Le Message d’Aphrodite

Wonder Woman - Earth One

Hercules has taught me life is a privilege

Ouvrage attendu de (très) longue date par votre blogueuse de choc, le Wonder Woman: Earth One de Grant Morrison et Yanick Paquette, sorti depuis peu, n’aura aucun mal à instaurer une sorte de nouvelle Guerre Civile auprès de ses différents lecteurs, qu’ils soient des inconditionnels de la Wonder Woman du Golden Age et du message que véhiculait William Moulton Marston à cette époque, du lectorat féministe ulcéré par la représentation parfois un peu trop coquine des Amazones par notre adorable dessinateur Québécois, et des amateurs de la bibliographie d’un scénariste hors norme qui a osé ici s’attaquer à une telle icône avec tout le talent qu’on lui connait pour la valoriser, mais aussi toute la critique et la contradiction qui émane d’un peuple vivant dans une telle autarcie, tout cela malgré son relatif court récit (144 pages, il en aurait mérité à mon avis bien une dizaine de plus).
Je suis moi même très partagée vis à vis de toutes ces conjonctures, mais je vais m’efforcer de vous les amener avec tout le recul possible tant ce premier volume (sur 3) restera je pense comme un indispensable, autrement dit comme on lance parfois plus haut, en avant Guingamp.

Wonder Woman: Earth One était donc cette espèce d’arlésienne que l’on attendait plus, entre changement de titre, de scénariste (Greg Rucka était à l’origine sur le projet), et de report de date de publication, DC Comics a su nous faire patienter de nombreuses années (5 au total) avant de nous livrer sa nouvelle version de l’héroïne en date, sans être ultime et définitive, mais réunissant près de 75 ans d’éléments propres à sa mythologie.

Mais avant de décortiquer soigneusement cet ouvrage, il est important je pense de revenir encore une fois sur le contexte particulier de la création de ce personnage tant il est vaste, et tant j’ai toujours autant de mal à lire certains avis de personnes totalement à côté de la plaque sur le sujet. Wonder Woman est l’un des personnages les plus intéressants qui puisse exister dans ce médium, et en bonne Amazone elle ne s’offrira jamais à vous sans que fassiez le vrai effort de vous soumettre à sa longue histoire.

En 1932, soit 9 ans avant les premières aventures de Diana de Themyscira, William Moulton Marston publie une nouvelle intitulée Venus with UsA Tale Of The Caesar chez Sears Publishing Company, imaginant les expériences sentimentales et sexuelles de Jules César, dont le titre en latin Venus nobiscum est intimement lié à son intérêt pour le bondage et comme l’explique très bien son résumé : « était le cri de guerre et la devise de Jules César, maintenant toute sa vie que les femmes contrôlaient le monde, que les hommes vivaient, combattaient et régnaient, que les nations prospéraient; changeaient et disparaissaient sous l’impulsion des femmes. Ainsi chaque étape de sa carrière, dans son jugement, a été influencée par une femme  » .
Ainsi d’après l’inventeur du polygraphe, Jules César n’était pas venu en Egypte vaincre Pompée et devenir le seul dirigeant de Rome autrement que pour sauver sa petite fille Gaia, et son amante esclave Ursula, tout en ayant la chance de rencontrer dans son périple Cléopatre
Venus with Us décrit également des scènes de bondage entre les différents protagonistes, dans lesquelles le héros se soumettra sans complexe aux décisions des femmes sujettes à ses faveurs, dont Florentia, son tout premier amour : « Elle lui fit se vanter d’être son esclave, pleurant, suppliant, implorant. Elle lui fit sienne si entièrement que même elle ne pourrait jamais lui accorder la liberté. Elle l’enveloppa dans des obligations d’elle-même, dont la douceur était incassable. »

Pour Marston, le bondage exercé par les femmes sur les hommes n’était pas une pratique mais bel et bien un art de vivre, une philosophie qu’il nommait lui-même loving authority, un terme que ne va pas manquer de reprendre Grant Morrison dans les pages de Wonder Woman: Earth One pour décrire le matriarcat instauré sur Paradise Island pendant des millénaires.

Venus

De Venus à Diana il n’y avait donc qu’un pas, l’autorité et la présence de la déesse Aphrodite étant effectivement perceptible dans les moindres recoins d’Earth One, et ce, dès la couverture avec sa référence à peine déguisée de la fresque de Botticelli.

