Massacre à la Tronçonneuse, première partie
Il est des films qui marquent durablement, que ce soit le spectateur, le monde du cinéma, la culture populaire et l’imaginaire collectif. Une famille de cannibales du fin fond du Texas, des victimes terrorisées, une ambiance glauque et poisseuse ainsi qu’un boogeyman devenu depuis une figure emblématique de l’horreur moderne : Il n’en aura pas fallu plus pour faire de The Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la Tronçonneuse en France) un film culte, symptomatique de son époque et représentatif de toute une nouvelle génération de cinéastes et de films qui en leur temps vont redéfinir le monde de l’horreur au cinéma. Massacre à la Tronçonneuse s’est aussi une licence foisonnante : Sept films, des produits dérivée à la pelle et bien sûr vous vous en aurez douté puisque c’est le nerf de cette rubrique, des comics !
Avant de nous intéresser plus particulièrement aux déclinaisons en format neuvième art de cette saga mythique, petit rappel de ce qu’est Massacre à la Tronçonneuse, son histoire et son impact.
At the chainsaw – chainsaw buffet
The secret ingredient screams
You’re my main course
At the chainsaw buffet
Feed on man-eaters’s cuisine
At the chainsaw – chainsaw buffetLordi – The Chainsaw Buffet, extrait de l’album The Arockalypse (2006) (1)
Note : Pour des raisons de place et d’exhaustivité, je ne m’intéresserais qu’à deux films de la saga, à savoir le film original et son remake de 2003. Le premier pour son coté historique et iconique et le second d’une part pour sa qualité indéniable, et car la plupart des comics Massacre à la Tronçonneuse sont issus de l’univers de ce film.
Massacre à la Tronçonneuse : L’enfant de la douleur
Massacre à la Tronçonneuse sort sur les écrans américains le 1 octobre 1974 et pour les américains c’est un choc, aussi bien visuel qu’émotionnel : Le film est d’une violence crue, brutale et sans concession, du jamais vu jusqu’alors. Filmé de manière réaliste, limite documentaire, le film choque, dégoûte, indigne et fascine : Nous sommes dans les années 70 et le cinéma d’horreur amorce déjà depuis plusieurs années un virage vers quelque chose de nouveau et Massacre à la Tronçonneuse va en être l’une des pierres angulaires.
L’histoire raconte la calvaire vécu par Sally Hardesty et sa bande d’amis : Alors qu’ils traversent le Texas en van, Sally et son frère handicapé Franklin insistent pour faire un détour par leur maison d’enfance. En chemin ils prennent en auto-stop un personnage aussi excentrique qu’inquiétant : Scarifié, en proie à un accès de démence, il s’entaille la main en hurlant de rire avant d’être éjecté du van. Arrivé à une station service, pas plus d’aide ne leur viendra du gérant, personnage affable mais bizarre…
Arrivés à la maison d’enfance de Sally et Franklin, quelques membres du petit groupe disparaissent à proximité d’une petite ferme se trouvant non loin. Très vite la nuit tombe et commence alors pour Sally un véritable calvaire aux mains d’une des familles de psychopathes les plus dangereues et les plus sadiques jamais vus au cinéma.
Pour comprendre l’impact du film, il faut se remettre dans le contexte de l’époque : Nous sommes à la fin des années 70, les États Unis sortent péniblement de la guerre du Viêt Nam, un conflit qui leur aura coûté leur fierté, aura divisé le pays et marque en quelque sorte la fin de l’idéal de vie à la mode américaine. Le modèle de « l’American Way of Life » est ébranlé par ce conflit sanglant, les jeunes générations cherchent à se démarquer mais se heurtent à la réalité : Le mouvement hippie a du plomb dans l’aile et montre ses limites, la jeunesse est déboussolée et désillusionnée, l’actualité et frappée par des faits divers qui vont eux aussi marquer l’époque : Le scandale du Watergate ébranle l’Amérique et des noms comme Ed Gein, Charles Manson, Ted Bundy ou John Wayne Gacy font les gros titres des journaux. Pour la plupart de ces criminels, ils sont tous de la même génération et leurs méfaits participent à façonner un nouvel imaginaire horrifique, plus réaliste, dont le cinéma va vite s’emparer.
Dans les années 50/60, le cinéma est dominé par l’horreur gothique de la Hammer, des films qui placent l’horreur dans des châteaux luxuriant européens et confrontent les victimes à des monstres pour la plupart issus de la littérature populaire : Dracula, le monstre de Frankenstein ou la Momie sont les têtes d’affiche de toute une pléthore de films dont le succès s’étiole considérablement à cette époque, le public ne croit plus à ces histoires trop souvent ressassées et cherche de la nouveauté.
