Oink, Le Boucher du Paradis
Les comics et la bande dessinée sont des moyens d’expression qui permettent parfois de parler de certains thèmes de manière plutôt originale. Peut-on parler et critiquer ces institutions que sont l’école et la religion avec l’histoire d’un cochon travaillant dans un abattoir ?
Ça peut paraître de prime abord compliqué mais c’est pourtant ce que tente de faire John Mueller avec Oink, Le Boucher du Paradis, histoire surréaliste, sombre, violente, triste et pourtant tellement juste, sur le calvaire subit par Oink, le boucher du paradis.
« I want to watch it come down
now doesn’t that make you feel better?
the pigs have won tonight
now they can all sleep soundly
and everything is all right »
Nine Inch Nails – March of the Pigs (The Downward Spiral, 1994)
Si vous êtes fans de comic, le nom de John Mueller ne doit très certainement pas vous dire grand chose et pour cause : Oink et son seul comic, l’artiste œuvrant depuis exclusivement dans le domaine du jeu vidéo. Il a travaillé en tant qu’illustrateur, directeur artistique ou développeur sur des grosses licences vidéo-ludiques comme Quake, Unreal Tournament, Darksiders, Forgotten Realms ou Gears of War. Pas grand chose à ajouter de plus sur cet artiste, si vous êtes joueur de jeux vidéo, vous avez sans aucun doute jouer à un ou plusieurs des jeux énumérés plus haut, étant joueur moi-même, je peux dire que ce sont pour la majorité des jeux de grande qualité, majoritairement très violents cela dit…
Peintre de formation classique, John Mueller décrit Oink comme le projet le plus ambitieux et le plus personnel de sa carrière. Selon l’artiste, toute cette histoire n’est qu’une immense allégorie de sa propre vie et plus particulièrement de son enfance et de son passage à l’école.
D’abord publié à 5000 exemplaires chez le petit éditeur Kitchen Sink Comix en 1996 (le premier numéro sort en décembre 1995), Oink, Heaven’s Butcher fut remanié et remasterisé par l’auteur lui-même en vue d’une réédition chez Dark Horse l’année dernière et Delirium en France.
Bon, tout ça c’est bien gentil, mais ce boucher du paradis, c’est bien ou c’est pas bien ? Pour le savoir, parlons du goret en question.
L’histoire commence dans l’abattoir porcin 658 et nous présente Oink, colossal et naïf boucher à tête de cochon, son quotidien et l’environnement étouffant et cruel dans lequel il vit. Forcé de tuer et traiter ses semblables moins évolués, Oink va dès son enfance être conditionné à n’être qu’un rouage d’une machinerie horrible et bien huilée dirigée par un groupe d’hommes pseudo religieux dont la croyance est une sorte de mélange entre fanatisme et totalitarisme.
Mais plus le temps passe et plus Oink s’interroge… Va-t’il encore supporter longtemps de n’être qu’un simple pion dans cet engrenage malsain ou va-t’il devenir le grain de sable qui va faire dérailler cette machinerie ? La mort de Robinet, mentor et ami de Oink, crucifié pour avoir osé se rebeller va être le déclic qu’attendait Oink. Dans une folie vengeresse et violente, il va détruire l’abattoir où il était exploité, s’enfuir et commencer une quête identitaire.
L’esprit libéré, Oink va alors se mettre en chemin pour découvrir son histoire, les origines de ce monde cruel et l’existence d’un éventuel « Paradis »…
Ce qui ressort de la première lecture de Oink, c’est que c’est une lecture particulièrement puissante, l’allégorie avec le monde scolaire est cinglante, stigmatisant cet univers d’une manière cruelle et désespérée. Difficile en effet de ne pas très vite faire le rapprochement entre le monde scolaire et cette imagerie barbare d’abattoir dans lequel les esprits sont conditionnés à suivre une voix toute tracée et bien malheureux sera celui qui tentera de s’en écarter, vite remis dans le droit chemin de manière expéditive, pas moyen non plus de réfléchir par soi-même au risque de se retrouver brisé et puni.
Cette vision grossie, exagérée est également évidente dans le style visuel, tout y est sombre, ordonné et sale. Les hommes qui gèrent cette anti-chambre de l’enfer sont soit des figures religieuses extrémistes, soit des soldats sans visage au look néo-nazi. Que dire des employés « normaux » (non porcins), des sortes de psychopathes décérébrés galvanisés par un sentiment de puissance illusoire. L’abattoir de Oink ressemble également « étrangement » à une sorte de mix entre une école et une église, la pancarte devant l’entrée ne laissant d’ailleurs aucune ambiguïté sur cet état de fait.
Chaque personnage croisé par notre héros zoomorphe est également un symbole et le lecteur lambda devrait sans peine y reconnaître une figure marquante de sa propre vie.
Visuellement, Oink est une véritable claque, aussi puissante que son discours sous-jacent. Les peintures de John Mueller sont certes sombres mais d’une puissance phénoménale. Sorte de mélange hallucinant entre la technique d’Alex Ross et le style débridé de Simon Bisley, Oink est juste une œuvre graphiquement sublime, dont certaines images à la fois pathétiques, cruelles et touchantes restent en tête longtemps après la lecture.
Aussi bien dans son histoire, d’une profondeur et d ‘une intelligence rare, que dans son aspect graphique, Oink est une réussite incontestable. Chose assez rare, d’autant plus qu’il fut initialement publié à une époque où les comics étaient loin d’allier ces deux qualités.
Je pensais très honnêtement avoir vu dans cette bande dessinée des choses qui ne devaient pas y être, n’ayant pas lu l’avant propos de John Mueller (chose que je fais souvent après la lecture pour ne pas me laisser influencer par un avis extérieur lors du premier contact avec une œuvre), je me suis rendu compte après la lecture de cet avant-propos que bien au contraire, j’y avais vu exactement ce que l’auteur voulait y montrer, donnant ainsi à cette histoire porcine une implication personnelle de ma part la rendant encore plus forte. Il y a des histoires qui vous parlent, de part leurs thématiques ou les sujets qui y sont abordés et, personnellement, Oink fut une de celles-ci, mon passage scolaire ayant été une période de ma vie particulièrement compliquée, je ne pouvais que me reconnaître dans ce pauvre porc, incompris et rebelle.
Oink fait partie de ces lectures qui auront marqué ma vie de lecteur de comics et j’espère vous avoir motivé à en tenter la lecture.
Le fait qu’une œuvre comme celle-ci soit publiée en France était en beaucoup de points inespérée, et je remercie grandement les éditions Delirium de l’avoir amené jusque chez nous.
Dans un ordre plus général, je vous conseille de jeter un œil à ce que propose cet éditeur…
Oink, le Boucher Du Paradis, disponible en France aux éditions Delirium depuis le 12 mai 2015.
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