A une époque où tout le monde s’amuse à modifier le genre, l’orientation sexuelle ou la couleur de peau de bon nombre de personnages de comics, (avec des résultats plus ou moins heureux), je crois qu’il est judicieux le temps d’un billet, de revenir sur une héroïne qui a su marquer la représentation des femmes noires dans la bande dessinée américaine, en tout cas en son temps, puisqu’elle a malheureusement disparu de la circulation avec l’avènement des New 52 de DC Comics (du moins, sous sa représentation originale), et qu’elle reste de ce fait totalement méconnue d’un large public pourtant de plus en plus sensible à la problématique de la diversité dans ce medium.
Retournons donc encore une fois dans l’univers de Wonder Woman (qui n’aura de cesse d’être exploré dans ce blog, mais ça, vous le saviez déjà) pour nous intéresser de plus près à Nubia, l’Amazone d’ébène apparue au début des années 70, à une époque où les questions d’égalité de droit des minorités étaient tangiblement présents dans les pages des comics Marvel et DC.
Nubia naît donc dans ce contexte particulier, ainsi qu’à une période importante dans l’histoire de Wonder Woman, qui sort tout juste de son ère Emma Peel/Karate Queen entamée en 1968 (oh, d’ailleurs pour les enfants qui ne se souviennent plus trop de l’histoire éditoriale de Diana Prince, un petit rafraîchissement de mémoire s’impose ici). Nous sommes en 1973 et l’éditeur Robert Kanigher reprend en main la série (lui qui avait déjà occupé ce poste auparavant pendant plus de 20 ans !) à partir du #204 (dessiné par Don Heck et encré par Vince Colletta), un numéro plein de rebondissements (c’est le moins que l’on puisse dire) où ce bon vieux I-Ching est cruellement assassiné par un sniper et meurt dans les bras de Diana, qui est assommée et devient amnésique, se réveille à l’hôpital, vole un avion militaire qui se fait lui aussi tirer dessus (décidément), puis est repêchée par les amazones qui vont la ramener sur Paradise Island (mais quelle histoire !). Hippolyte installe un dispositif permettant de lui faire retrouver une partie de sa mémoire (la période sans pouvoirs est en effet éradiquée de ses propres souvenirs), ses origines sont d’ailleurs encore une fois remaniées pour l’occasion.
Lorsque Diana se réveille, elle est à nouveau elle-même, ses pouvoirs lui ont été restaurée et ses sœurs (tout comme Gloria Steinem) sont ravies de retrouver « La plus puissante Amazone au monde ». Et pourtant, une mystérieuse jeune femme entièrement vêtue d’une armure ose défier l’ordre établi, en exigeant le droit de se battre pour le titre de Wonder Woman. Les deux femmes vont s’affronter d’abord à la lutte puis à l’épée, jusqu’à ce qu’Hippolyte demande à l’intruse de retirer son casque. Nubia se présente alors comme étant la Wonder Woman d’une île flottante cachée dans la brume au large des côtes de Themyscira.
Nubia et Diana finissent par s’enlacer, la première retournant sur son île, la seconde sur la terre des hommes pour devenir traductrice aux Nations Unies, en attendant une nouvelle rencontre qui répondra à cette insoutenable question : qui mérite vraiment le titre de Wonder Woman ?
Dans cette première confrontation, il est important d’observer qu’à armes égales, Nubia et Diana sont aussi fortes l’une de l’autre, et que c’est au final la challenger qui hésitera à donner le coup de grâce à la princesse amazone. Trois ans auparavant, Robert Kanigher écrivait le scénario de I Am Curious (Black)!, le titre donné au fameux Superman’s Girlfriend Lois Lane #106 où la journaliste de Metropolis expérimentait de plein fouet le quotidien des afro-américains dans le quartier de Little Africa.