Hippolyta ne devra également son salut des mains viriles d’Hercules (ce qui est bien avec Morrison, c’est que dans ce récit, les hommes prennent aussi chers que les femmes) que par son intervention divine, la légendaire ceinture de la reine des Amazones semble être aussi constituée des plumes du cygne/animal fétiche de la déesse, Yanick Paquette contribuant en parfait zoologiste qu’il est, à rappeler dès qu’il le peut l’iconographie des plumes autant sur les vêtements des amazones que dans l’architecture de Themyscira, de même que pour la forme du coquillage reprise tout le long de l’ouvrage, sans parler du fameux avion invisible en forme de vagin, Venus étant (il est temps de le rappeler) la déesse de l’amour et de la sexualité.
Qui plus est selon la mythologie, Venus serait née d’une goutte de sang d’Ouranos après que celui-ci se soit fait émasculer par son fils Cronos (diantre, ce sont des choses qui arrivent). Elle naît ainsi à la suite de la chute dans la mer des organes génitaux de son père. Tout un symbole.

Dans ce Wonder Woman: Earth One, il faut également saluer l’impressionnant travail de Paquette pour nous donner une Ile du Paradis à la fois monumentale et démesurée, où chaque édifice semble faire partie de son environnement naturel, comme si Déméter elle-même les avait fait jaillir de la roche. Le site exceptionnel des calanques de Cassis où les pins d’Alep poussent à flanc de falaises est l’endroit où l’artiste a puisé son inspiration pour nous donner sa version de Themyscira. Entre rochers vertigineux et végétation luxuriante, les temples et arènes à la gloire de la féminité dont l’architecture autant classique et épurée qu’organique et complexe, nous donnent toute la mesure du temps que l’artiste aura mis (deux ans) à illustrer cet album.

Themyscira

calanques

En décidant de traiter un personnage aussi emblématique que celui de Wonder Woman (de par sa teneur culturelle et sociologique comme étant l’un des plus grands symboles du féminisme de l’ère moderne), Grant Morrison devait sans doute s’attendre à des réactions plus ou moins enthousiastes, mais qui finalement ne sont pas s’en rappeler celles qui avaient été entendues par William Moulton Marston en 1941 lorsqu’elle apparu dans les pages d’All Star Comics #8.

Wonder Woman a depuis toujours fait l’objet de fantasmes de la part de ses lecteurs masculins, tout en véhiculant des préceptes féministes pour ses lectrices, ne retenir qu’une facette de son identité est une erreur et Grant Morrison a quant à lui bien décidé de n’omettre aucune de ces deux perspectives. Il est d’ailleurs intéressant de constater à quel point le scénariste britannique s’amuse à suivre les traces du psychologue, dans sa démarche à la fois utopique, anachronique, fantasmée/érotisée d’une société totalement régit par des femmes, ou le lesbianisme, le bondage et le protectionnisme par le matriarcat en sont les piliers.

Morrison arrive également à faire passer le message de Marston qui montrait Wonder Woman comme une réponse aux comics des années 40 qui prônaient une masculinité toute guerrière, ici Diana ne cherche qu’à vouloir soigner et guérir, et elle s’oppose aux soldats sans se battre. A vrai dire, les premières pages de  Wonder Woman: Earth One ne sont ni plus ni moins qu’un remake moderne de Wonder Woman #1, même si Morrison a pris certaines libertés, on retrouve tout à fait la caractérisation propre au Golden Age des Amazones et de leur univers.
En parlant de libertés prises il y en a une qui est de taille en la personne de Steve Trevor, dont Diana ne va pas tomber amoureuse mais qui va plus lui servir d’excuse pour quitter l’Ile du Paradis. En modifiant l’ethnie du pilote naufragé, Grant Morrison enrichit grandement ce personnage rappelant que ses ancêtres étaient eux aussi des esclaves et ramenant ainsi la condition des Amazones beaucoup plus compréhensible pour le lecteur.

