Room In Rome : Calme et volupté
Avant propos :
Il y a de cela quelques mois, je proposais sous forme de boutade à la propriétaire du dit blog où vous pouvez lire actuellement cette modeste fantaisie manuscrite, de m’intéresser à un sujet épineux et ô combien sulfureux, à savoir la pornographie faite par des lesbiennes, pour des lesbiennes.
Moi je suis comme ça, je suis un dingue, un fou, un cinglé, j’ai peur de rien, y compris de perdre le peu de dignité qui me reste !
Je m’intéressais donc au sujet et après avoir regardé dans un grand soucis de documentation et d’édification personnel de ma part deux films savamment sélectionnés sur les conseils de certains blogs lesbiens ayant déjà évoqué le sujet (Je serais très heureux de vous donner les liens, difficilement trouvés, sur simple demande), je me rendis compte que, et bien… Le porno que se soit à destination des lesbiennes ou des hétéros, c’était un peu toujours la même chose, c’est à dire à but purement exutoire et hormis quelques menues différences (Style des actrices, second degré plus assumé etc.), ce n’était pas ce à quoi je m’attendais et très franchement, je fus un peu déçu.
J’ai donc laissé choir cette idée saugrenue pour me concentrer sur quelque chose de plus sérieux, à savoir des films traitant de sexualité entres femmes, mais d’un niveau cinématographique plus, disons, élevé.
C’est donc au détour d’une conversation avec notre bien aimée taulière de l’espace d’expression ici présent que plusieurs noms de films sont venus sur le tapis, dont celui dont je vais tenter de parler aujourd’hui.
Tout d’abord, il est préférable de commencer par présenter le réalisateur, Julio Medem. Espagnol et diplômé en chirurgie, Julio Medem, occupe le temps libre de ses études de médecine en écrivant des critiques de films pour divers magazines. Il se consacre pleinement à sa carrière cinématographique au milieu des années soixante dix en réalisant plusieurs courts métrages et en devenant monteur sur les films de Koldo Ezaiquire.
Son premier succès en tant que réalisateur sera le film L’Écureuil Rouge, l’histoire d’amour entre un jeune marginal et une femme amnésique, qui lui vaudra de remporter le prix de la jeunesse au festival de Cannes en 1993.
Il se révélera au grand public en 1998 avec Les Amants du Cercle Polaire, encore une romance. En 2001, il tourne Lucia et le Sexe, l’histoire d’une jeune serveuse qui découvre peu à peu les secrets de sa relation avec un écrivain madrilène. C’est d’ailleurs dans ce film qu’il fera tourner Elena Anaya, que l’on retrouvera dans Room In Rome.
Il a également réalisé un documentaire (La Pelote Basque : La Peau contre La Pierre, sur le conflit basque) et un des segments du projet 7 Jours à la Havane (En compagnie de Gaspard Noé et Benicio Del Toro, entre autres).
Le cinéma de Julio Medem est très souvent centré sur les relations entre les hommes (Au sens large du terme), ces films sont souvent des histoires d’amour et il attache une importance particulière aux relations entre ses personnages, creusant leur psychologie au moyen de découvertes progressives entre les protagonistes qui se livrent les uns aux autres au fur et à mesure du film (C’est le cas dans L’Écureuil Rouge et aussi dans Room In Rome), jouant ainsi avec la découverte du spectateur qui en apprend sur les personnages au fur et à mesure du film.
Cette approche est flagrante dans Room In Rome, dont le déroulement du film repose entièrement sur cette technique.
Room In Rome est un huis clos, porté par un duo d’actrice : Tout d’abord Elena Anaya, actrice espagnole révélée par ce même Julio Medem dans Lucia et le Sexe. Elena Anaya a une carrière particulièrement hétéroclite, passant du cinéma d’auteur (Elle tourne avec Pedro Almodovar dans l’excellent Parle Avec Elle), elle joue aux cotés de grands acteurs internationaux (Gary Oldman dans Dead Fish, Penelope Cruz et Victoria Abril dans Sans Nouvelles de Dieu), donne la réplique à Antonio Banderas dans La Piel de Habito (Toujours de Pedro Almodovar) et apparaît même dans le film fantastique Van Helsing (Elle joue une des femmes de Dracula) et dans un des clips du « chanteur » Justin Timberlake ! Néanmoins, malgré sa renommée, elle ne cède pas aux sirènes hollywoodiennes et continue actuellement de tourner principalement en Espagne. On l’a vu dernièrement dans Capitaine Alatriste, Mesrine L’Instinct de Mort et A Bout Portant de Fred Cavayé.
Elena Ayana est donc une actrice douée, capable d’interpréter des rôles variés et très différents comme sa longue carrière l’a déjà prouvée.
