Nom : Kane
Prénom : Kate
Surnom : Batwoman
Première apparition : 52 #7 (juin 2006)
Gay Power : Batwoman est bien plus qu’une éminente représentante de la communauté LGBT dans le panorama des personnages hauts en couleur appartenant à l’éditeur DC Comics. Elle est avant tout un symbole, car en plus d’être une héroïne forte et indéniablement charismatique, elle est la première lesbienne de l’histoire des comics mainstream à avoir obtenu une série à son nom. Elle est aussi devenue en très peu de temps l’emblème de la diversité ainsi que de l’engagement de la part de ses auteurs/créateurs sur les questions LGBT, encore trop rarement abordées dans les comics généralistes.
L’ironie du sort a voulu que la première Batwoman, créée en 1956 par Edmond Hamilton et Sheldon Moldoff, soit peut-être une réponse aux allégations d’une relation homosexuelle entre Batman et son jeune acolyte Robin par le Docteur Fredric Wertham dans son livre Seduction of the Innocent paru deux ans auparavant, qui avait bien failli sonner le glas de l’industrie des comics. Kathy Kane, qui débarque dans Detective Comics 233 (juillet 1956), allait être pour Batman une rivale dans la lutte contre le crime et devait rapidement gagner le cœur du Chevalier Noir. Équipée d’armes extrêmement dangereuses telles que son poudrier, ou son rouge à lèvres dissimulés dans son sac à main, Batwoman première du nom était également un sujet d’inquiétude pour Batman, qui était convaincu à l’époque que le rôle d’une femme n’était bien évidemment pas de jouer les vigilantes et de combattre la pègre de Gotham.
Après diverses apparitions dans Detective Comics, Batman et World’s Finest Comics cette première Batwoman disparaît avec la plupart des autres membres de la Bat-Family lors de la reprise des titres Batman par le responsable éditorial Julius Schwartz en 1964. Elle revient en 1977 le temps de quelques apparitions dans Batman Family et Freedom Fighters, mais sa course se termine pour de bon dans Detective Comics #485 (septembre 1979) poignardée par Bronze Tiger sous les yeux d’un Batman étonnamment totalement impuissant.
Il faudra attendre 2006 pour qu’une nouvelle Batwoman fasse son apparition et d’une manière assez fracassante puisqu’il est annoncé dès le départ, sans même qu’on n’ait encore pu lire ses aventures, qu’il s’agit d’une super-héroïne lesbienne.
DC Comics mise en effet beaucoup sur le personnage et communique sur son homosexualité à travers différents médias américains tels que CNN, USA Today ou encore le New York Times qui s’en fait l’écho dans un article daté du 28 mai 2006 traitant de la diversité chez les deux grands éditeurs Marvel et DC : « Batwoman, une lesbienne habituée aux mondanités nocturnes, combattant le crime bien plus tard dans la nuit ». Une image d’elle avait déjà été dévoilée quelques semaines auparavant sur la dernière double page qui clôture la mini-série Infinite Crisis (juin 2006).
Elle se dévoile enfin (d’abord en civil, sous le nom de Kate Kane) dans le septième numéro de 52 (21 juin 2006). Cette maxi-série à parution hebdomadaire va mettre sur le devant de la scène bon nombre de personnages secondaires appartenant à l’univers de DC Comics, alors que ses trois piliers Superman, Batman et Wonder Woman en sont absents le temps d’une année. On découvre que Kate est une riche héritière (à l’instar de son alter ego masculin, Bruce Wayne) et l’ancienne conquête de Renée Montoya, ex-flic du commissariat central de Gotham ayant sombré dans l’alcoolisme et en plein processus de rédemption grâce à Vic Sage plus connu sous le nom de The Question. Sexy, stylée et vraisemblablement sortie tout droit d’un épisode de Sex and the City, Kate Kane n’est pas encore le personnage qui va gagner ses lettres de noblesse grâce à la mini-série qui lui sera consacrée quelques années plus tard et qui forgera son mythe.
C’est dans le numéro 9 de 52 (5 juillet 2006) que Batwoman apparaît pour la première fois. Elle est vêtue d’un costume noir et rouge créé par le dessinateur Alex Ross qui s’est inspiré de ses travaux sur le personnage de Batgirl sept ans auparavant. Lui et Paul Dini avaient en effet prévu de faire revenir l’ancienne Batgirl, Barbara Gordon, en utilisant une nouvelle version du costume original du personnage, avec des nuances rouges à la place du jaune traditionnel. Tout au long de la maxi-série 52, Batwoman va continuer d’apparaître aux côtés de Renée Montoya, qu’elle aide dans son enquête au péril de sa vie, et dont le sort se révèle au final l’une des intrigues principales.
