The Undertaker
Et si ce mois-ci ont parlait de catch ?
Vous savez le catch, ce sport spectacle, sorte de mix improbable entre la lutte et le théâtre, pratiqué soit par des body builders très énervés, des mexicains virevoltants ou des bimbos siliconés. Ce spectacle que tout ceux qui n’y connaissent rien dédaignent avec des « De toute façon c’est nul, ils se battent pas pour de vrai… » et qui pourtant chez nos amis d’outre atlantique remplit des stades de dizaines de milliers de personnes plusieurs fois par semaine.
Moi j’aime le catch, j’assume et je vais en parler aujourd’hui… Mais attendez, c’est quoi le rapport entre le catch et les comics d’horreur ? A priori il n’y en a pas, et pourtant, pour pouvoir en parler, j’ai trouvé un lien, qui est, si vous lisez ma chronique mensuelle régulièrement, encore une fois un obscur comic d’horreur consacré à un catcheur de renom, qui ? Bah son nom est dans le titre de cette chronique mais bon, avant, plantons le décor et lisez un peu ce qui suis !
A première vue, le rapport entre le catch et l’horreur peut paraître un peu improbable, mais pas tant que ça en fait. Le catch utilise souvent des notions liées à l’horreur, au fantastique ou même à la culture pop, mais je vais y revenir plus bas car avant d’entrer dans le vif du sujet, je vais vous présenter vite fait comment fonctionne le catch afin que ceux qui n’y connaissent rien et se contentent de le dédaigner pour en avoir entraperçu quelques matchs à la télévision, puissent avoir une vision un peu plus claire de ce que c’est réellement, et enfin peut-être comprendre un peu mieux pourquoi ce divertissement sportif est aussi populaire dans certains pays, notamment les États-Unis, l’Amérique du sud et le Japon.
Le catch, c’est le spectacle/divertissement familial par excellence mais il y a plusieurs choses qui différencient le catch des autres sports : Déjà l’aspect scénarisé, dans le catch tout est faux, les coups ne sont pas réellement portés et les dissensions entre lutteurs sont des histoires scénarisées à l’avance.
L’aspect le plus important dans le catch, c’est le spectacle et ça passe par plusieurs choses : Les physiques des athlètes déjà, car les catcheurs se sont avant tout des physiques hors norme, géants, gros, body buildés ou même petits, pour le catch avoir un physique particulier est déjà un plus, certains lutteurs ont même construit leur légende sur ce critère, du gigantesque français André le Géant et ses mensurations extraordinaires (2 mètres 24 et 235 kilos), à l’imposant Yokozuna (1 mètres 93 et 273 kilos), dans les premières heures du catch se sont les grands hommes qui attirent les foules.
Mais dans les années 80, sous l’impulsion de l’homme d’affaire Vince McMahon et de sa fédération familiale, la WWF ( future WWE actuelle), le catch va se diversifier et recruter des hommes et femmes aux capacités physiques plus variées. McMahon va aussi comprendre que le catch à l’ancienne ne déplace plus les foules pour une bonne raison : La télévision. Le catch à l’ancienne n’a pas la capacité à enthousiasmer autant qu’une série TV ou un film diffusé à la télévision, Vince McMahon va alors insuffler au catch une dimension spectaculaire et flamboyante jamais vu jusque là au travers de nouveautés qui vont révolutionner le genre : Le premier sera de rendre le spectacle plus percutant.
A grands renforts de musiques, d’effets spéciaux et de costumes bariolés pour les lutteurs, McMahon va rendre le spectacle plus attractif, un peu à la manière d’un spectacle de cirque. Deuxième chose, il va personnifier les lutteurs et en faire de véritables personnages bien définis au travers d’un système appelé Gimmick : Chaque lutteur(ses) aura désormais un gimmick, une sorte de rôle, de personnage qu’il incarne sur le ring et en dehors. Il va avec ce système créer la première superstar du catch en la personne de Hulk Hogan (1).
Photo réunissant de gauche à droite, Vince McMahon, Hulk Hogan et André le Géant
Avec Hulk Hogan et son gimmick de héros américain, le catch va sortir de son carcan de divertissement : Hogan va apparaître dans des films (notamment son caméo légendaire dans Rocky III (2) ), des cartoons, des émissions de télévision et développer tout un tas de produits dérivés. Avec Vince McMahon et Hulk Hogan, le catch gagne une dimension populaire jamais atteinte jusqu’alors.
Mais si Hogan est un héros populaire auprès des petits et des grands, prônant des valeurs comme l’entraide ou la solidarité, il va lui falloir des adversaires et c’est encore une des forces de Vince McMahon qui va mettre en place un système de scénaristes pour imaginer les histoires entre lutteurs, les fameux bookers.
