« Car seul le fer peut nous sauver
Seul le sang peut nous délivrer
des lourdes chaînes du pêché
de la malicieuse exubérance »
Max von Schenkendorf, 1813.
Rares sont les scénaristes qui ont réussi à traiter aussi merveilleusement bien leurs héroïnes que Greg Rucka. Qu’elles appartiennent déjà à un éditeur, ou qu’elles proviennent tout doit de son imagination, les femmes de Rucka ont toutes au moins un point en commun : aucun cliché ne saurait les définir.
La justesse avec laquelle l’auteur de Batwoman Elegy et Gotham Central développe ses personnage féminins dans chacune de ses œuvres est en effet devenue une véritable marque de fabrique, une valeur sûre que l’on est certain de retrouver quelque soit le genre qu’il va emprunter, de Wonder Woman à Stumptown, de Queen & Country à Felon, de The Question à Lady Sabre, Greg Rucka ne perd pas son temps à affubler ses héroïnes de poncifs inutiles et révélateurs d’une vision réductrice ou simpliste, comme on en voit encore trop souvent dans les comics.
Écrivain prolixe, l’une de ses dernières séries en date s’intitule Lazarus, dont le premier tome vient d’être publiée en France par Glénat Comics, l’éditeur diversifiant actuellement son catalogue en proposant du très bon matériel dont nous aurons le plaisir de reparler sur ce blog, les femmes étant particulièrement mises à l’honneur.
Dans cette série originellement publiée chez Image, Rucka retrouve un artiste qu’il connait bien puisqu’ils ont œuvré ensemble sur les 3/4 des numéros de Gotham Central, Michael Lark qui continue d’imposer ici son style à la fois sombre, violent et très réaliste à l’image des polars des 70’s.
Le registre de Lazarus est toutefois bien différent, puisqu’il se situe dans un futur proche et dystopique, où suite à une catastrophe à grande échelle la société s’est réorganisée auprès de plusieurs familles utilisant un système quasi féodal, exploitant des ressources et les distribuant à un nombre restreint, le reste de l’humanité étant considéré comme des déchets.
Élevée par la famille Carlyle, Forever en est à la fois la protectrice, la représentante et l’exécutrice, dotée de facultés régénératrices hors du commun sa loyauté envers les siens n’est pourtant basée que sur des mensonges, son père et ses frères et soeurs se servant d’elle comme d’une véritable machine à tuer.
On a l’impression en lisant ce premier tome que Greg Rucka n’a aucunement envie de brûler les étapes tant le fil narratif se déploie relativement doucement, la succession des chapitres pouvant d’ailleurs être interprétés comme l’évolution l’héroïne dans le développement de sa maturité, (re)naissant au début du livre, on la voit ensuite interagir parmi les membres de sa famille, pour ensuite prendre ses premières décisions et se confronter au sentiment amoureux, jusqu’à aboutir vraisemblablement à une sorte de crise d’adolescence où la figure paternelle risque d’en prendre un sacré coup.
Le tome 1 s’arrête là où d’autres auraient choisi la facilité d’imposer ce twist dès la fin du premier numéro, Rucka lui sait que toute la beauté et la profondeur d’un personnage se construit et se défini sur la longueur, sans omettre de chorégraphier quelques scènes d’action pure dont il a le secret.
Le scénariste met également l’accent sur les enjeux politiques d’une société basée sur le pouvoir d’une poignée de familles, les Carlyle et les Morray, se sont en quelque sorte les Capulet et les Montaigu du futur, la comparaison va sans doute s’arrêter là mais les rapports complexes et ambigus entre certains membres de la famille de l’héroïne ne pouvaient également m’empêcher de faire le rapprochement avec un certain auteur britannique.
Sans aller plus loin, car ce serait vous gâcher le plaisir de cette lecture, sachez donc qu’avec cette nouvelle série on retrouve tout ce que l’on peut apprécier d’un auteur tel que Greg Rucka. Son héroïne est la digne héritière de Tara Chase et Renee Montoya, et transposée graphiquement avec le réalisme saisissant de Michael Lark, bien qu’il s’agisse malgré tout d’un récit de science fiction. Espérons que cette ambiance particulière soit respectueusement rendue à l’occasion de la future adaptation TV.
Ton article me donne bien envie d’aller un jour feuilleter ça, surtout quand tu décris un rythme qui prend le temps de creuser le personnage.
D’autant que j’avais beaucoup apprécié Whiteout et Stumptown (et bien sûr Elegie).
Si tu as aimé ces trois séries tu ne peux qu’apprécier celle-ci, vraiment.