The Infinite Loop Tome 1 : Décryptage d’un tour de force
Je participe rarement aux campagnes de financement participatif car c’est un peu comme écouter de la musique à la radio, on se demande souvent comment des trucs aussi pourris peuvent avoir autant de succès et pourquoi les trucs les plus intéressants et novateurs ne passent jamais… Pour que j’ose mettre quelques deniers dans ce genre d’entreprise, il faut vraiment que j’y crois et que bien sûr, le projet me paraisse suffisamment original.
C’est donc ce qui s’est passé avec The Infinite Loop. J’y ai crû, j’ai investi de l’argent et le projet a abouti, bien au-delà de mes espérances, j’imagine également des espérances de tous ces participants et je suppose de ses créateurs, car y croire c’est bien, mais voir aboutir c’est mieux, et c’est toujours quelque part une surprise en plus d’une énorme satisfaction de voir un projet prendre enfin vie.
The Infinite Loop c’est donc un achèvement pour tous ceux qui y ont crû et donc dans sa genèse, c’est déjà une belle histoire en soi.
Bon tout ça c’est bien beau, tout le monde il est beau, tout le monde il a donné des sous et le bouquin il est sorti, mais The Infinite Loop, c’est bien ou non ?
Ceux qui me connaissent le savent, amis ou pas, je n’ai pas la réputation de faire de la lèche, si un truc ne me plaît pas, je le dis et dans le cas de The Infinite Loop et bien pour savoir la réponse, vous allez devoir vous forcer à lire la tartine de texte ci-dessous.
Tout d’abord The Infinite Loop, ça parle de quoi ? Tout d’abord c’est de la science-fiction, l’héroïne s’appelle Teddy, il s’agit d’une femme travaillant pour une mystérieuse brigade chargée de corriger les anomalies temporelles, quelles que soient leur forme, qu’elles prennent l’apparence d’un objet ou d’un être vivant. Mais Teddy commence à accuser le coup et même si elle apprécie toujours autant son travail, la solitude et l’impression que tout cela ne sert pas à grand-chose commence à peser sur le moral de la jeune femme et ce n’est pas Ulysse, son collègue de travail visiblement amoureux d’elle mais incroyablement gauche et maladroit qui y change quelque chose…
Blasée, Teddy va retrouver de la motivation lorsqu’une de ces fameuses anomalies à éliminer se retrouve être une séduisante jeune inconnue.
Ne pouvant se résoudre à l’éliminer, Teddy et « Ano » (diminutif d’anomalie) vont alors s’éclipser, se cacher et engager une relation passionnelle et passionnante envers et contre toutes les règles établies. Mais aimer une anomalie soulève de nombreuses questions, aussi bien existentielles qu’éthiques et l’amour entre Teddy et Ano sera-t-il suffisamment fort pour traverser toutes ces épreuves et leur donner ce à quoi elles aspirent ?
En termes de scénario, on sent que The Infinite Loop à profité d’une longue maturation : La narration de Pierrick Colinet est en effet parfaitement maîtrisée de bout en bout. L’univers est succinctement présenté mais est tout de suite compréhensible et plaisant : Tout y est établi très rapidement de façon claire, mettant d’emblée le lecteur « dans le bain » et le quotidien de Teddy, quotidien fait de combats avec des dinosaures et de jeux de pistes à travers le temps et ses plus grandes époques. Le ton de l’histoire est assez léger et je pense que même les plus réfractaires au style science-fiction peuvent sans problème se laisser happer par cet univers qui à coup sûr réserve encore de nombreuses surprises et possède un potentiel narratif quasi-illimité : Le thème des voyages dans le temps et ses conséquences étant, lorsqu’il est correctement et intelligemment utilisé, une source inépuisable. J’espère que pour le second tome, Pierrick Colinet nous réserve encore de bonnes surprises à la hauteur de ce premier tome.
La seule chose que je reprocherais au scénario de The Infinite Loop est du coup son principal avantage : La présentation de l’univers et de ses personnages est si rapide que l’on a un peu l’impression d’être « catapulté » au milieu de quelque chose dont on ignore tout et même si au fur et à mesure on trouve progressivement nos marques avec différentes explications et éclaircissements, l’impression de retenue du scénariste se ressent un petit peu. S’il s’agit comme je le pense donc d’une retenue, c’est dans le fond plutôt une bonne chose de laisser le lecteur dans le flou concernant certains points (notamment le passif de Teddy), ça permet de garder quelques cartouches pour la suite et de se réserver de la matière car ne l’oublions pas, on est bien là face à un « Tome un » et quelle meilleure façon de tenir le lecteur que de laisser volontairement des zones d’ombre à éclairer ? A voir si ce sera le cas dans le tome deux, mais je suis confiant.
L’autre point fort de The infinite Loop, c’est sans conteste sa partie graphique signée Elsa Charretier. Son style léger et épuré correspond parfaitement à l’ambiance du récit. En terme de style on est très proche d’un Darwyn Cooke ou d’un Bruce Timm, un style à mi-chemin entre cartoon et comics classique, le tout saupoudré par une petite influence visiblement issue de la bande dessinée franco-belge : Le style de la dessinatrice est à la fois unique et référencé, un véritable tour de force et visuellement, autant être franc c’est très agréable, donnant l’impression de lire quelque chose de frais et de nouveau. Le tour de force est d’autant plus exemplaire que c’est elle-même qui s’est chargée de toute la partie artistique, dessin, encrage et colorisation, chapeau bas à l’artiste !