La seconde actrice est la belle Natasha Yarovenko, jeune ukrainienne, sa filmographie est surtout constituée de séries TV, principalement espagnoles. Elle se fera surtout connaître en 2008 avec l’adaptation du sulfureux roman autobiographique de Valérie Tasso, Journal d’une Nymphomane. En 2010 elle jouera également dans deux productions d’aventure, Prince Killian et le Trésor des Templiers et Aftershock. Elle retrouvera Elena Ayana (Sa partenaire dans Room In Rome) en 2013 dans le téléfilm Capitaine Alatriste.
Room In Rome est un donc un film assez représentatif de l’esprit du cinéma de Julio Medem puisqu’il s’agit d’une histoire d’amour entre deux personnages, dont le passif se révèle progressivement et au fur et à mesure du métrage.
Ici les deux personnages principaux sont deux femmes, Natasha, élégante et charmante jeune russe et Alba, une espagnole un peu délurée et exubérante. Les deux femmes se rencontrent à Rome, un soir d’errance et se lient d’amitié. Alba propose à Natasha de finir la soirée ensemble dans sa chambre et c’est une relation bien plus forte qui va se nouer entre les deux femmes durant cette nuit.
Entre sensualité, mensonges et confidences, les deux amantes d’un soir vont pendant cette fameuse nuit vivre une passion torride et mouvementée.
La proposition d’Alba n’est bien sûr pas totalement désintéressée, l’homosexualité de cette dernière étant évidente, et Natasha, hétérosexuelle plutôt ouverte, va se laisser prendre au jeu et à l’audace de sa compagne d’une nuit. Après un essai infructueux dû à l’ébriété d’Alba, Natasha prendra la poudre d’escampette mais finira par devoir revenir dans la chambre d’Alba pour y récupérer son téléphone portable, pour tenter une nouvelle fois de s’éclipser ! A la faveur d’un naïf et tolérant garçon d’hôtel, Natasha cédera à Alba et finira par la rejoindre pour partager avec elle cette fameuse nuit qui les marquera toutes les deux bien plus que ce qu’elles auraient pu s’y attendre.
L’approche de Julio Medem en ce qui concerne ces personnages est naturelle dans le sens où la sexualité des ses héroïnes est claire dès le départ : Alba est une lesbienne extravertie, impudique (Pour ne pas dire exhibitionniste) et Natasha une fille un peu coincée mais curieuse de cette femme extravagante et entreprenante.
A aucun moment Julio Medem ne s’encombre de réflexions plus ou moins poussées sur l’identité sexuelle de ses héroïnes, l’attirance est mutuelle et les choses s’enchaînent de façon logique, sans le fait que ce soit deux femmes qui bloquent l’une ou l’autre. Le plus surpris étant le pauvre garçon d’hôtel, gentiment éconduit par nos deux jouvencelles.
Le personnage du garçon d’hôtel est d’ailleurs traité de façon originale par le réalisateur : D’habitude, dans les films traitant d’homosexualité féminine disons plutôt grand public, les hommes y sont montrés comme des ennemis, des obstacles a surmonter pour que les héroïnes puissent vivre leur passion (C’est le cas notamment dans le néanmoins excellent Bound des Wachowski). Ça n’est pas le cas ici puisque cet unique second rôle et plutôt construit comme une sorte de bienfaiteur, à l’écoute et victime maladroite et passive des plaisanteries plus ou moins grivoises des deux héroïnes. Encore une fois, Julio Medem va dans une direction contraire et fait de ce personnage le seul ressort un peu comique du film, chacune de ces apparitions étant clairement mémorable et apportant un peu de légèreté au ton de plus en plus lourd et dramatique se développant tout au long du métrage.
Car c’est en cela que Room In Rome surprend dans sa construction : Au départ, le ton y est volontairement léger, Alba cherchant par tous les moyens à retenir Natasha dans sa chambre, usant de stratagèmes plutôt coquins en s’exhibant nue ou en bousculant de façon entreprenante la jeune femme.
Puis plus le film progresse et plus le ton s’y alourdi, aux termes des révélations plus ou moins mensongères au départ et sincèrement honnêtes par la suite des deux femmes, les carapaces se brisent lentement, laissant apparaître blessures, malaises et cicatrices psychologiques.
Tout se fait de façon progressive, aux termes d’échanges, de découvertes mutuelles de l’une et de l’autre dans l’ambiance douce, neutre et sécurisante de cette chambre.
Je ne peux malheureusement pas trop parler de cet aspect de l’histoire, l’intrigue reposant principalement sur ce jeu de la vérité plus ou moins biaisé auquel joue les deux protagonistes.
La progression se fait lentement et la conclusion inévitable se fait de plus en plus incertaine : Le réalisateur joue sur cette ambiguïté jusque la dernière scène, laissant le soin au spectateur de décider du futur de ces héroïnes selon sa sensibilité, une conclusion ouverte et originale que je vous laisse le soin de découvrir.
Dans sa construction, Room In Rome est donc un film atypique, sa progression lente faite de non-dits, mensonges et révélations, le tout entrecoupé de scènes de sexe assez intenses lui donne un aspect sulfureux, sans jamais tomber dans le vulgaire et le voyeurisme.