Quelques films et réalisateurs vont commencer à marquer une évolution du style vers quelque chose de différent, dés le milieu des années 60 quelques films vont apparaître et progressivement faire évoluer l’horreur au cinéma vers quelque chose de différent : On notera des films comme 2000 Maniacs de Herschell Gordon Lewis en 1964, La Nuit des Morts-Vivants de George Romero en 1968, Black Christmas de Bob Clark en 1974, Le Mort Vivant de ce même Bob Clark la même année qui reprend le thème du symptôme post-traumatique de la guerre du Viêt Nam, La Colline à des Yeux de Wes Craven en 1977, Halloween de John Carpenter en 1978, Zombie de George Romero et I Spit On Your Grave de Meir Zarchi la même année et enfin Maniac de William Lustig en 1980.
Ces films ont pour points communs de démonter les codes jusque là établis par le cinéma d’horreur et d’amener l’horreur au plus proche du spectateur : Fini les monstres classiques, les châteaux hantés et les cimetières brumeux, les nouvelles faces de l’horreur ont des visages humains, tueurs en séries, zombies, psychopathes en tout genre sont légions et l’action est délocalisée dans les quartiers pavillonnaires, les campagnes et les lieux de vie communs (hôpitaux, centres commerciaux etc.). De ce fait, le spectateur se sent du coup plus impliqué dans l’action donnant au cinéma une authenticité accrue, c’est d’ailleurs sur cet aspect réaliste que va jouer au maximum Massacre à la Tronçonneuse, jusque allez dans… La publicité mensongère !
L’idée de Massacre à la Tronçonneuse vient au jeune réalisateur Tobe Hooper durant les années 70 alors qu’il n’est qu’un simple étudiant en cinéma documentaire, ces études seront d’ailleurs déterminante pour le style visuel de son futur film.
Il développe l’histoire pendant des années, s’inspirant notamment beaucoup du tueur nécrophile Ed Gein, dont il reprendra beaucoup d’éléments, notamment la ferme isolée, le masque en peau humaine de son tueur à la tronçonneuse et l’attirance pour la profanation de cadavres d’un des autres personnages. Pour ce qui est de la tronçonneuse, l’idée lui est venu alors qu’il était en train de faire la queue dans un magasin, il remarqua un étalage avec des tronçonneuses et se dit que si il pouvait en saisir une et découper les autres clients avec, il avancerait plus vite.
Le scénario définitif sera écrit par Tobe Hooper et Kim Henkel et le tournage commence dans une petite ferme de Round Rock au Texas, durant l’été 1973.
La plupart des acteurs sont de parfaits inconnus, pour la plupart, ils sont texans et ont simplement joué dans des publicités ou des films d’entreprise.
Les conditions de tournage sont extrêmes : Dans la petite ferme, la température estivale avoisine souvent les plus de 40 degrés et dû à un budget serré, l’équipe tourne parfois jusque 16 heures par jour, mettant à rude épreuve les nerfs des acteurs : La relation avec certains acteurs, notamment William Vail qui, excédé par les conditions de tournage deviendra insupportable, la légende raconte même que Tobe Hooper le fera mourir plus tôt que prévu dans le film afin de se débarrasser de lui.
De plus, l’atmosphère du plateau est très lourde : Pour les besoins du tournage, Hooper et Henkel se sont approvisionnés en os et cadavres d’animaux chez un vétérinaire du coin. Très vite les charognes d’animaux commencent à pourrir à cause de la chaleur et on doit injecter du formol dedans. L’odeur de pourriture, de formol, la chaleur et le manque de sommeil mettent à bout les acteurs et l’équipe technique, si bien que durant la scène du dîner, l’actrice Marilyn Burns craque et fait une véritable crise de nerfs, visible à l’écran, cette scène n’étant en fait pas simulée.
L’autre acteur du film à souffrir du tournage n’est autre que Gunnar Hansen, qui interprète Tronche de Cuir : Afin que les autres acteurs le trouvent toujours impressionnant et ne sympathisent pas avec lui, il passe la totalité du tournage à l’écart des autres, portant son masque durant parfois 16 heures par jour, même pour manger.
Encore pour des raisons budgétaires, le sang utilisé dans le film est du véritable sang d’animaux, récupéré dans un abattoir car moins cher que le sang factice.