Wonder Woman - Etta
La présence d’Etta Candy, ou plutôt Beth Candy et de ses Holidays Girls, est également une très belle affaire, et il est d’ailleurs assez drôle de pouvoir comparer cette version d’Etta avec celle de The Legend of Wonder Woman de Renae De Liz. Toutes les deux sont sublimes et me font penser que l’on ne voit que trop rarement ce genre de personnages dans un comic-book, même si les choses commencent peu à peu à changer notamment avec l’arrivée de Faith chez Valiant. Choisir Beth Ditto (véritable ouragan, icône queer et féministe moderne) comme référence pour Etta Candy légitimise à lui seul le caractère féministe de l’oeuvre de Morrison et Paquette, malgré les défauts que pourront trouver certains lecteurs ou lectrices, à juste titre d’ailleurs.

Grant Morrison a été élevé dans un environnement féminin auprès de sa mère et de sa sœur qui se retrouvaient souvent en conflit l’une envers l’autre. Wonder Woman: Earth One en plus d’avoir le mérite de donner les clés au lecteur lambda sur une héroïne dont on a encore du mal à cerner les vraies origines au bout de 75 ans, traite également d’une histoire de famille et du rapport de force qu’une mère peut avoir avec sa propre fille. Il est clair que les deux auteurs ont mis beaucoup d’eux-même dans cette oeuvre, et je peux comprendre leur frustration au regard des critiques.

Mais la faiblesse de Wonder Woman: Earth One réside encore une fois sur le traitement des Amazones, comme cela a été dernièrement le cas avec Brian Azzarello et Meredith Finch, on se retrouve ici à devoir faire face à une bande de lesbiennes sectaires, hautaines, élitistes et rejetant la diversité physique des femmes de la Terre des hommes, des fondamentalistes du beau sexe qui se confortent dans leur idéologie via des images violentes et révoltantes du monde extérieur. C’est du moins le cas d’Hippolyta, qui aurait pu, au bout de 3000 ans, changer un peu son fusil d’épaule vis à vis des hommes, mais préfère continuer à se comporter telle une Ben Laden du féminisme (la présence des Twin Towers dans le miroir n’est sans doute pas fortuite), les attentats en moins, quoique, il n’est pas dit qu’elle aurait pu se servir de Diana à des fins plus dramatiques (« Mother ! I’ve been training my entire life for… what ? You named me for the divine mistress of the hunt ! »).
Il est dommage de devoir encore une fois buter sur un tel raccourci comme quoi des femmes vivant en autarcie ne peuvent vivre que dans la haine des hommes et l’intolérance primaire face à ce qu’elles appellent le « masculinisme ».
Du coup comment un peuple détenant une culture et une technologie aussi avancée peut-il continuer d’évoluer ? Alors oui, je sais que le principe de Themyscira est d’être une île totalement isolée et protégée de la violence des hommes mais de là à cacher la (ou plutôt les) vérité(s) dans le but de contrôler ses ouailles est une erreur. Ou plutôt véhiculer cette idée en est une. Elle ne fait qu’affaiblir encore une fois la valeur des Amazones dans le DCU, et il se trouve que Wonder Woman en est une. Et même si Wonder Woman: Earth One n’est au final qu’un Elseworld, les préceptes sont lâchés, et les lecteurs sont encore bien loin de pouvoir faire la différence contrairement aux versions Earth One de Batman et Superman.

Voilà, j’ai été plutôt sage vu que j’ai laissé mon coup de gueule pour la fin, et j’ai oublié de vous parler de plein de choses comme les ajouts bien sentis de la mythologie grecque comme les Parques et la gorgone Medusa, mais du coup il n’y aurait finalement plus de surprises.
Ce premier volume de Wonder Woman: Earth One est donc comme je l’ai dit plus haut un livre qui arrive à faire le pont entre les idées (les idéaux ?) de William Moulton Marston appartenant à la fameuse époque du Golden Age pour notre héroïne, et sa version plus moderne, malheureusement parfois stéréotypée aussi, mais qui finalement contribue pleinement à résumer un peu ces 75 ans d’histoire pour le lecteur novice.
En quelques 144 pages et des années de travail, l’attente en valait la peine, c’est sûr.

