Je vais offrir à ce monde ce que Valérie voulait… des roses. Énormément de roses.
Chaque 5 Novembre, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour Valérie Page.
Celle qui, dans V Pour Vedetta joue un rôle essentiel tout au long du récit en servant de catharsis dans la lutte du héros contre ce parti fasciste qui sévit dans cette Angleterre dystopique créée par Alan Moore.
L’histoire de Valérie (dont on ne verra jamais le visage comme pour mieux se concentrer sur la portée de ses mots) ne tient qu’en quelques pages et pourtant, elle résonne bien au delà de son aparté, nous offrant cet instant de grâce et d’une poignante humanité au cœur du chaos et de la haine la plus effroyable.
Valérie a inspiré V et Evey, mais également et sans le savoir tous ceux qui se reconnaissent dans l’image symbolique que véhicule le masque de Guy Fawkes.
Voici donc son récit, selon ses propres mots (tirés de la traduction de Jacques Collin bien sûr), de quoi réfléchir sur ce qu’il se passe autour de nous (et un peu plus loin encore) et d’essayer de rendre ce monde un peu meilleur.
Je ne sais pas qui vous êtes. Mais s’il vous plait croyez-moi. Je n’ai aucun moyen de prouver que ce n’est pas un de leurs pièges mais je m’en fiche. Je suis moi et je ne sais pas qui vous êtes mais je vous aime. J’ai un crayon. Un tout petit crayon qu’ils n’ont pas trouvé. Je suis une femme. Je l’ai caché en moi. Je n’aurais peu-être plus jamais l’occasion d’écrire alors voici une longue lettre qui parle de moi. Ce sera ma seule autobiographie et mon Dieu je l’écris sur du papier toilette.
Je suis née à Notthingham en 1957, et il pleuvait beaucoup. Je suis entrée au collège de jeunes filles en section littéraire. Je voulais être actrice.
Je rencontrais ma première amie à l’école. Elle s’appelait Sara. Elle avait quatorze ans. J’en avais quinze, mais nous étions toutes deux dans la classe de Mlle Watson.
Ses poignets. Ses poignets étaient magnifiques.
Debout en salle de sciences nat, je regardais le foetus de lapin dans le formol tandis que Mr Hird m’expliquait que ça n’était qu’une phase de l’adolescence qu’on oublierait… Sara oui. Pas Moi.
En 76, je décidai de ne plus mentir et j’emmenai chez moi une jeune fille nommée Christine pour la présenter à mes parents.
Une semaine plus tard, je partais vivre à Londres et je m’engageais dans une école d’art dramatique. Ma mère dit que je lui avais brisé le coeur…
Mais mon intégrité en dépendait. Était-ce si égoïste ? On peut l’abandonner pour presque rien, mais c’est tout ce qui nous reste à la fin… Un dernier détail… Notre espace de liberté.
Londres… J’étais heureuse à Londres… Moi je voulais plus que ça.
Ma carrière progressait. Je décrochais de petits rôles puis de plus importants. En 1986 j’obtins le premier rôle dans « The salt slats ». Le film rafla quelques prix sans que le public ne suive vraiment.
Je rencontrai Ruth sur ce tournage. Nous nous aimions. Nous vivions ensemble, et elle m’envoyait des roses pour la St valentin. Ce furent les trois plus belles années de ma vie.
En 1988 il y eu la guerre… et après ça, il n’y eu plus de roses. Pour personne.
En 1992, après leur prise de pouvoir, ils commencèrent à rassembler les homosexuels. Ils arrêtèrent Ruth alors qu’elle allait chercher à manger. Pourquoi ont-ils si peur de nous ?
Ils la brûlèrent avec des cigarettes jusqu’à ce qu’elle leur donne mon nom. Ils lui firent signer une déposition disant que je l’avais séduite.
Je ne lui en ai jamais voulu. Mon Dieu ! Je l’aimais ! Je ne pouvais lui en vouloir.
Elle, si. elle se suicida dans sa cellule, elle ne pouvait supporter l’idée de m’avoir trahie, d’avoir perdu ce dernier fragment d’intégrité.
Oh, Ruth.
Ils vinrent me chercher et me dirent que tous mes films seraient brûlés. Ils me rasèrent le crâne. Ils me tinrent la tête dans la cuvette des toilettes en racontant des blagues sur les lesbiennes.
Ils m’emmenèrent ici et me droguèrent. Je ne peux plus sentir ma langue. Je ne peux plus parler.
L’autre lesbienne qui se trouvait ici, Rita, est morte il y a deux semaines. Je suppose que je vais bientôt mourir. C’est tellement bizarre de se dire que ma vie finira dans un endroit aussi horrible, mais pendant trois ans j’aurais eu des roses sans jamais devoir m’excuser. Je vais disparaître et il ne restera rien de moi.
Sauf ça. Un détail. Un tout petit détail fragile, mais qui est la seule chose dans ce monde qui ait de la valeur.
Il ne faut jamais le perdre, le vendre, ou l’abandonner. Nous ne devons jamais laisser personne nous le prendre.
Je ne sais pas qui vous êtes, ou si vous être un homme ou une femme. Je ne vous verrai peut-être jamais. Je ne vous tiendrai jamais dans mes bras et ne pleurerai ou me saoulerai jamais avec vous. Mais je vous aime.
J’espère que vous pourrez vous échapper. J’espère que tout le monde changera et que tout ira mieux et qu’un jour les gens auront de nouveau des roses.
J’aimerais vous embrasser.
Valérie.