Niveau budget, le film devient rapidement un gouffre : Prévu au départ pour ne coûter que 60 000 dollars, il en coûtera en fait plus de 300 000…
Conscient que le réalisme est une part essentiel du succès d’un film, la première bande annonce du film n’hésitera pas à scander « Ce qui se passe est réel », l’idée d’un tel slogan étant venu à Hooper après qu’il ait vu dans la rue l’affiche d’un film d’horreur de série B utilisant le même genre d’accroche.
Le film sort le 1 octobre 1974 à Austin au Texas dans une version classé X (interdit au moins de 18 ans), Hooper demandera à de nombreuses reprises à la MPAA d’examiner de nouveau le film afin qu’il obtienne un classement R, classement accordé après la coupe de plusieurs scènes.
Une version complète du film sera finalement diffusée avec une interdiction R à San Francisco, provoquant le départ de plusieurs spectateurs durant la projection du film. En 1976, deux cinémas d’Ottawa au Canada projetteront le film, les gérants seront alors convoqués par la police locale afin de cesser sa diffusion sous peine de condamnations.
Le film sera interdit dans de nombreux pays, notamment l’Angleterre qui après un an de diffusion en salles censurera le film, censure qui ne sera levée qu’en 1998. Le film sera également interdit dans sa version intégrale en Australie, le pays des kangourous lui préférant sa version coupée R du MPAA américain. Le film sera également interdit de diffusion et d’exploitation dans de nombreux pays, notamment la Suède, la Finlande, le Chili, l’Irlande et la France.
Pour ce qui est de notre beau pays, il sera interdit par cinq ministres de la culture successifs, et malgré l’acharnement du distributeur René Chateau qui a acquis les droits du film, c’est finalement Jack Lang qui lèvera cette interdiction en 1979. Massacre à la Tronçonneuse sera d’ailleurs le premier film que René Château éditera en VHS dans sa collection « Les Films que Vous ne Verrez Jamais à la Télévision , suivront d’autres films marquants comme Zombie de George Romero et Maniac de William Lustig.
Malgré tous ces aléas, le film est un succès mondial et rapportera rien qu’aux États Unis plus de 31 millions de dollars, devenant l’un des films d’horreur les plus rentables de l’histoire, il ne sera détrôné que 4 ans plus tard par Halloween de John Carpenter.
D’un simple film a petit budget, filmé et distribué dans la douleur, Massacre à la Tronçonneuse devient un des films emblématiques de l’histoire du cinéma en redéfinissant (ainsi que d’autres films de l’époque) tous les codes de l’horreur. Un film charnière, indispensable qui quelques décennies plus tard, n’allat bien évidemment pas échapper à la mode du remake…
Massacre à la Tronçonneuse 2003 : On ne prend pas les mêmes et on recommence !
En 2003, le producteur Michael Bay, à l’époque tout juste auréolé de ses succès en tant que réalisateur sur des films d’action comme Bad Boys, Rock, Armageddon et Pearl Harbor décide de produire un remake de Massacre à la Tronçonneuse.
Levée de boucliers immédiate de la part des fans qui voient en l’intention de cet actioner une entreprise purement mercantile qui débouchera forcément sur un futur nanar, hors c’était bien mal connaître le gaillard.
Pour ne rien arranger, Bay nomme à la réalisation un parfait inconnu du nom de Marcus Nispel, réalisateur allemand qui n’a jusque là réalisé que des clips vidéos, notamment pour Faith No More, Janet Jackson et surtout Mylène Farmer, pour qui il a d’ailleurs réalisé 4 clips.
Contre toute attente, la collaboration entre le faiseur d’explosions américain et le jeune réalisateur allemand va donner à ce remake une qualité jusque là rarement atteinte pour un film de ce type.
Sorti sur les écrans en France le 21 janvier 2004, le film est boudé par la presse mais plébiscité par le public : Dés son premier week-end d’exploitation, il rapporte plus de 80 millions de dollars de recettes et reçoit de nombreuses critiques favorables, encore de la part du public.
Pour ce qui est du film en lui-même, j’avoue ne pas avoir accroché au premier visionnage et il a fallu que je le revois pour vraiment l’apprécier et il fait maintenant parti de mes remakes favoris (avec L’Armée des Morts de Zack Snyder, La Colline à des Yeux de Alexandre Aja et Halloween de Rob Zombie) et ce pour de nombreuses raisons, que je vais soumettre ici.
Première chose appréciable, ce remake n’est pas tombé dans le piège de la copie conforme : Plutôt que de refaire le film original, le remake n’en prend que la trame originale, à savoir un groupe de jeunes, perdu au fin fond du Texas en proie avec une famille de psychopathes.