Il ne faudra pas patienter bien longtemps pour revoir notre nouvelle héroïne, car elle apparaît dès le numéro suivant (Wonder Woman #205, c’est ce fameux numéro dont la couverture a fait ulcérer plus d’une féministe où l’on voit Wondie attachée et à cheval sur un missile, un exercice dont elle s’est acquittée à maintes reprises), dans un back-up qui lui est consacrée, on apprend qu’elle est la reine d’une île entièrement peuplée d’hommes et que deux d’entre eux espèrent obtenir ses faveurs nuptiales. Mais déclarant qu’aucun homme ne saura jamais la posséder, elle se bat contre l’un d’entre eux et fini par l’épargner.
Quelques indices le laissaient penser dans les deux numéros précédents, mais c’est dans le #206 que la vérité éclate : Nubia est en fait la sœur de Diana, elle aussi sculptée dans l’argile, noire en ce qui la concerne contrairement à Diana qui fut façonnée dans l’argile blanche. Ayant reçu toutes les deux la bénédiction d’Aphrodite, Nubia fut malheureusement kidnappée par Ares qui l’emmena dans son royaume tandis que sa sœur reçu les pouvoirs d’Athéna, Mercure, et Hercules.
Nubia, sous le contrôle et l’influence d’Ares depuis son enfance devient son arme destructrice contre les Amazones alors qu’ils envahissent Themyscira. Elle est équipée d’une épée dont la lame est capable de contrer le lasso de vérité. Pendant la bataille qui l’oppose à sa sœur, Diana comprend qu’Ares soumet Nubia à sa volonté grâce à l’anneau qu’elle porte. Dès qu’elle le lui retire, les deux femmes vont combattre côte à côte contre le Dieu de la guerre, au nom de la paix.
C’est à la fin de ce numéro que Wonder Woman découvre les origines de Nubia, qui lui sont révélées par leur mère Hippolyte.
C’est dans Supergirl #9 (l’année suivante, et toujours écrit par Kanigher) que l’on pourra continuer de suivre les aventures de Nubia, où la jeune Kryptonienne fini par devenir membre honorifique des Amazones… Ecoutez ce numéro est tellement merveilleux (c’est ironique, évitons les malentendus) que je me dois de vous en parler dans un billet indépendant. Mais pour résumer, Supergirl se lance dans un périple à la recherche d’une fleur seule capable de soigner Nubia de blessures mortelles causées par des hommes requins.
Bon alors surtout ne vous inquiétez pas, après maintes péripéties complètement stupides (elle se déguise en gorille quand même, voilà pourquoi j’adore ce numéro), Supergirl parviendra à ramener la fleur en question, parce que… c’est juste Supergirl ok ?
Grâce au succès de la série télévisée avec Lynda Carter, la marque de jouets Mego commercialise en 1977 une gamme de poupées comprenant Wonder Woman et Steve Trevor, mais également Nubia, bien qu’elle ne soit jamais apparue dans la série (pour la petite histoire, elle aurait du apparaître en tant que sœur de Wonder Woman dans la série avortée par la chaîne ABC en 1974 avec Cathy Lee Crosby dans le rôle titre, c’est la comédienne Teresa Grave qui était censée l’incarner).
Comme on peut le voir dans cette publicité, le souhait du fabricant était d’attirer une nouvelle catégorie de consommateurs jusque là ignorés : les jeunes filles afro-américaines.
Nubia porte ici sa fameuse armure vue dans Wonder Woman #204.
Dans Super Friend #25 (en 1979, Ramona Fradon est au dessin, Nelson Bridwell au scénario), Wonder Woman est sous l’emprise d’Overlord (m’enfin mais c’est pas possible ça ! C’est quoi cette manie de se faire manipuler comme ça pour un oui ou pour un non !) et se met en tête de libérer les femmes d’Afrique de l’oppression masculine en vociférant devant une foule toute conquise, clamant que les hommes n’ont de cesse de traiter les femmes comme leurs objets et qu’il est temps pour elles de se soulever enfin, sous le leadership de la guerrière amazone.
C’est alors que Nubia intervient, la « sœur noire » de Diana s’opposant avec virulence face à ce coup d’état idéologique, car se revendiquant comme étant la seule et unique Wonder Woman de la cause des femmes Africaines.
Le temps d’une page, on constate encore une fois que les deux femmes lorsqu’elles se battent à armes égales sont aussi fortes l’une que l’autre. Overlord finalement vaincu, tout fini par rentrer dans l’ordre.
