A l’instar de Berni Wrightson, on associe souvent le travail de Stephen Bissette à l’oeuvre qui l’a rendu célèbre (à savoir The Saga Of The Swamp Thing) quitte à faire injustement l’impasse sur le reste de sa bibliographie. Et c’est au hasard d’un vide grenier que j’ai découvert un autre monument de la bande dessinée dont il est l’auteur, et qui malgré le nombre restreint de numéros publiés (4 au total) s’érige sans problème au rang de chef-d’oeuvre et de classique du genre, si l’on doit employer les termes qui conviennent.
A la fin des années 80, Bissette se lance dans l’auto édition et crée SpiderBaby Grafix qui lui permet de publier son anthologie horrifique intitulée Taboo, et de donner sa chance à quelques titres tels que From Hell de ses amis Alan Moore et Eddie Campbell, ainsi que Throat Sprockets de Tim Lucas (qui est considéré comme l’une des œuvres de fiction horrifique contemporaines les plus marquantes par de nombreux spécialistes).
En 1994, il s’attaque à Tyrant dont l’ambition est de retracer dans les moindres détails le cycle de la vie d’un T Rex avec une exactitude et un travail immersif digne d’un paléontologue.
En lisant les premières pages de Tyrant, on mesure l’ampleur du travail colossal nécessaire pour un tel projet, prévu à la base pour être développé sur le très long terme (plusieurs décennies), et dont la teneur se devait d’être comparable au Cerebus de Dave Sim.
Mais le contexte économique très difficile pour l’industrie à cette époque, les retards entre chaque numéro (que l’on comprend aisément vu la profusion des détails sur chaque page) ainsi que le changement du système de distribution des livres auront raison de la série, Bissette ayant à peine eu le temps d’installer son climax (impressionnant) avec ses quatre numéros.
Indubitablement nourri et influencé par son expérience avec Alan Moore sur Swamp Thing, Stephen Bissette utilise les mêmes codes narratifs, juxtaposant des phrases, ou même des mots face à ses illustrations, et décrivant le processus de pensée des dinosaures comme le ferait un documentaire animalier. Et ce dans l’immersion la plus totale, où la poésie et la pureté d’un environnement naturel luxuriant côtoie la sauvagerie des instincts primaires de ces reptiles, des instincts intimement liés d’ailleurs au domaine de la parentalité, puisque chaque animal quelque soit son espèce a pour leitmotiv vital et quasi obsessionnel de devoir nourrir sa progéniture.
A défaut d’attirer les foules, la critique et la profession sont unanimes jusqu’à pousser des artistes tels qu’Howard Cruse et Will Eisner à écrire dans le courrier des lecteurs, le père du Spirit déclarant dans le troisième numéo : « BRAVO !! BRAVO !! Votre nouveau travail, Tyrant est excellent. L’art à la hauteur de la promesse du concept et de la mise en page audacieuse. Très, très imaginatif. Vous n’avez pas perdu votre temps ces dernières années; vous fournissez actuellement quelque chose de vraiment bon. Je vous souhaite la meilleure des chances avec ça ! »
Tyrant est donc une oeuvre puissante, une saga avortée (ou en l’occurrence morte dans l’œuf) qui aurait pu avoir le même impact que Saga of the Swamp Thing sur des générations de lecteurs si le contexte avait été différent, il nous reste quatre numéros d’une poignante beauté qui émeuvent autant par la force du récit que par les illustrations luxuriantes et extrêmement détaillées.
Stephen Bissette s’étant retiré à la fin des années 90 pour enseigner, le rêve de voir ce premier arc terminé reste infiniment mince, malgré le fait que l’artiste possède assez de matériel (soit les #5 et #6) pour nous offrir un premier (et unique) volume. Qui sait, la vie nous réserve parfois de drôles de surprises.
L’enfant qui a vu Jurassic Park au cinéma qui est en moi trépigne devant cette oeuvre que je ne connaissais pas !
C’est un TPB VO que tu as trouvé ou bien un éditeur français a sorti cette petite pépite ?
On ne le trouve qu’en single, voici un lien ou tu peux te les procurer 🙂 http://www.mycomicshop.com/search?TID=155001