Wonder Woman - Earth One Paquette

11 commentaires sur “Le Message d’Aphrodite

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  1. Merci pour cet article ! Je l’attendais avec impatience ! 😀
    Tu me donnes de surcroit quelques éclaircissement sur des petites choses qui m’avaient échappé 🙂

    Pour la nature des Amazones, décrites finalement comme des féministes (très) extrémistes (d’ailleurs, merci pour la référence des Twin Towers, une des petites choses que j’avais raté), Morrison ne les place-t-elle pas là pour justement mettre en contraste les différentes formes de féminismes que l’on « rencontre » de nos jours ?
    Posant un pied dans le plat en critiquant, certainement à demi-mot, la manière absurde dont on nous présente le féminisme aujourd’hui, dans nos médias généralistes (ceux que toi et moi on n’écoute pas, je suppose ahah), en l’extrêmisant, en montrant une violence absurde (et surtout non expliqué par nos journalistes) lié à ce mouvement, et sa « possible » haine pour les hommes, au contraire de ce que le mouvement féministe est réellement: un mouvement critique mais réfléchit et ne cherchant absolument pas à asservir les hommes, mais cherchant à atteindre l’égalité. Ici représenté par une Diana qui est amené à cotoyer les deux facettes extrême : patriarchie (militaire qui plus est) et matriarchie, et a faire la jointure entre les deux, se posant ainsi en héroïne de l’égalitarisme et du juste milieu… Si je puis dire maladroitement ainsi. Tout l’objet de son « procès », il fait le procès du féminisme en fait (et le féminisme gagne ! :D)

    Je comprend complètement l’idée que présenter les Amazones de cette façon a le potentiel de faire passer justement le mauvais message et que cela peut paraitre relativement décevant (ce qui était le cas pour moi, à chaud). Mais j’imagine que Morrison ne peut pas s’empêcher de critiquer sur tout les fronts, du moins, je l’imagine comme ça, et que c’est pour cette raison qu’il a posé ce parti pris, ce qui me permet de relativiser ce point de vue. Après, vu que je n’y connais rien, je suis peut-être à côté de la plaque ! 😀

  2. Earth one, j’ai vraiment adoré. J’ai toujours eu un problème avec les origines et passages chez les amazones qui se résument souvent « Homme méchant, seul femme bien » (oui je fais bébête exprès).

    Je lis le début et j’avais peur de revoir le film d’animation wonder woman (qui a se problème mais la fin finalement la traitresse on la comprend qu’être amazone peut être une malédiction), mais ensuite est arrivé le passage dans le monde des hommes et surtout un personnage : Beth candy. Ce personnage est génial et répond aussi bien au problème du contrôle des hommes mais aussi de la vision anti-homme des amazones. Lors du procès mais que de bonheur son intervention contre la reine.

    Sur le traitement des extrêmes, je crois qu’à chaque fois qu’on a eu droit à une armée de femme seul qui sont libre des hommes, elles sont forcéments extrême. Que ce soit le film Wonder woman, Apocalypse(l’arc de Turner avec supergirl), la série Justice League bruce Timm, Les valkyrie dans la jeunesse de Thor (Marvel) … Je pense que finalement le vrai message c’est Beth Candy qui le tient dans un sens. Elles sont libre, mais surtout elle est Beth candy avant d’être un sexe (enfin l’individu avant l’origine/sexe)

    Sinon bel article.

    1. Oui, je suis d’accord, Beth Candy est, elle aussi (et surtout ?), clairement porteuse du message, c’est l’avocate ici, et c’est elle qui enseigne tout (ou presque) à Wonder Woman sur la question. Je vois bien les choses comme ça 🙂

      1. ça reprend pas mal ton propos en fait ^^. Moi après je n’aime pas le mot « Féminisme » car au final voilà une égalité avec un terme qui n’est pas égalitaire ^^. Je préfère « égalitarisme avec Individualisme » ^^. Et pour moi Beth Candy est une représente : Elle est libre, fait ce qu’elle veut tout en respectant les lois « Moraux » (en clair tu ne tueras point etc).
        Je conseil vraiment au gens d’aller jusqu’au bout et pas s’arrêter au début, sinon on voit pas le message qui n’arrive qu’au procés.

      2. C’est clair qu’il faut aller au delà de toutes les previews qui ont pu être présentées sur le net !

  3. Curieux pseudo pour une lesbienne ? D’après la mythologie Aphrodite se faisait culbuter par Ares et y prenait grand plaisir…

    1. Sorry, contrairement à toi je n’ose pas poser de la merde en commentaire sur un billet à priori bien construit. Tu veux bien me donner les astuces STP ?

  4. Ce genre de dialogue ne nous mènera nul part autant dialoguer avec un tabouret. Adieu donc porte toi bien…!

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