Cet aspect sulfureux évoqué plus haut me donne donc l’occasion d’aborder un des thèmes cher à Julio Medem et qui revient régulièrement dans son œuvre, à savoir le sexe et Room In Rome ne déroge pas à la règle.
C’est un aspect très important du film, le sexe est d’ailleurs au début la principale motivation d’Alba pour attirer Natasha dans sa chambre, ainsi dés le début le réalisateur nous met donc de suite dans l’ambiance charnelle et sensuelle qui caractérisera la suite.
De plus, les deux héroïnes vont passer une grande majorité de la nuit entièrement nues, et là où l’ont pourrait croire à un prétexte voyeur de la part du réalisateur, il n’en est en fait rien : La réalisation au plus proche de ses personnages principaux créé une véritable proximité avec le spectateur, la nudité renforçant ladite proximité, les personnages ne cachant rien d’elles-même, d’abord physiquement, puis au fur et à mesure du film, se découvrant autrement au travers de leurs confidences.
A aucun moment Julio Medem ne filme les deux actrices nues de manière intéressée, elles évoluent librement, de façon naturelle.
Il en va de même pour les scènes de sexe, plus que de simples ébats, elles constituent de véritables parenthèses enchantées, sortes d’intermèdes durant lesquelles les héroïnes s’oublient l’une à l’autre.
Julio Medem réussi donc à filmer deux jolies femmes entièrement nues et faisant l’amour pendant plus d’une heure trente sans jamais tomber dans le vulgaire et le voyeurisme, teintant même son film d’une ambiance charnelle et sensuelle presque onirique.
Ce coté onirique justement, renforcé par des nombreuses références artistique à la Rome antique (Sur lesquelles je ne reviendrai pas, ma connaissance dans ce domaine se situant entre « Rien » et « Pas grand chose »), et aussi une approche intéressante du film : La chambre d’hôtel dans laquelle se passe le film est, de mon point de vue, une sorte de lieu hors du temps et du monde d’extérieur, presque magique, dans lequel tout semble possible pour les deux héroïnes, dans lequel rien n’est tabou.
Cet aspect un peu fantasmagorique de la chambre et renforcé par la photographie, toujours un peu sombre et feutrée, formant ainsi une atmosphère douce autour de nos deux amantes.
Le contraire est la salle de bain de cette même chambre, froide, blanche et lumineuse où se situe la fin du film et dans laquelle se passe la conclusion inéluctable du film, à la fois triste et prévisible, que je vous laisse le soin de découvrir.
On passe donc d’un univers presque fantastique, la chambre à l’ambiance douce et chaude, à un dur retour à la réalité, la salle de bain, lumineuse, blanche et crue. Une allégorie spatiale symbolique plutôt bien trouvée de la part du réalisateur.
Musicalement, le métrage se fait plutôt discret sur ce point, les musiques sont surtout discrètes et hormis le thème principal, l’entêtant Loving Strangers (De la chanteuse espagnole Russian Red), ce n’est pas à un aspect qui m’a énormément marqué…
En résumé, Room In Rome est donc un film surprenant, tant dans son thème que dans son approche de celui-ci. L’homosexualité féminine et plus largement la sexualité entre deux femmes est un thème sulfureux, souvent caricaturé mais ce film prouve qu’en conjuguant simplicité et sincérité, ont peut en parler et le montrer de façon presque naturelle, touchante et sincère. Un tour de force, d’autant plus remarquable qu’il est réalisé par un homme, comme quoi.
Je vais être franc, écrire cette petite critique ne fut pas pour moi une chose aisée. Déjà comme je l’ai déjà dit durant certains textes publiés ici, parler d’une chose que l’on apprécie tout en restant objectif n’est pas si simple, dans le cas de Room In Rome, le problème fut double étant donné que j’ai vraiment beaucoup aimé le film et que son thème ne me concernait pas directement. Est-ce qu’au final, être un homme fut un frein à mon appréciation de ce film ? Très sincèrement je ne pense pas. Car Room In Rome, bien loin d’être une histoire de deux femmes nues réunies dans une chambre d’hôtel est dans le fond bien plus que ça pour qui se donne la peine d’y regarder de plus près. Ces deux femmes se réunissent pour faire l’amour, dans le sens le plus charnel et passionnel du terme, tout simplement. Car si le film débute comme une histoire de sexe des plus simples, il devient au fur et à mesure bien plus que ça, d’une simple histoire de sexe, on assiste à une véritable passion d’une nuit entre deux êtres opposés mais au final terriblement proches. Room In Rome, c’est un peu le fantasme ultime de tout un chacun, celui de passer une nuit passionnée avec un être qui saura vous comprendre et vous accepter, vous aimer, juste le temps d’une nuit, pour passer une véritable nuit d’amour.
Merci pour cette longue et intéressante critique qui m’a donné envie de voir ce film que je ne connaissais pas jusque-là 🙂
C’est un très très beau film qu’il me plait de revoir de temps en temps, Julien a exprimé avec justesse l’avis que nous partageons tout les deux à son sujet 🙂