Ce numéro a la particularité de marquer la fin de l’existence de Nubia période pré-Crisis (c’est à dire avant le crossover monument Crisis on Infinite Earths en 1985), il faudra attendre pas moins de 20 ans pour retrouver notre héroïne sous une nouvelle appellation, ainsi qu’une nouvelle entité.
En septembre 1999, Nu’Bia fait donc son apparition dans Wonder Woman Annual #8, (Doselle Young, un écrivain noir originaire de Californie est au scénario, il n’est surement pas étranger à ce changement de patronyme, aux racines plus africaines mais faisant du coup moins référence à sa couleur de peau) un numéro faisant partie du crossover JLApe : Gorilla Warfare! (non mais sérieusement, moi j’y peux rien si je dois continuellement balancer des dinosaures ou des gorilles dans tout les sens ! Ils me poursuivent !). Au cours de ce numéro, Wonder Woman, Shim’Tar et Artemis suivent le cours du Styx. C’est alors que Diana va rencontrer une mystérieuse femme noire arborant un lion sur son plastron (oui je sais, ça change des gorilles), qui va appeler à tort notre amazone Antiope (elle est en fait sa nièce). Sa mission actuelle est de garder le passage qui permet d’accéder via le Styx du monde des enfers à Themyscira.
Nu’Bia resurgit ensuite en mars et avril 2000 (Wonder Woman #154/155) ni plus ni moins que dans l’ascenseur d’un hôtel de Las Vegas (trop stylé!) parmi lesquels tous les élévateurs portent soudain l’insigne d’un lion.
Dans une très belle discussion entre les deux femmes, Nu’Bia s’identifie comme étant la toute première Amazone a avoir remporté le fameux tournoi attribué aux origines par Diana, ce qui fait d’elle historiquement la première Wonder Woman.
On apprend également que Nu’bia est devenue durant l’éternité passée aux portes du Tartare, l’amante du Dieu Perse de la lumière, Ahura Mazda, et qu’elle est également venue en aide aux fameuses Gorgones (non non, pas Christine Boutin !) qui en retour, lui ont donné leur fameux pouvoir de transformer n’importe quel être vivant en pierre afin de la remercier.
En 2009, nous allons découvrir une troisième version de Nubia avec Final Crisis #7 (dernier numéro de l’event), elle est ici une amazone résident sur Terre 23 aux côtés d’un Superman noir devenu Président des Etats-Unis, le concept est écrit par un certain Grant Morrison.
Dans cette version de l’héroïne, Nubia est originaire de l’île d’Amazonie, et occupe les même fonctions que la Wonder Woman classique en tant que diplomate et représentante de son peuple. Quelques années plus tard, Grant Morrison va une nouvelle fois utiliser ce personnage issu d’une terre parallèle lors de son run sur Superman dans Action Comics #9, puis dans The Multiversity.
Nubia/Nu’bia, est une héroïne porteuse d’espoir pour tout un lectorat. Même si elle a principalement été écrite lors de ses premières années par des scénaristes masculins, blancs, etc etc… (c’était la norme à l’époque, elle l’est encore aujourd’hui…), ceux-ci ont toujours été un minimum conscients de l’enjeu sociétal correspondant à la représentation d’un tel personnage.
Même si elle n’est pas exempte de tout stéréotypes qui résultent pour la plupart de maladresses dues à un manque flagrant de connaissances concernant la culture afro-américaine de l’époque, Nubia est un personnage qui mérite pleinement aujourd’hui un retour en grâce, à l’heure où Miles Morales et Kamala Khan sont plus que positivement reçus par un public de plus en plus ouvert et en demande d’un plus grand pluralisme.
C’est un peu bizarre de créer un personnage noir qui n’a aucune racine africaine et qui n’a jamais vécu parmi une population noire pour servir de modèle à des jeunes afro-américain.
Oui, c’est tout le paradoxe de ce personnage…
Excellente article! Je ne connaissais pas ce personnage. En fait juste sa dernière version d’un monde parallèle des New 52. Merci ! 🙂