pas un frère comme les autres, bien que plus jeune que Trevor, Will est pourtant d’une taille démesurée, au physique imposant et à la tête exagérément déformée. Will vit enchaîné dans la grange, caché de tous et ne s’exprime que par des bribes de mots. Néanmoins, Will a créé avec Trevor un lien très fort, une amitié fraternelle qui va bien au delà des apparences.

Mais dans le voisinage, des rumeurs traînent et en grandissant Trevor commence à en prendre conscience, quand un voisin dit avoir dû tuer sa fille car elle avait attaqué un de ses cochons, Trevor fait vite le lien avec les visions de Will : Il semblerait que Will ne soit pas le seul enfant « différent » dans le voisinage.
Lorsque son père se met en tête de se débarrasser de Will une bonne fois pour toute, Trevor s’oppose à son père et commet l’impensable. Will et Trevor s’enfuient, en quête des autres enfants qui comme Will, ont trop longtemps vécus dans le secret des caves et greniers. Mais le shérif et quelques adultes du village ne l’entendent pas de cette oreille et comptent bien régler leur compte à cette bande de « monstres »…

Freaks of the Heartland est donc une mini-série en 6 numéros publiée de janvier à novembre 2004 aux États-Unis par Dark Horse et en France en un seul volume par Semic en décembre 2007.
C’est écrit par Steve Niles (un des habitués, que dis-je, un des piliers de cette rubrique, je vous renvoie donc aux précédents Jeudis de l’Angoisse (Des Comics) pour plus d’informations sur le bonhomme, notamment ici) et c’est dessiné par Greg Ruth.

Si le nom de Greg Ruth ne vous dit rien, c’est normal : Le monsieur n’est pas très prolifique dans le monde des comics et est plus connu comme illustrateur, notamment pour des couvertures de romans ou des illustrations intérieures. Il a néanmoins dessiné quelques comics comme l’excellent The Lost Boy (qu’il a également écrit et que je vous conseille très fortement), Alabaster ou encore quelques épisodes de Conan.

Avec Freaks of the Heartland, on est donc complètement dans le thème du mois : Des « monstres » vivent cachés dans les fermes d’une petite bourgade, qui sont-ils, d’où viennent-ils ? Ces questions n’auront pas vraiment de réponses directes dans le comic et dans le fond, ce n’est pas ça le plus important car le plus important, c’est surtout notre interrogation et notre vision à nous de ce qu’est vraiment un monstre et c’est ce thème que va vraiment développer cette mini-série.
Sur le fond d’un scénario bateau et classique du genre, Steve Niles va une nouvelle fois prendre à contre-pied les poncifs du genre avec tout ce qui fait sa marque de fabrique : Des personnages travaillés et touchants mais surtout une véritable réflexion sur la façon dont nous considérons et voyons la différence physique. Freaks of the Heartland, bien plus qu’une histoire de montres, c’est une véritable interrogation sur nous-même et notre société : Comment considérons-nous les gens au physique différent, sommes-nous capable de voir au-delà de l’apparence, même lorsque celle-ci répond à la définition même de ce que la société qualifie de monstrueux ?
En plus de cette réflexion, on a aussi droit à une véritable image exacerbée de notre société moderne, synthétisée dans l’image de cette petite bourgade perdue, sorte de microcosme dans lequel se cristallise toutes nos peurs et réticences sur la différence physique de notre société, à la fois moderne mais encore en retard sur ces questions d’apparence. Je pense d’ailleurs que la volonté de Steve Niles de ne pas avoir datée son histoire est une bonne idée car ont ne sait pas vraiment quand se passe l’histoire : A notre époque, dans le passé, dans une communauté du genre Amish ou mormone ? Cet aspect intemporel renforce le coté universel des réflexions voulu par l’auteur et s’avère être plutôt bienvenu.

Qu’est-ce qu’est vraiment un monstre, celui dont le physique le différencie des autres ou de part les yeux de celui qui le perçois comme tel ? Ou bien est-ce peut-être celui qui considère les autres comme des monstres, Freaks of the Heartland, c’est cela, une véritable interrogation sur nous-même et notre perception de ce qu’est vraiment un monstre et encore une fois, Steve Niles nous fait nous interroger de façon limpide au travers de ces personnages, subtilement écrits et surtout touchants.

Sur un postulat classique, Steve Niles nous force donc à nous interroger sur nous-même et tout cela au travers d’une simple histoire de « monstres », une prouesse, véritablement.

D’un point de vue visuel, Greg Ruth livre un travail de toute beauté : ses personnages et environnements sont à la fois réalistes et hors du temps : Il ressort donc des planches un aspect fantasmagorique, voir presque onirique à certains moments. Souvent très sombre, parfois claire jusqu’à la saturation, l’artiste joue avec une palette de couleurs pastel et sépia particulièrement impressionnante de maîtrise. Difficile de vraiment qualifier la qualité des planche de Greg Ruth autrement qu’avec les quelques exemples qui égayent cette chronique qui à eux seuls parlent d’eux même.
Visuellement, Freaks of the Heartland est tout juste de toute beauté.

Alliant scénario à la fois simple et subtil à une partie graphique de toute beauté, Freaks of the Heartland est un comic d’exception qui prend à contre-pied les histoires de monstres de ce genre pour nous livrer une véritable réflexion sur nous même et notre perception de ce qu’est vraiment un « monstre ». Une réussite de plus à ajouter au tableau de chasse de Steve Niles qui est décidément un auteur à plusieurs facettes et dont je ne finirais apparemment pas de si tôt de couvrir d’éloges.

Freaks of the Heartland de Steve Niles et Greg Ruth, disponible en édition reliée VO chez Dark Horse depuis juillet 2005 et en français depuis décembre 2007, publié par feu Semic.

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