Les Jeudis de l’Angoisse (des comics) # 20

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Sarcophage

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La vie après la mort, plus précisément la résurrection dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, c’est un thème récurrent dans la culture horrifique car quoi de plus effrayant que la fin de l’existence, voir de sa propre existence. La vie après la mort c’est aussi la peur de l’inconnu : Que devient-on une fois mort, qu’advient-il de nous ? Autant de questions effrayantes sur lesquelles de nombreux artistes ont tenté depuis la nuit des temps de répondre aux moyens de légendes, d’histoires ou de mythologies plus ou moins complexes : De l’Égypte antique en passant par la mythologie grecque, des religions plus ou moins modernes aux préceptes philosophiques, chacun y va de sa propre théorie ou réflexion sur le sujet car les faits sont là, la mort c’est un voyage sans retour et donc, concrètement, personne n’est jamais revenu pour en parler, c’est le grand inconnu et chacun est donc libre de croire à ce qu’il veut et surtout de ce qui s’y passe…

La mort c’est donc déjà en soit un problème, enfin c’est surtout un problème que l’on aura qu’une seule fois, mais dans la culture de l’imaginaire, revenir d’entre les morts et « subir » une résurrection, c’est souvent le début d’autres gros problèmes…

Historiquement, dans un premier temps, le trépassé qui revient fouler le monde des vivants, c’est en général un personnage mal intentionné : Dracula, La Momie, les zombies, les morts vivants, la plupart ont un réel problème avec ceux qui sont encore vivants et semblent tous motivés à faire que les vivants les rejoignent au plus vite.

L’une des figures emblématiques de l’horreur est issue de cette peur ancestrale, je veux bien sûr parler du Monstre de Frankenstein. Même ceux qui n’ont pas lu le livre de Mary Shelley connaissent plus ou moins l’histoire de cette créature pathétique, constituée d’éléments de cadavres et issue du cerveau malade d’un scientifique fou, vivante contre son gré et qui préfère mettre elle-même fin à sa résurrection de fortune. Le Monstre de Frankenstein, historiquement et culturellement parlant, c’est aussi une base, celle de l’être revenu d’entre les morts qui cherche de nouveau sa place dans un monde qu’il croyait avoir quitté et y revient alors qu’il n’y a, théoriquement, plus sa place.

De plus le Monstre de Frankenstein impose une variante de taille, il n’est pas totalement méchant, il est plutôt naïf et n’est pas vraiment maître de ses actes.

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Cette base du monstre « gentil » qui cherche sa place a servi énormément dans la culture populaire et est encore aujourd’hui largement utilisé : De RoboCop à The Crow en passant par le Darkman de Sam Raimi, le cinéma et la culture pop sont truffés de personnages revenus d’entre les morts pour assouvir vengeance ou aider leurs proches toujours vivants.

Les comics n’échappent pas à la règle et ont leur lot de personnages plus ou moins vivants, Deadman et Swamp Thing chez DC, Spawn chez Image, il n’est également pas rare que des super héros décèdent pour ensuite revenir à la vie de manière disons « inopinée » afin de revenir dans un monde qui ne les attendait plus… Les deux plus gros exemples récents, à savoir Batman chez DC et Captain America chez Marvel prouvent que bien plus que l’utilisation d’un thème aussi éculé et toujours aujourd’hui largement d’actualité, jusqu’à parfois l’écœurement, les morts / résurrections des personnages de comics étant quasiment un gag de répétition tellement il a était utilisé.

Pour trouver en comics des histoires avec des personnages morts vivants plus originales que les sempiternelles super héros qui reviennent à la vie après des cérémonies pompeuses, il faut fouiller chez les éditeurs indépendants et exhumer des mini-séries plus ou moins oubliées, tel un fossoyeur des comics, j’ai trouvé cette mini-série publiée originellement en quatre numéros chez Oni Press en 2000 : The Coffin.

Publiée donc en 2000/2001 chez Oni Press aux États Unis, cette excellente mini-série a même eu droit à une traduction dans l’hexagone chez Semic dans leur collection Semic Noir en 2004 sous le titre Sarcophage.
Sarcophage est écrit par Phil Hester et dessiné par Mike Huddleston, voici donc une rapide présentation des deux artistes aux commandes…

Phil Hester est un scénariste américain très prolifique : Il a travaillé pour quasiment toutes les maisons d’éditions, de Marvel (Ant Man), DC (Swamp Thing, Green Arrow, Wonder Woman) à TopCow (The Darkness), il a aussi travaillé sur des personnages moins exposés comme The Crow, Green Hornet et Black Terror. Il fut nominé en 1996 aux Eisner Award pour The Wretch, super héros sombre et silencieux protégeant la ville imaginaire de Glass City.
The Coffin est un de ses premiers travaux.

Mike Huddleston est quand à lui un dessinateur américain au parcours pour le moins atypique : Remarqué lors d’un DC Talent Showcase, il se voit confier 5 numéros de la série Deathstroke. Il embraye ensuite sur The Coffin qu’il co-créé avec Phil Hester. Suite au succès de The Coffin, il repart chez DC et travaille sur Harley Quinn. Devenu un artiste en vue, il continue son bonhomme de chemin pour Dark Horse sur Grendel et Marvel sur Captain America avant de s’allier de nouveau avec Phil Hester sur un autre creator-owned, Deep Sleeper, titre qui marque une véritable évolution graphique de son style.

