Les Jeudis de l’Angoisse (des comics) # 22

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Les Abandonnés

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Depuis le phénomène Walking Dead, le nombre de comics ou même de bandes dessinées en général (Mangas et franco-belge n’ayant pas échappé non plus au phénomène) ayant pour thème les invasions de zombies s’est multiplié, avec des résultats qualitativement parlant plutôt disparates et très honnêtement, difficile de s’y retrouver dans cette jungle de titres ayant « Dead » dans le titre.
Et si justement l’une des bandes dessinées les plus intéressantes dans cette jungle de corps putréfiés ne comportait pas le terme « Dead-quelque-chose » dans son titre  ? Et si, ironie du sort, cette bande dessinée avait été traduite en France dans l’indifférence la plus générale ? Et si de plus, elle était signée par un des auteurs les plus estimés sur ce blog et par votre serviteur ? Et si j’allais en parler maintenant ? Toutes ces questions vous allez en avoir les réponses sous peu, mais petite morsure de rappel sur ce que sont les zombies.

Le zombie moderne, à savoir un cadavre ressuscité qui revient dans un état de non-vie pour dévorer la chair des vivants fut créé par George Romero en 1968 dans son mythique film La Nuit des Morts Vivants. Je ne reviendrai pas sur Big George, l’ayant déjà fait lors du Jeudi consacré à Creepshow, je vous renvoie donc à ma prose et ça vous fera en plus l’occasion de lire cet excellent chapitre des Jeudis, excellent parce qu’il est bien tout simplement et parce que c’est moi qui l’ai écrit et que de toute façon, tout les Jeudis de l’Angoisse (des Comics) sont intéressants, sinon ma boss ne les publierait plus depuis longtemps.
Mais revenons aux zombies après ce petit intermède d’auto-congratulation, quoique le rapport entre Katchoo et un zombie n’est pas si éloigné que ça, une histoire d’appétit insatiable dans un autre domaine tout ça tout ça, enfin bref.

Donc c’est avec son film que George Romero établi ce que seront les zombies dans l’imaginaire collectif pour les décennies à venir et cette caractérisation est d’ailleurs encore d’actualité aujourd’hui : Ce sont donc des êtres humains qui une fois réanimés par un moyen X ou Y (souvent un virus) sont lents et stupides, insensibles à la douleur et ne réagissant qu’à un seul instinct basique qui est de se nourrir de la chair des vivants. Ces êtres étant décédés, ils continuent de se putréfier et on les représente souvent ayant des corps décharnés ou atrocement mutilés. Les zombies sont souvent représentés en horde de plusieurs individus, leur nombre palliant leur relative faiblesse physique.

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Il est amusant de constater que l’intérêt des amateurs de culture bis pour les zombies ne s’est jamais démenti depuis leur création, d’abord au cinéma, puis lorsque celui-ci laissera de coté les morts vivants pour d’autres thèmes (le slasher dans les années 80 avec Halloween, Vendredi 13 et compagnie puis les college movies dans les années 90 et ces Scream et autres The Faculty), ce sera le jeu vidéo qui s’en appropriera les codes avec bien sûr la saga Resident Evil mais aussi d’autres jeux comme House of the Dead ou Nightmare Creatures.
Paradoxalement, c’est au travers du jeu vidéo que les zombies referont leur apparition au début des années 2000 sur les écrans de cinéma avec l’adaptation du jeu vidéo Resident Evil réalisé par Paul Anderson et sorti en 2002. Malgré sa qualité plus que discutable, le succès du film redonnera de l’intérêt au public et surtout aux producteurs pour les films de zombies. La même année sort également le film anglais 28 Jours Plus Tard de Danny Boyle mais ce film est un cas particulier sur lequel je reviendrai très certainement prochainement, une excellente mini série de comics en ayant été tirée.

L’engouement général pour le style reviendra à son apogée avec le succès international du remake du Dawn of the Dead de George Romero signé Zack Snyder et maladroitement re-titré en France L’Armée des Morts. Biberonné aux jeux vidéos, Snyder va alors insuffler au style zombie de l’énergie salvatrice avec des zombies qui courent, aux attitudes agressives et des scènes d’action survoltées. Non exempt de défauts, L’Armée des Morts est malgré tout un divertissement horrifique de grande qualité qui va obtenir logiquement un grand succès et va remettre sur le devant de la scène les films de zombies.
Niveau comics, c’est en octobre 2003 que sort le premier numéro du comic The Walking Dead : la bande dessinée a surtout un succès d’estime dans un premier temps mais à force de bouche à oreilles  et de critiques élogieuses, elle fini par obtenir une renommée chez les amateurs de comics et de culture horrifique. Sa popularité explosera en 2010 avec l’apparition de la série télévisée, faisant de ce comic et son adaptation un véritable phénomène. Je ne m’étalerai pas plus sur Walking Dead, je pense que quasiment tout a déjà été dit, que se soit sur le comic ou la série télévisée.