Concrètement un booker dans le catch c’est quoi ? Tout simplement un créateur qui va décider de quelle orientation sera faite la carrière d’un lutteur : Un booker créé tout, du costume que porte le lutteur, aux aventures qu’il aura dans le ring (les grandes lignes des combats sont décidés par les bookers) mais aussi en dehors, des discussions dans les vestiaires aux agressions en backstage.
Grâce aux bookers, le catch gagne un aspect scénarisé, les rivalités entre lutteurs sont étalées sur plusieurs semaines, vont de rebondissements en rebondissements jusqu’à un dénouement final, souvent lors d’un match diffusé en pay-per-view (télévision payante) (3).
Dans les rivalités entre lutteurs, il y a donc le Face (le gentil), le Heel (le méchant) et parfois des statuts ambigus souvent appelé Neutral.
Si Hogan est bien entendu un Face, il va falloir lui trouver des adversaires à sa hauteur et c’est là que le thème de l’horreur rejoint celui du catch, car impossible de parler d’horreur et de fantastique dans le catch sans parler d’un homme qui a basé sa carrière sur cet aspect, The Undertaker.
Ain’t no grave
Can hold my body down
There ain’t no grave
Can hold my body downWhen I hear that trumpet sound
I’m gonna rise right out of the ground
Ain’t no grave
Can hold my body downJohnny Cash – Ain’t No Grave (American VI: Ain’t No Grave, 2010) (7)
En 1991, Hulk Hogan est à l’apogée de sa carrière et rien ne semble stopper son ascension. Un an plus tôt, est apparu un mystérieux catcheur tout de noir vêtu, à la voix caverneuse et à l’aspect sinistre. Après avoir obtenu l’appui du manager Paul Bearer (4), The Undertaker va engager une longue rivalité avec Hogan. L’apogée sera un combat à l’événement Survivor Series 1991 durant lequel le Heel Undertaker battra le héros américain pour le titre de champion de la WWF. La carrière de celui que l’on surnomme le Taker est désormais lancée.
The Undertaker va amener un nouveau genre de personnages dans le catch, celui des monstres. Vêtu d’un long manteau noir et coiffé d’un large chapeau, l’Undertaker arrive sur le ring sous la marche funèbre de Chopin (réorchestré par le compositeur officiel de la WWE, Jim Johnston), lumières éteintes et dans un épais brouillard. L’effet est saisissant et dés les premiers sons de cloche typique de son thème, le silence se fait souvent instantanément dans le public, il n’est également pas rare de voir lors de ces premières apparitions des enfants se jeter dans les bras de leurs parents en sanglotant (véridique !).
Grâce à Paul Bearer, son personnage gagne également un aspect mystique et fantastique, issu des monstres de la Hammer : Paul Bearer en fait un personnage mort-vivant, dont les cendres sont retenues dans une urne funéraire renfermant tout le pouvoir de « son » Undertaker.
Avec le temps, The Undertaker va de plus en plus creuser son personnage : De simple personnage lugubre, il va devenir dans les années 90 un sorcier démon baignant dans l’occultisme et usant de sorcellerie, toujours accompagné de druides encapuchonnés. Il aura un passage plus terre à terre vers la fin des années 90/début 2000 en incarnant un motard (5) avant de revenir à son gimmick de mort-vivant en 2004.
Mais bien plus qu’un personnage, l’Undertaker devient rapidement un lutteur redouté sur le ring : Avec ces 2 mètres 8 et ces 140 kilos, l’Undertaker étonne par ses prouesses sur le ring, à la fois agile, rapide et puissant, c’est un catcheur complet, très varié dans ses prises et actions.
Afin de renforcer son aspect fantastique, il va également créer avec son personnage tout un tas de codes visuels et de matchs emblématiques : De sa prise de finition, le terrible Tombstone Piledriver (nommé coup de la pierre tombale en français), ses matchs parfois très violents comme le match du cercueil (un match qui consiste à enfermer son adversaire dans un cercueil et à en fermer le couvercle pour gagner), Buried Alive match (même concept que le match du cercueil sauf que là il faut précipiter son adversaire dans une tombe fraîchement creusée et recouvrir son adversaire de terre), le très dangereux Hell in a Cell (un match se déroulant dans une cage fermée) ou l’impressionnant Inferno Match (un match durant lequel le ring est entouré d’un mur de flammes), notamment contre son plus grand rival et frère sur le ring, un autre monstre du catch, le colossal Kane. Avoir l’Undertaker sur le ring, c’est déjà en soit la promesse d’un spectacle.