De là, Michael Bay et son scénariste Scott Kosar vont complètement se détacher du film original et faire un film complètement différent : De passage dans une petite ville du Texas, en route pour un concert, Erin et ses amis prennent en stop une jeune femme visiblement en état de choc, bredouillant des phrases à peine compréhensible. La jeune femme fini par se suicider en se tirant une balle dans la tête à l’arrière de leur van…
Effrayés, gênés par une cargaison de cannabis qu’ils comptaient vendre durant le concert, le groupe d’amis fini par s’arrêter dans une station service et appelle le shérif du coin pour demander de l’aide. Ledit shérif leur donne rendez-vous non loin de là mais alors qu’il tarde à arriver, certains membres du petit groupe finissent par explorer les alentours et découvrent une grande bâtisse, seulement habitée par un vieil homme acariâtre en chaise roulante.
Après un coup de fil au shérif, Erin et un de ses amis sont attaqués par un individu masqué armé d’une tronçonneuse. Entre temps le shérif est arrivé sur les lieux et trouvant un joint de cannabis dans la voiture, livre un interrogatoire musclé aux jeunes gens et fini par les emmener chez lui menottes aux poignets, son chez lui étant la fameuse bâtisse découverte par Erin quelques heures plus tôt…
Commence alors pour les survivants une nuit d’horreur aux mains d’une terrifiante famille de psychopathes.
Le film est surtout remarquable sur deux points : D’une part sa direction artistique, absolument fantastique, et sa réalisation. L’addition de ses deux facteurs donne au film un cachet visuel d’une efficacité redoutable. D’un aspect sombre, poisseux et glauque, les décors sont une part intégrante de l’efficacité visuelle du film, Nispel ayant un talent indéniable pour filmer les décors.
La réalisation est également un des points forts du film : Rythmée et nerveuse pendant les phases de tensions, elle sait également se faire plus contemplative (voir notamment ce plan magnifique de Erin marchant sous des arbres ombragés), jouant avec les nerfs des spectateurs.
De ce coté on peut également féliciter la production sans faille du film, même si on n’apprécie pas Michael Bay, force est de reconnaître que sur ce genre de film, c’est un producteur de génie.
Dernier point et pas des moindres, le casting et l’interprétation : la tête d’affiche est Jessica Biel, à l’époque surtout célèbre pour son rôle de petite fille modèle dans la série bigote 7 à la Maison qui livre une performance intense très efficace. Autre point fort du casting, le rôle du shérif sadique est tenu par Robert Lee Ermey, acteur populaire pour son rôle de sergent instructeur sadique dans le Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. Quand au rôle de Leatherface, il est tenu par Andrew Bryniarski, un acteur habitué des seconds rôles qui demanda lui même à Michael Bay d’auditionner pour le rôle.
Tout ces facteurs combinés font de ce Massacre à la Tronçonneuse version 2003 un film d’une redoutable efficacité, brutal, rapide et cru, il prend à contre-pied le film original pour livrer quelque chose de différent et réussi impeccablement à imposer une ambiance, un rythme qui lui est propre : Un remake détaché du film original, qui réussi à se créer sa propre identité, la définition même du remake réussi !
Fin de la première partie, rendez-vous le mois prochain pour passer au crible les comics issues de la saga de la famille texane la plus barrée de l’histoire du cinéma !
1 :
Punaise, le vieux film, vu ado, m’avait laissé une très sale impression et la certitude que jamais je n’irai au Texas. Même si pas si mauvais que ça, le remake de Bay n’a pas ce côté malsain des films cradingues produits quelques décennies plus tôt. Un film marquant.
Merci pour ce long et riche préambule!
Coupé de la Matrice en ce moment (et pour une durée indéterminée), je peux profiter des Jeudis pendant ma pause…
Encore un très bon article (hâte d elire la suite d’ailleurs).
Concernant les films, j’ai une préférence pour le remake (je ne sais plus si j’ai vu l’original avant), en tout cas même si l’ambiance y est malsaine (et surtout « pénible et un calvaire pour les oreilles dans son dernier acte »), sa réputation est bien exagérée, l’original s’avère plutôt « soft » (et ceu, même comparé aux autres films de la même période) et contrairement à ce que l’on pourrait croire, à aucun moment on assiste au découpage d’une personne à la tronçonneuse… Il n’en reste pas moins une pièce charnière dans l’histoire des films d’horreurs « modernes' », notamment grâce à son « boogeyman » le plutôt flippant Leatherface ^^