Image Comics, qui est considéré comme le troisième plus grand éditeur de comics aux Etats-Unis, a toujours basé sa ligne éditoriale sur le concept du creator owned ainsi que sur la liberté d’expression de ses artistes, notion encore plus évidente et plus marquée à partir du début des années 2000.
Là où certains auteurs travaillant pour les big two ont pu se sentir, à un moment donné de leur carrière, freinés dans leur processus de création à cause d’une censure plus ou moins assumée, ceux là même ont toujours vanté les mérites de la maison au I Majuscule dans ce domaine, que ce soit par le biais d’une campagne publicitaire datant d’il y a déjà quelques années, ou rien de moins que lors de la conférence qui s’est déroulée lors du FIBD d’Angoulême en janvier dernier.
C’est ainsi que chez Image Comics, du sexe, on en voit (et on en lit surtout) le plus naturellement du monde, tout simplement parce que cela fait partie des choses de la vie, et ce qui est d’autant plus intéressant c’est que dans bon nombre de titres publiés chez cet éditeur, l’emploi du sexe devient un outil narratif, une notion importante dans l’intrigue mais que l’on pourrait remplacer par tout autre chose, en résulte une utilisation d’autant plus décomplexée et primaire, alors qu’elle n’en est pas vraiment le cœur du sujet, malgré un titre qui ne laisse pourtant aucune ambiguïté.
En lisant Sex Criminals, (édité en France par les bons soins de Glénat Comics, qui se charge, grâce aux remaniements de cette écurie, de diversifier un peu ce qui se fait déjà dans notre pays, en publiant des titres tels que Lazarus, et dont les autres publications sont assez enthousiasmantes, du coup, je me mets à rêver de titres VO publiés par leurs bons soins et dont j’ai parlé sur ce blog…), je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec une autre série qui m’avait beaucoup enthousiasmée, Sunstone (également publié chez Image) où le sexe est bien évidemment un acteur fondamental de l’intrigue, mais constitue plus un ciment dans la relation de ses personnages principaux, sans parler du fait que dans les premières pages, leur apprentissage respectif est synonyme de recherche identitaire pour les deux héroïnes (Suzie et Lisa), et mine de rien, c’est une notion des plus importantes, et des plus actuelles.
Sex Criminals évoque dans ses premières pages, ou plutôt fait le constat crispant de ce que la jeunesse peut avoir comme idée reçue (ou pas) sur la sexualité. Le fait de se sentir différent, ne pas trouver les réponses immédiates face à sa propre sexualité et ses multiples interrogations peuvent être ressenties à la fois comme un échec et une frustration, et cela, Matt Fraction a su l’aborder de la meilleure façon possible.
L’héroïne est d’autant plus attachante qu’elle fini par trouver refuge dans l’isolement engendré par son rapport au sexe (elle a le pouvoir d’arrêter le temps à chaque fois qu’elle a un orgasme), lui permettant de prendre le temps de gérer entre autre la mort abrupte de son père et le désarrois de sa mère.
Lorsque Suzie rencontre Jon pour la première fois, tout semble justement se dérouler de la façon la plus normale possible, jusqu’au moment où elle se rend compte qu’ils ont bien plus en commun que leur passion pour la littérature.
Pour ce qui est de Jon, la découverte de sa sexualité et de son pouvoir se sont déroulés d’une façon certes moins traumatisante, mais non moins épique, usant, et abusant des vidéo clubs, sites et magazines porno où œuvrait une certaine Jazmine St Cocaine qui lui a laissé un souvenir pour le moins impérissable.
Dans le partage de leurs expériences et leurs souvenirs, on sent bien que ces deux là sont destinés à être inséparables, c’est en tout cas ce que nous fait ressentir Suzie qui en plus de vivre ses péripéties, apparaît tout au long du récit en brisant le 4ème mur, et nous fait partager à la fois son passé que celui de son compagnon. Un stratagème des plus inclusifs qui fonctionne à merveille dans ce genre d’histoire, justement basé sur l’apprentissage de la psychologie des personnages, que sur leurs élucubrations sexuelles.
Autre moment totalement jouissif, un interlude en rapport avec la chanson Fat Bottomed Girl de Queen, que je vous laisse ici, et que vous prendrez plaisir à écouter tout en lisant cet album (de toute façon, Queen c’est la vie, et puis merde)
L’intrigue de ce premier album, jonglant très intelligemment entre le passé, le présent, la découverte de ce tandem très attachant, la toile de fond se déroulant quant à lui lors d’un braquage de banque de la part du couple, et l’appréhension de celui-ci par un trio improbable… ne peut laisser insensible la plupart d’entre nous, tant ses protagonistes incarnent les anti-héros parfaits.
La construction narrative de Matt Fraction et la vison résolument disco de Chip Zdarsky font de ce Sex Criminals une oeuvre jouissive et décomplexée, très proche de ce que la BD européenne érotique a pu nous offrir, avec en plus un vrai scénario…
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