The Undertaker face à son frère, Kane
Car avec The Undertaker, c’est une flopée de catcheurs au gimmicks monstrueux qui vont se succéder : Le psychotique Mankind, l’enflammé Kane, le tordu Boogeyman, les mystérieux Sting et Vampiro à la WCW ou même plus récemment Finn Bàlor, c’est une véritable foire aux monstres qui va déferler sur les rings de toutes les fédérations américaines, aucun ne réussissant néanmoins à atteindre la renommée de l’Undertaker.
Avec un tel personnage, c’est sans surprise que les comics vont s’intéresser à The Undertaker et c’est ainsi qu’en 1999, Chaos ! Comics, maison d’édition célèbre à l’époque pour la publication de ses comics d’horreur comme Evil Ernie, Lady Death ou Purgatory, ses comics inspirés de groupes de métal comme Megadeath et Static-X, ou bien encore ceux inspirés des films d’horreur Halloween, va obtenir les droits de certains lutteurs de la WWF afin d’en développer des comics.
Les plus grandes stars du ring de l’époque vont avoir droit à leur version de papier : The Rock, Steve Austin ou encore la sculpturale Chyna vont ainsi avoir droit aux honneurs de devenir des héros de bande dessinée. Mais celui dont va se délecter l’éditeur, c’est bien sûr The Undertaker qui va avoir le privilège d’une mini-série de 10 numéros (plus une preview, un numéro 0 et ½).
Déjà de prime abord, The Undertaker et son personnage sombre et monstrueux colle parfaitement à l’orientation des comics Chaos qui privilégient les personnages effrayants et violents. De plus, l’univers de l’Undertaker reste à créer, car de son alter ego des rings, on en sait en fait pas grand chose : Cela laisse donc au scénariste Beau Smith un véritable boulevard pour créer un univers autour du personnage et au passage récupérer ses alliés et rivaux du ring pour en faire eux aussi des personnages de comics.
L’ histoire commence par la présentation de l’Undertaker, qui est ici un être démoniaque régnant sur un enfer nommé Stygian, la prison de l’Enfer.
L’Enfer est en fait régi par trois niveaux : Le premier niveau est une sorte de porte d’entrée, à cheval entre la Terre et l’Enfer, cet endroit est gardé par Paul Bearer. Le second niveau est l’Enfer lui même, dirigé par un être nommé l’Embalmer et enfin il y a Stygian, le niveau le plus bas de l’Enfer, l’endroit où sont emprisonnés les pires créatures de l’Enfer, cet endroit est donc contrôlé par l’Undertaker. Si Paul Bearer et l’Undertaker se satisfont de leur position, ce n’est pas le cas de l’Embalmer qui convoite le contrôle complet de l’existence, Terre et Enfer compris. Pour cela il a déjà réussi à ouvrir des passages temporaires entre la Terre et l’Enfer, permettant à lui-même et ses démons d’entrer sur Terre. Afin de planifier sa future domination de la Terre et de l’Enfer, Embalmer a créé une multinationale informatique dont les profits servent à financer des recherches visant à fusionner la science et les créatures démoniaques.
Mais pour que ses plans se concrétisent, Embalmer a besoin des trois livres, trois reliques remisent à chacun des gardiens durant la création des Enfers. Seulement, ni Paul Bearer ni l’Undertaker ne sont enclin à lui remettre et il va donc engager une vendetta contre eux pour les obtenir. Mais tout ne va pas se passer comme prévu et un affrontement entre les trois détenteurs semble inévitable.
Dans les numéros faisant office de prologue (les numéros 0 et ½), le lien avec le catch est immédiat, on nous présente l’Undertaker en tant que tel, il monte en fait sur le ring pour combattre des créatures démoniaques qui, sous apparence humaine, s’affrontent dans des combats pour gagner leur place auprès de l’Embalmer sur Terre. Dans ces numéros, les prises de catch et l’ambiance des stades sont bien représentés et ma foi le postulat est plutôt original, permettant mine de rien de faire un lien entre son personnage de ring et celui du comic.
Malheureusement ce n’est plus le cas par la suite, dés le numéro 1 de la série régulière en fait, où cet aspect est totalement délaissé pour une histoire typique des comics Chaos (et plus généralement des années 90) à base de combats gore entre monstres, de sorcellerie et de mysticisme.
Exit donc le coté catch et on se retrouve du coup devant une histoire largement inspirée par Spawn ou Evil Ernie.
Même si l’histoire est en tout point un classique de ce genre et de cette époque avec tout les passages obligés (trahison surprise, bimbos, combats gore à base de splash page etc.) ça reste malgré tout assez sympathique à lire et même si le déroulement de l’histoire peut se deviner dès les premiers numéros, ont se laisse prendre facilement au jeu.