L’autre point qui marque durant la lecture de The Infinite Loop, c’est l’audace de certaines mises en pages et notamment l’utilisation de flèches et de choix multiples pour diriger le lecteur, déstabilisant au début, cela devient au fur et à mesure du récit une trouvaille aussi bien originale que bienvenue, et fini même par servir le récit lui-même : D’ordonnée au début, ces choix multiples se font de plus en plus dispersés et anarchiques en même temps que la relation entre Teddy et Ano se fait de plus en plus intense, un choix audacieux qui finalement se révèle payant et utile, très bien vu.
Mais comme tout n’est pas rose et que personne n’est parfait, il faut bien que je nuance un petit peu et malgré toutes ces qualités, la seule chose que je reprocherais à la partie dessinée de The Infinite Loop se trouve au niveau des visages, particulièrement ceux des personnages masculins, que je trouve un peu trop semblables et moins variés en expression que les visages des personnages féminins, à part ça, pas grand-chose à reprocher…
Ce qui transparaît le plus en filigrane de la lecture de The Infinite Loop c’est sans conteste son contexte et son intention volontairement engagé : Impossible en effet de ne pas faire rapidement le lien entre la relation entre Teddy et son « anomalie » et la façon dont elle est perçue par la Brigade et la situation des homosexuels dans la société actuelle. L’analogie est flagrante et ma foi pas très subtile. En est-elle du coup moins intéressante ? Absolument pas, bien au contraire, cela confère au récit un aspect direct en allant droit au but sans prendre le lecteur pour un idiot, tout en abordant le thème de façon ludique, on a même droit au petit discours engagé à double signification de la part d’Ano, certes assez caricatural mais en restant toutefois d’une force significative évidente de part son double sens.
Cet aspect du récit est d’autant plus surprenant que les deux auteurs sont hétérosexuels et, personnellement, je pense que c’est de ce fait que leur vision est d’autant plus intéressante. C’est un peu comme quand un réalisateur étranger fait un film sur les États-Unis : Il a ce recul nécessaire pour ne pas être trop impliqué, concerné et peut du coup montrer une vision moins idéaliste et plus terre à terre du sujet et c’est ce qui s’est passé, je pense, avec The Infinite Loop. Cette vision « extérieure » est d’autant plus nécessaire que de ce fait, elle peut paraître plus abordable par le plus grand nombre de lecteurs qui même s’ils ne sont pas familiers du sujet, y trouveront un moyen ludique et accessible d’en entendre parler.
Un autre tour de force à ajouter à The Infinite Loop.
Pour finir, je souligne que le livre se conclut par deux bonus très intéressants : Tout d’abord une histoire courte ayant pour héros Herman, rapidement aperçu durant l’histoire principale ainsi qu’un article très complet sur l’homosexualité dans les comics écrit par une blogueuse qui ne vous est pas inconnue si vous me lisez en ce moment.
Tour de force, c’est finalement l’expression qui m’est le plus souvent venu à l’esprit lors de la lecture de cette bande dessinée ainsi que l’écriture de cette modeste critique et je trouve qu’elle symbolise à la perfection ce qu’est The Infinite Loop : Un tour de force dans sa production tout d’abord, passée par le financement participatif, fruit de la volonté de deux auteurs quasiment inconnus du grand public qui ont su faire valoir et imposer leurs idées et emmener dans leur sillage une horde d’amateurs de bande dessinées prêts à les suivre. Un tour de force ensuite dans sa réalisation, avec un scénario volontairement engagé sur un thème sensible, finalement abordé avec une simplicité et une sincérité palpables à chaque page, pages réalisées de main de maître par une artiste d’exception qui a donné une véritable identité visuelle à l’ensemble.
Pour ces tours de force, Pierrick et Elsa, moi et tous ceux qui ont crû en vous, nous vous remercions pour ce voyage dans cette boucle infinie !
J’ai backé le projet et j’ai été très surpris en lisant la review d’apprendre que Katchoo avait écrit l’addendum sur l’histoire de l’homosexualité dans les comics. Oui je sais c’est bien marqué dans le livre mais ça m’avait complètement échappé. Évidemment ce n’est pas complètement une coïncidence puisque selon toute vraisemblance j’ai entendu parler du Crowdfunding de « The Infinite Loop » ici même.
Concernant l’œuvre elle même, je suis vraiment satisfait du résultat. Les points fort sont les thèmes et la manières dont ils sont abordés, la mise en scène très réussie et le dessin magnifique. De plus je n’ai pas du tout eu l’impression que la mise en place de l’univers était trop rapide, au contraire un des deux seuls défauts que je trouve au comic est que l’accélération finale est maladroite et confuse alors que le reste était très bien mis en place. L’autre défaut étant quelques -rares- dialogues maladroits.
En tout cas une grande réussite!
je me permet de dire que même si j’ai pris du plaisir je serai moins enthousiaste ! y a des facilités dans le scénar et des défauts dans le dessin ( comme des proportions par exemple) puis le coté engagé n’est pas si impression que ca pour moi ! j’ai adoré l’article de Katchoo. Je reconnais le travail des artistes mais pour moi ca vaut pas le barouf qu il y a autour…