Le pouvoir des pierres

Sunstone Head

Lorsque j’ai découvert Stjepan Sejic il y a quelques années par le biais d’une série dont je suis une lectrice de la première heure (Witchblade, cela va sans dire), ce fut très loin, mais alors très loin d’être un coup de foudre. Je fus en effet très déroutée par son style « tout numérique » que je considérais comme extrêmement froid et inexpressif. A l’époque (nous sommes en 2007), je n’étais d’ailleurs absolument pas au fait de tout le potentiel qu’une palette graphique pouvait générer pour un artiste de BD, et je prenais cette technique de dessin comme une véritable solution de facilité.
Ainsi, il m’aura fallu un certain temps pour me rendre compte que son travail sur la série aux côtés de Ron Marz n’était tout simplement que ce qui était arrivé de mieux à Sara Pezzini depuis des années, voir depuis sa création en 1995. Et sa prestation sur son spin-off, Angelus dans lequel on retrouve Danielle Baptiste aura fini de me convaincre totalement, préfigurant d’ailleurs toute la beauté et la sensibilité de l’oeuvre dont je vais vous parler dans les lignes qui vont suivre.

Au delà du fait que ce comics raconte une histoire d’amour lesbienne sur fond de BDSM (voilà c’est dit, maintenant on peu passer au vif du sujet !), la genèse de Sunstone est avant tout intimement liée à l’esprit créatif, foisonnant (malicieux parfois) de son auteur à un moment de sa carrière où à la sortie de sa prestation sur Witchblade, il se retrouva en total manque d’inspiration.
Il l’explique très bien en illustrant cette anecdote à la toute fin de l’album, mais il est intéressant je crois de la reporter ici afin qu’aucun doute ne soit permis sur l’intention de Sejic d’utiliser une thématique aussi risquée que le BDSM lesbien… surtout lorsque l’on est un artiste masculin et hétéro de surcroît, le risque étant bien sûr de se faire taxer de pervers.
Le fait est qu’avant d’être repéré par Top cow, le dessinateur Croate avait comme projet d’illustrer une série érotique, « Rien d’inhabituel en Europe » dit-il. Pourquoi donc ne pas revenir aux sources pour pouvoir aller de l’avant ? Après s’être trouvé un pseudo (Shiniez) et ouvert un compte sur Deviant Art, l’aventure Sunstone pouvait enfin commencer. Il ne s’agissait au début que d’élaborer de courtes histoires plus ou moins humoristiques sans lien apparent les unes avec les autres, mais sans qu’il s’en aperçoive, l’inspiration refit naturellement surface rapidement.

Sunstone 2Sunstone c’est l’histoire d’une rencontre entre deux jeunes femmes, Lisa et Ally, insatisfaites dans leur façon de vivre leur sexualité, adeptes du BDSM mais n’ayant pas trouvé le ou la partenaire idéale pour vivre pleinement cette pratique. Les deux personnages sont magnifiques et complémentaires dans leur vision du sexe, à la fois très épanouies et possédant leurs parts d’ombre et leurs petits secrets. Le scénariste/dessinateur prend directement le parti de nous conter cette rencontre et les prémices de celle-ci d’une manière très cinématographique, voir très télévisuelle, ce qui n’est pas sans me rappeler une autre série de comics mettant en scène une histoire d’amour complexe entre deux deux femmes (et si Sunstone n’était ni plus ni moins que le SIP érotique des années 2010 ?).
La prouesse de Sejic est justement de faire oublier à son lecteur qu’il a entre les mains une oeuvre érotique, contrairement à de nombreuses bandes dessinées (qu’elles soient européennes, asiatiques, ou US) qui empruntent cette voie et qui n’ont  pas – ou quasiment pas – de scénario au profit d’une succession de scènes de Q dont l’intérêt va rapidement s’essouffler.
Il va effectivement falloir attendre une trentaine de pages pour voir une scène érotique digne de ce nom, permettant à l’auteur tout le temps nécessaire de mettre en place ses héroïnes et leurs motivations.

Le moins que l’on puisse dire, en tout cas du point de vue d’une lectrice sensible à ce genre de propos, c’est qu’il y a beaucoup de sincérité et d’intimité dans Sunstone. C’est une oeuvre des plus touchantes, car elle explore de manière très réaliste les rapports amoureux dans ses grandes phases (la première rencontre et le stress qui en découle, le premier rapport, et ce qu’il peut bien se passer le lendemain).
L’atout indéniable de ce comic-book, c’est qu’il traite également d’un sujet à la fois tabou et propice à tous les fantasmes d’une manière très positive et sans stéréotype.

Sunstone 3Quand on dit que les comics mènent à tout… Il s’avère qu’il y a quelques mois, pour comprendre la pensée de William Moulton Marston (lui même adepte du BDSM aux côtés de ses trois partenaires de vie, Elizabeth Holloway, Olive Byrne et Marjorie Wilkes Huntley) ainsi que l’importance et le message de cette pratique véhiculée dans les premiers épisodes de Wonder Woman, j’ai essayé de me documenter sur la notion des rapports entre ce que l’on appelle les dominants et ceux qui préfèrent la soumission, et devinez quoi ! Wouhou tout va bien ! Il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! J’ai au contraire pu lire des choses extrêmement saines basées sur le respect et l’écoute de l’autre comme je ne l’aurais jamais imaginé, à des années lumières de ce que véhiculent les médias en tout genre.
Et ce que tend à faire Sunstone justement, c’est d’apporter cette carte complémentaire sur la table comme quoi le Bondage and Discipline SadoMasochism peut aussi être au cœur d’une relation entre deux personnes sans la façonner entièrement.

Stjepan Sejic a cette capacité géniale de construire une vraie relation entre ses deux héroïnes tout autour et bien au delà de cette pratique extrêmement chargée érotiquement (et sujette à tous les stéréotypes).
Là où Small Favors trouvait assez rapidement ses limites en matière de narration, l’auteur va bien au delà de la pratique ou du fantasme et impose une relation des plus sincères, hors du commun certes, mais véritable.

Il serait totalement hypocrite de nier la charge (magnifique soit dit en passant) érotique et sensuelle que transporte Sunstone, mais il en était déjà question pour ceux qui (comme moi) avaient lu la version numérique sur Deviant Art. L’intérêt de ce titre est justement d’avoir réussi à conjuguer (et les prochains tomes vous le confirmeront) sensualité et sincérité autour d’une même histoire.
Un tour de force, de la part d’un auteur qui se disait sans aucune inspiration, et qui a depuis imaginé l’univers fabuleux et complexe de Ravine, tout en contribuant à développer d’autres titres tels qu’ArtifactsAphrodite IX et Rat Queens.

Sunstone 4

2 commentaires sur “Le pouvoir des pierres

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  1. Oh ben je sens que je vais pour une fois me laisser tenter par de l’import (pour travailler mon anglais, bien sûr !!). Merci pour en avoir parlé !

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