Suite à l’excellent accueil du personnage, une mini-série la mettant en scène est annoncée avec l’un des artistes les plus doués de sa génération, J.H. Williams III, ainsi que le scénariste Greg Rucka, connu pour son traitement positif et de très grande qualité des personnages féminins qu’il a créés ou sur lesquels il a pu travailler.
Les vraies aventures de Batwoman démarrent donc en 2009 dans Detective Comics #854, par le biais d’un arc narratif somptueux scindé en deux parties bien distinctes mais complémentaires – Elegy (Detective Comics 854 à 857) et Go (Detective Comics 858 à 860) – développant le passé de l’héroïne (on découvre ainsi que sa précédente image de princesse née « avec une cuillère en argent dans la bouche » est très loin d’être celle qui va la personnifier) et ses motivations pour être justicière. Greg Rucka exploite l’homosexualité de son héroïne de la plus belle des manières, l’intégrant de façon très naturelle grâce à un scénario des plus passionnants.
De son homosexualité à son désir de protéger les plus faibles, du rapport avec son père et sa sœur, jusque dans son parcours professionnel et sentimental chaotique, le scénario de Rucka lance les bases d’une personnalité moderne et actuelle, faisant référence directement à des faits réels comme l’interdiction faite jusqu’à 2011 aux homosexuels de faire partie de l’armée américaine. Comme de nombreux soldats américains, Kate devra faire le choix entre son homosexualité et l’armée, quitte à en payer le prix et sacrifier une carrière toute tracée et très prometteuse. Graphiquement, le travail époustouflant de J.H. Williams III, qui va utiliser différents styles et tons suivant le statut de l’héroïne (c’est-à-dire selon qu’elle est Batwoman ou Kate Kane), se situe entre David Mack et Alphonse Mucha, tout en empruntant à l’imagerie lesbienne de Tamara de Lempicka.
De par la qualité et la portée de son contenu, il était inévitable que cet arc de Batwoman (réuni dans un recueil intitulé Batwoman Elegy) soit récompensé par un GLAAD Award (prix récompensant une représentation « honnête, précise et inclusive » des sujets LGBT dans les médias) en 2010.
Fort de ce second succès, l’éditeur DC Comics décide cette même année de tenter l’aventure et annonce que Batwoman va être la première héroïne lesbienne à avoir droit à sa propre série. Batwoman #0 (janvier 2011) est donc publié au mois de novembre 2010 et se veut une mise en bouche de cette future série tant attendue, avec J.H. Williams III présent à la fois aux dessins et au scénario, accompagné de W. Haden Blackman pour l’histoire ainsi qu’Amy Reeder qui est chargée d’illustrer le second arc déjà prévu.
Mais la refonte intégrale de l’univers DC appelée New 52 et planifiée pour le mois de septembre 2011 oblige le report de la sortie du premier numéro pendant près d’un an. C’est une véritable torture pour la plupart de ceux qui attendaient cet événement et ne connaissent pas la véritable raison de ce retard.
Mais la patience des adorateurs de la reine de Gotham va être récompensée avec la sortie le 14 septembre 2011 de Batwoman #1, premier numéro d’un nouvel arc intitulé Hydrology, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’une nouvelle fois, les lecteurs vont se retrouver devant un objet dont chaque page est une véritable œuvre d’art. On navigue tout le long de ces 22 pages entre le choc et la jubilation visuelle des scènes d’action et d’ambiance si particulière, toujours autant transcendées par la couleur de Dave Stewart, et ces moments plus intimistes où Kate Kane semble s’enfermer dans sa tour d’ivoire, comme pour se protéger de ses propres fêlures. Et Dieu sait qu’elles sont nombreuses. C’est d’ailleurs sur l’une d’entre elle, la fin de sa relation avec Renee Montoya, que Williams III décide de s’attarder, judicieusement, comme un hommage appuyé à son comparse Greg Rucka. Une nouvelle intrigue amoureuse (à peine abordée dans Elegy) démarre avec l’inspectrice Maggie Sawyer (qui était Capitaine avant les New 52) dont les bases sont envisagées par la promesse d’un rendez-vous.
Batwoman met en scène une femme dans un rôle titre qui, non seulement est lesbienne, mais en plus est loin de faire de la figuration. Elle n’est pas là pour exciter la rétine des lecteurs masculins (elle en est pourtant capable et c’est une très bonne chose !), elle est là parce que l’industrie des comics a changé et s’est diversifiée. Contrairement aux autres personnages gays présents dans le nouvel univers DC (celui des New 52), souvent considérés par les lecteurs les plus sceptiques comme autant de coups médiatiques, Batwoman survole pendant près de deux ans la représentation des personnages LGBT dans l’industrie des comics, jusqu’à l’évènement le plus important de son histoire qui, paradoxalement causera en quelque sorte sa perte. Eh oui, l’ironie du sort est décidément très présente avec ce personnage.