Dans le monde des comics, tout le monde veut sa part du lion et quasiment tous les éditeurs vont s’engouffrer dans la brèche, Marvel y compris qui n’hésitera pas à zombifier ses héros dans sa mini série Marvel Zombies, confiée à nul autre que Robert Kirkman, le papa de Walking Dead (1).
D’autres éditeurs vont donc publier des histoire de zombies : IDW en 2004 avec l’excellent Remains de Steve Niles et Kieron Dwyer (2) et même le timide et confidentiel éditeur Tokyopop s’y mettra avec The Abandoned, petite perle du genre injustement méconnue, injustice que je vais réparer de suite.

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The Abandoned (Les Abandonnés en français) c’est donc un comic écrit et dessiné par Sophie Campbell en 2006, créatrice également de l’excellentissime série Wet Moon dont j’ai déjà parlé sur ce blog.
Je ne vais pas vous présenter de nouveau Sophie Campbell, je l’avais déjà fait dans l’article sur Wet Moon et je vais juste me contenter de mettre à jour ce que j’avais écrit.
La première chose qu’il faut noter c’est le changement de nom de l’auteure : En effet, Ross est devenu Sophie, l’auteure ayant fait son coming out en tant que transgenre en 2015.
Professionnellement parlant, Sophie Campbell a depuis publié Glory (publié en France et que j’ai chroniqué ici), elle a longtemps œuvré sur la série Tortues Ninja et travaille actuellement sur la série Jem & The Holograms, séries toutes deux encore inédites en France.

Sophie Campbell est sans conteste un de mes auteurs favoris, me reconnaissant beaucoup dans ses personnages, l’auteure ayant pour habitude de souvent dépeindre des personnages un peu borderline, souvent aux physiques différents (surpoids ou ayant des handicaps), issue de minorités ou de mouvements alternatifs comme le gothisme ou le punk.
Tout ces thèmes se retrouvent dans sa création la plus personnelle, à savoir Wet Moon mais aussi dans Les Abandonnés, ce one-shot partageant d’ailleurs beaucoup de points communs avec Wet Moon.

They said that your scream was heard through the storm.
It was a desperate noise that shocked the sky.

And they told me about all the holes in your skin.
The needles that’ve been piercing through you.
It was a pattern of wounds, in a city that’s dead.
The blood has to be shed…. and wasted.

Deathstars – Death is Wasted on the Dead (Extrait de l’album The Greatest Hits on Earth, 2011) (3)

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The Abandoned c’est donc l’histoire de Rylie, l’employée d’une maison de retraite d’une petite ville en Louisiane qui après le passage d’un ouragan dévastateur, va constater que la plupart des victimes se sont transformé en zombies.
Rylie est lesbienne, a beaucoup d’amis et logiquement, face à cette apocalypse (on a quand même eu coup sur coup deux catastrophes d’affilées, à savoir un ouragan et une peste zombie) son premier réflexe sera donc de s’inquiéter pour celle qu’elle aime ainsi que pour ses amis et va donc chercher à les retrouver au plus vite. Mais dans un environnement dévasté et sans loi, les petites haines et rancœurs vont se retrouver exacerbées et Rylie va vite se rendre compte que hormis les zombies, les créatures les plus dangereuses ne sont pas forcément les morts-vivants.

Comme je l’ai dit plus haut, Les Abandonnés a beaucoup de points communs avec Wet Moon  : Déjà au niveau des personnages, ont retrouve avec plaisir le même genre de personnages « paria » chers à l’auteure : Gothiques, homosexuels, punks et/ou aux physiques atypiques, la bande dessinée est un florilège de personnages divers et variés. Loin d’être un prétexte de faire quelque chose de différent du mainstream (et comme pour Wet Moon), ces choix esthétiques servent le récit en rendant les personnages plus proches de la réalité et du même coup plus attachants et ce malgré le trait volontairement exagéré de Sophie Campbell, sorte de mélange improbable entre Richard Corben et Barbara Canepa.
D’ailleurs visuellement, Les Abandonnés est très représentatif des débuts de Sophie Campbell, notamment au niveau du découpage des planches et, à l’instar de Terry Moore, d’une utilisation judicieuse des silences et des expressions faciales des personnages qui à elles seules suffisent souvent à faire passer le message de l’auteure sans utiliser de dialogues.
Campbell réussi à créer une véritable ambiance soit oppressante, soit plus intimiste selon les situations, on reste par contre dans une histoire de zombies avec tout les passages obligés de ce genre de récit, les scènes gore bien entendu mais aussi les traditionnelles bagarres entre survivants.