Autant être franc, ça casse pas trois pattes à un canard mais l’aspect ludique et défouloir du truc fait que ça se lit au final assez bien et sans lassitude.
Rajouté à cela que tout a été fait pour brosser le fan de catch dans le sens du poil à grand renfort de caméos ou de personnages secondaires assez bien amené : On croise donc Kane, Mankind et même le Ministry of Darkness (6) au grand complet qui se targue d’une apparition tonitruante.
Visuellement, là encore on est dans la veine des comics Chaos : Les planches sont dynamiques, détaillées et pleines de couleurs criardes, les trentenaires qui ont connu l’age d’or des comics des années 90 comme Spawn, Cyberforce, The Darkness ou Witchblade apprécieront de retrouver un peu de cette ambiance. Le dessinateur Manny Clark fait donc un bon boulot, très en phase avec le ton sombre et violent de l’histoire.
Mention spéciale au passage pour les couvertures (dont certaines égayent cette chronique) signées en majorité par Greg Capullo et Danny Micki qui sont pour la plupart tout simplement magnifiques.
The Undertaker est très honnêtement un comic anecdotique qui ravira surtout les fans de catch et de comics ainsi que les amateurs de bizarreries dessinées. Personnellement je m’attendais à un pur produit marketing fait à la va vite et ça n’a pas vraiment été le cas : L’histoire et l’univers sont plutôt bien travaillés et les dessins franchement très agréables. Après, je suppose qu’un lecteur qui a découvert les comics depuis peu lâchera très certainement l’affaire dès le premier numéro, pour les autres, suivez mon conseil et retombez dans votre age ingrat le temps de quelques pages, ça fait toujours du bien !
Les rapports entre les comics et l’univers du catch ont toujours été plus ou moins évidents : Spider-Man n’a t’il pas commencé comme catcheur ? Et quand les catcheurs assument leur passion pour les comics (Rob Van Dam et CM Punk arborent des tatouages ou des t-shirts à l’effigie de héros de comics, le meilleur exemple étant Gregory Helms qui a créé au début de sa carrière son personnage de super-héros catcheur, The Hurricane) ou même cette dualité gentil contre méchant, le catch a beaucoup emprunté au comics et il n’est pas rare que les fans de catch soient aussi très souvent des lecteurs de comics. Coïncidence ? Je ne crois pas comme dirait l’autre.
The Undertaker publié en édition relié en deux tomes par Chaos ! Comics en 1999 et 2000 aux États-Unis
1 : D’ailleurs, son surnom de Hulk Hogan n’est pas anodin et le rapport avec les comics est évident : Durant ses premières apparitions publiques, les amateurs de catch remarquent qu’il est physiquement plus impressionnant que l’acteur qui joue l’Incroyable Hulk à la télévision, Lou Ferigno : Il gagnera par la suite le surnom de Incredible Hulk Hogan, puis simplement Hulk Hogan. Avec l’accord de Marvel Comics, il utilisera ce nom jusque sa démission de la WWF en 1994. Dans sa nouvelle fédération, la WCW, il sera surnommé Hollywood Hogan pour éviter tout désaccord avec Marvel. Il reprendra le surnom Hulk à son retour à la WWE, en 2002. Suite à un accord avec Marvel, il devient propriétaire du nom Hulk Hogan en 2006.
2 : C’est d’ailleurs Sylvester Stallone lui-même qui contactera Hogan pour qu’il apparaisse dans son film.
3 : D’ailleurs sur ce point, il y a une chose sur le catch que je n’ai pas précisé : Il n’y a pas dans le catch de saisons comme dans les autres sports « normaux », le catch à lieu toute l’année et certains catcheurs sont même présents sur le ring plusieurs fois par semaine au travers de shows en live et rediffusés à la télévision.
4 : Son nom est d’ailleurs un jeu de mot avec Pallbearer, du nom donné aux hommes qui portent les cercueils durant les enterrements.
5 : Avec le recul et selon de nombreux fans (dont je fais partie), ce changement de gimmick fut la plus grosse erreur de sa carrière, rendant le personnage beaucoup moins intéressant.
6 : Le Ministry of Darkness fut un groupe de catcheurs créé dans les années 90 par l’Undertaker. Ce groupe réunissait les lutteurs les plus violents du moment, dans le comic cet aspect a été changé et le groupe est présenté comme un groupe de défense censé chasser les démons de notre réalité.
7 : L’Undertaker a utilisé cette musique lors de son retour sur le ring en 2011 :
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