Charmés par son nouveau style novateur, Ray Fawkes et Hank Rodionoff font appel à lui pour dessiner Mnemovore, une mini série publiée chez Vertigo, un comic dont l’histoire, à mi chemin entre réflexion métaphysique et horreur, se retrouve parfaitement adapté au style d’Huddleston.
Après ce passage, il retourne au mainstream et dessine Batgirl et Manbat pour DC ainsi que Gen 13 pour Wildstorm.
Récemment, il a connu un grand succès avec Homeland Directive en collaboration avec Robert Venditti. Homeland Directive est un énorme succès, placé en bonne place dans le classement du New York Times dés sa première semaine de publication.
Actuellement, il travaille sur Butcher Baker avec Joe Casey et sur le comic inspiré de la série TV The Strain.

Les deux auteurs ayant maintenant une identité plus concrète, passant à l’œuvre en elle même.

Sarcophage est donc l’histoire du docteur Ashar Ahmad, scientifique fasciné par la vie éternelle depuis qu’il s’est rendu compte que l’une de ses créations, un tissu étanche, a la propriété de « retenir » l’âme des défunts après leur mort et les maintenir dans une sorte de non-vie. Le bon docteur a alors l’idée de créer une combinaison qui garantirait la survie de l’âme dans le corps. Cependant, ledit docteur a un gros problème : C’est un insupportable connard obsédé par son travail qui traite sa femme et collaboratrice comme de la merde et connait à peine sa petite fille. De plus, depuis qu’il travaille sur sa combinaison/armure, Ashar est assailli par des cauchemars le confrontant à des créatures démoniaques lui reprochant sa création. Tiraillé par le doute, il s’interroge de plus en plus sur le bien fondé de ses expériences. Mais son mécène, le multi-milliardaire Heller, a de plus grands plans en ce qui concerne la découverte du docteur Ahmad et compte bien se l’approprier.

Heller envoie donc un soir ses deux hommes de main mettre la main sur les travaux du docteur Ahmad. Tout fini dans un bain de sang : La femme du docteur et tuée et le bon docteur laissé pour mort… Mortellement touché, le docteur Ashar n’a que pour seule issue de s’enfermer dans sa propre création. Mort mais maintenu en vie dans son armure, Ashar va alors tout tenter pour se venger de l’homme qui a détruit sa vie et se racheter une conduite auprès de ses proches qu’il a négligé.

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Dés les première pages, Sarcophage étonne par son graphisme absolument somptueux : Dessiné dans un noir et blanc impeccable, les personnages sont réalistes et les planches très détaillées sont baignées dans des aplats de noir aussi efficaces que parfaitement maîtrisés : Visuellement, c’est une véritable claque, démontrant le talent incontestable de Mike Huddleston.

Niveau histoire, le récit brasse assez large et les références y sont nombreuses : La plus évidente étant bien sûr celle faite à RoboCop avec cet homme coincé dans un corps mécanique. Mais on y retrouve aussi des passages inspirés par le manga Ghost in The Shell de Masamune Shirow (une référence directe y étant même faite), Frankenstein évidemment et la plupart des récits de ce genre. Néanmoins, Sarcophage réussi a créer sa propre identité visuelle et scénaristique et on est très vite happé par l’univers sombre créé par Phil Hester, mélange entre onirisme, mélancolie et action débridée.

Les personnages sont aussi parfaitement et richement écrits, ce qui est plutôt étonnant pour une mini-série en seulement quatre numéros : De personnage détestable, le docteur Ashar devient rapidement une créature pathétique et triste, presque touchante qui réalise suite à sa mort que sa vie n’était qu’une sorte de désillusion. Les seconds rôles ne sont pas en reste, notamment l’ancien associé de Ashar, homme solitaire et naïf qui permet étonnement de traiter du sujet de l’homosexualité là où on ne l’attend pas. Quand à Heller, il est l’archétype du méchant mégalomane, esclave de sa propre folie. Mention spéciale au personnage de Keen, la tueuse au service de Heller, qui à elle seule mériterait un spin off.

Tout en étant richement référencé, Sarcophage réussi à créer sa propre identité et ça en seulement quatre numéros, un véritable tour de force.

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Sarcophage c’est l’alliance parfaite de dessins magnifiques couplés à une histoire riche, référencée et parfaitement maîtrisée : En bref on a là un comics parfait dans sa définition la plus noble. De plus, on a beau être dans le domaine de l’horreur, c’est un livre très abordable pour tout type de lecteur, ces multiples références, aussi bien cinématographique que littéraire plairont sans aucun doute même à ceux que les comics ou bandes dessinées indépendantes rebutent généralement.

Peut-on encore innover, même avec une idée aussi éculée et classique que celle de la vengeance d’outre tombe ? La preuve que oui avec Sarcophage et son traitement à la fois classique et intelligent de cette idée pourtant quasiment ante-diluvienne.
Je me plais souvent à dire qu’il n’y a pas de mauvaises idées, juste de mauvais auteurs et au gré de mes découvertes, je me rends compte que j’ai de plus en plus raison avec cette petite réflexion.

Si vous en voulez la confirmation, lisez Sarcophage : C’est excellent, on peut toujours se le procurer assez facilement en version française pour un prix modique et je peux vous assurer que vous ne le regretterez pas  !

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Sarcophage, de Phil Hester et Mike Huddleston disponible depuis décembre 2004 en France chez Semic dans la collection Semic Noir.

Note : En VO, The Coffin a été réédité en 2010 dans une nouvelle version appelée The Coffin 10th Anniversary Edition

 

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