 

Pour ce qui est de l’histoire, même si cela reste une histoire de zombies, Campbell prend le pari de rester proche de ses personnages en insistant sur les drames personnels, cette invasion de zombies étant au final plus une occasion qu’ont les protagonistes de montrer leur véritable personnalité. Pour cela, Sophie Campbell nous rend très proche des personnages, en nous les montrant d’abord dans des scènes de vie quotidienne anodines puis lors de l’invasion de zombies, plutôt que de montrer des scènes gores de destruction de zombies (ces scènes étant quand même présentes, mais dans une moindre mesure que dans d’autres comics du même type), l’auteure nous les présente entre eux, discutant, se rapprochant ou se déchirant au fur et à mesure du récit, les zombies étant au final presque secondaires. Un postulat risqué mais parfaitement maîtrisé, rendant son récit plus intime et donc plus émotionnellement puissant, et je dis ça en parlant d’un comic avec des zombies au cas ou vous l’auriez oublié.

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Même au niveau de la colorisation, Campbell a fait dans l’originalité avec un récit entièrement en nuances de gris, à l’exception de tout les éléments en rouge : Encore un choix risqué mais qui au final donne un cachet unique à cette bande dessinée, décidément hors des sentiers battus.
Le plus incroyable, c’est que cet ovni dans le genre des comics de zombies a été publié en France, chez Milady Graphics dans une très belle édition au format manga, de plus avec une excellente traduction et ce… Dans l’indifférence générale.

Les Abandonnés, c’est un comic hors norme qui malgré son pitch de départ marque sa différence avec ces personnages hétéroclites et sa sensibilité à fleur de peau. J’ai connu Sophie Campbell grâce à cette bande dessinée et ce fut l’une de mes grandes découvertes de lecteur de comics : J’y ai découvert une artiste à l’image de ses personnages, différente, sensible et incroyablement talentueuse et je pense très sincèrement que ce comic est un bon point de départ pour découvrir le travail de cette artiste, injustement méconnu, surtout chez nous.

Après Les Abandonnés, je vous conseille d’embrayer sur Glory et surtout Wet Moon, vous me direz merci  !

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Les Abandonnés de Sophie Campbell, publié en France en janvier 2010 chez Milady Graphics.

PS  : Visiblement Sophie Campbell a quitté le petit éditeur Tokyopop avant de pouvoir donner une véritable fin à ce comic (même si je trouve que la fin du livre est déjà très bien), une fin a été publiée par l’auteure sur un tumblr dédié à cette adresse  : http://cantlookbackcomic.tumblr.com/page/30
Attention néanmoins, c’est réservé à un public averti.

1 : Néanmoins, il faut préciser que la paternité des héros Marvel en version zombie revient à Mark Millar qui dans les numéros 21 à  23 de la série Ultimate Fantastic Four les utilisera pour la première fois, Kirkman ne faisant qu’étendre l’idée de Millar dans son Marvel Zombies.

2: D’ailleurs peu le savent mais Remains a été adapté en film en 2011.

3 :

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4 commentaires sur “Les Jeudis de l’Angoisse (des comics) # 22

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  1. Bonjour, superbe article ! Avez vous déjà lu WATER BABY de Sophie Campbell ? C’est là que je l’ai découverte et c’était absolument génial sur une surfeuse mordue par un requin. Cela fait partie de la ligne MINX de DC Comics, au départ une ligne pour…. filles 😦 😦 😦 mais qui regorge en fait de véritables pépites !!!

    1. Non, j’avoue ne pas connaitre Water Baby mais j’en ai lus que du bien, je le prendrais surement sous peu et qui sait, une review suivra surement 😉

  2. 2010 ? C’est ballot, ça correspond au moment où on l’a interviewé pour notre numéro de Scarce consacré à Minx, on aurait pu le mentionner si on en avait connu l existence.

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