Dans Batwoman #17 (avril 2013), qui marque la fin de l’arc en cours, Batwoman révèle son identité secrète à sa bien-aimée et la demande en mariage, témoignant ainsi d’une ouverture significative de la part de l’éditeur, à l’image de ce qu’avait pu faire Marvel avec son mariage gay entre Jean-Paul Beaubier et Kyle Jinadu en 2012. Mais quelques mois plus tard, l’équipe créative (constituée de J.H. Williams III et W. Haden Blackman) annonce qu’elle quitte la série pour différent artistique. Le 4 septembre 2013, l’artiste va révéler sur son blog la vraie raison de ce départ : « Malheureusement, depuis quelques mois, DC nous a demandé de modifier ou d’abandonner complètement de nombreuses intrigues entamées depuis longtemps, et ce de manières qui allaient selon nous compromettre le personnage et la série. On nous a obligés à (…) modifier drastiquement la fin de notre arc actuel, qui aurait défini le futur héroïque de Batwoman, et plus important, nous nous sommes vus interdire de montrer un éventuel mariage entre Kate et Maggie. Toutes ces décisions éditoriales sont arrivées à la dernière minute, après plus d’un an de travail déjà planifié.
Nous avons toujours bien compris que, malgré tout notre amour pour le personnage de Batwoman, il appartient en fin de compte à DC. Cependant, le caractère improvisé à la dernière minute de ces changements nous a laissés frustrés et en colère, car ils nous empêchent de raconter les meilleures histoires que nous puissions faire. Aussi, après mûre réflexion, nous avons décidé de quitter le titre après le numéro 26. »
C’est un énorme coup dur que vont subir la série et son héroïne, qui ne va vraisemblablement pas s’en relever. Malgré le choix d’un nouveau scénariste, Marc Andreyko, lui aussi spécialiste des héroïnes fortes, et gay de surcroît, les aventures de Batwoman perdent très rapidement de leur aura et s’enlisent jusqu’à l’ennui, sacrifiant en quelques numéros tout ce que les précédents scénaristes avaient mis tant de temps à modeler. Batwoman part désormais se battre dans l’espace, à la tête d’une équipe de bras cassés, aux côtés de sa sœur (l’un des personnages les plus charismatiques et pourtant le plus injustement mutilé) et de créatures fantastiques appartenant à l’univers de Gotham… (Les Gardiens de la Galaxie n’ont qu’à bien se tenir), jusqu’à se faire hypnotiser par une femme vampire et entamer une relation « amoureuse » (ou plutôt abusive) que le lecteur complètement médusé devra pour le coup lui aussi subir.
Le changement d’équipe artistique va condamner la série à sombrer dans le classement des ventes (on passe de 72.000 copies vendues en septembre 2011 à 14.000 en février 2015), incitant naturellement l’éditeur à l’annuler au bout de 40 numéros et deux annuals, le dernier paraissant en avril 2015. L’avenir de l’héroïne demeure assez flou, si ce n’est qu’elle devra apparaître au sein d’un trio de super héroïnes aux côtés de The Question (Renee Montoya) et Huntress (Helena Bertinelli), lors d’un événement appelé Convergence qui va remuer les différents mondes de l’univers DC.
L’ironie du sort va encore une fois frapper notre héroïne puisque c’est Greg Rucka, la figure paternelle qui lui aura donné ses lettres de noblesses, qui la retrouve au scénario d’une mini-série de deux numéros, et les lecteurs de fantasmer sur des retrouvailles plus poussées dans un futur que l’on espère le plus immédiat.
Difficile, donc, de se remettre de ce virage à 180°, mais Batwoman reste un symbole pour toute une communauté de lecteurs qui se reconnaissent dans les récits de Greg Rucka, J.H. Williams III et W. Haden Blackman. Car en effet, rares sont les héroïnes de comics qui ont su à ce point générer un tel enthousiasme en un temps record, et regrouper parmi ses nombreux fans autant les hommes que les femmes, qu’ils soient gay, bi ou hétéros.
Et il n’est pas dit qu’un jour elle ne puisse pas retrouver la place qu’elle mérite, c’est-à-dire une place majeure dans l’univers DC grâce au contenu de ses aventures. De toute manière, avec elle, il a toujours été question de patienter encore et encore. Alors nous attendrons sagement.