A l’occasion de la sortie de La vie d’Adèle Chapitres 1 & 2, dont la fameuse Palme d’Or a été attribuée à Abdellatif Kechiche et ses deux comédiennes Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, il était tout naturel que je me lance dans l’exercice de la double review, une pour parler de l’oeuvre sensible de Julie Maroh, et une autre pour décortiquer une vision beaucoup plus brute de la part du réalisateur de L’Esquive de cette histoire d’amour entre deux jeunes femmes (même si elle se veut ici être une histoire universelle).
Alors si vous ne souhaitez pas lire les quelques lignes qui vont suivre autant vous annoncer la couleur (et oh ça va, je fais ce que je peux) tout de suite, que l’on aime ou pas ce film qui ne peut définitivement pas laisser indifférent, il est d’une importance capitale de vous procurer Le bleu est une couleur chaude. Déjà parce que je suis sure que malgré toute la « promotion » faite autour du film de Kechiche, nombreux ignorent encore qu’il est avant tout inspiré d’une bande dessinée, mais aussi parce que si l’on veut se pencher sur une oeuvre aussi intransigeante qu’est La vie d’Adèle, le mieux est de saisir avant tout la vulnérabilité des héroïnes de son auteure originelle.
Le bleu est une couleur chaude
Le bleu est une couleur chaude fait partie de ces œuvres que j’aurais souhaité avoir découvert plus jeune, à une époque déjà lointaine mais cruciale où comme Clémentine je cherchais une couleur conforme à mes désirs, mes espoirs et mes questionnements. Car du haut de mes 37 ans (…), et parmi un nombre incalculable d’expériences plus où moins heureuses face à ma propre homosexualité, j’ai toujours été convaincue qu’une oeuvre artistique quelle qu’elle soit était capable de faire des miracles et montrer la voie de la sérénité.
Le bleu a ce pouvoir, celui de réunir autour de son récit émouvant (parfois mélo certes, c’est ce qui lui est parfois reproché, la belle affaire) une assemblé de lecteurs de tous bords, des hommes, des femmes, des homos, des hétéros (et détail qui compte d’autant plus pour moi : parmi mes connaissances, ce sont mes amis garçons hétéros qui ont été le plus sincèrement touchés) et autant de sensibilités ouvertes à ce qu’il est de plus pur en soit : la découverte de l’amour.
L’histoire de Clémentine et d’Emma, que l’on soupçonne avoir été vécue sous certains aspects par son auteure Julie Maroh, a fait écho parmi mes souvenirs de mes premières interrogations, ma première virée dans un bar gay, mon premier regard échangé, ma première rencontre, ma première rupture, et entre tout cela le poids constant du regard des autres et d’une société qui nous conspue.
Tout cela est si limpidement bien décrit dans Le bleu, où le gris omniprésent de la normalité se laisse submerger par cet azur insolent, symbole d’un refuge émotionnel et salvateur, symbole aussi d’une volonté de se battre contre l’homophobie du quotidien.
La force de cette oeuvre réside ainsi dans la simplicité et la sincérité d’une relation d’autant plus fragile qu’elle en est extrêmement réaliste, où bon nombre d’entre nous peut trouver son point d’attache quelque soit son orientation sexuelle.
Le bleu est une couleur chaude fait partie de ces œuvres artistiques majeures et indispensables, d’utilité publique à partager, montrer, enseigner par tous les moyens, où le militantisme du sentiment se dilue dans ce bleu intemporel pour obtenir l’harmonie parfaite.
La vie d’Adèle Chapitres 1 & 2
Bon alors, par où commencer ?
Peut-être déjà par le fait que j’espérais beaucoup de ce film, sûrement trop, je me souviens avoir sauté partout lorsqu’il a remporté sa Palme, persuadée que son contenu était à la hauteur de ce que j’attendais, à savoir une histoire d’amour franche et passionnelle montrée avec l’honnêteté et le réalisme d’un metteur en scène respectueux du sujet qu’il allait traiter.
Et soudain, c’est le drame.
Avant tout je dois dire que le vrai (l’unique ?) intérêt présent dans ce film s’appelle Adèle Exarchopoulos, un diamant à l’état brut qui ne joue pas mais vit son rôle jusquà ce qu’on ne puisse plus différencier la comédienne de son incarnation cinématographique (contrairement à sa partenaire Léa Seydoux qui ne cesse de surjouer dans pratiquement toutes les scènes, et en 3 heures on a le temps de se rendre compte de ce décalage). Véritable muse, Lolita d’un réalisateur qui s’attarde (trop ?) longuement sur ses formes généreuses, sa bouche entrouverte, son regard de biche, la jeune femme crève l’écran de sensualité et de naturel. Elle est pour moi l’unique raison pour laquelle je n’arrive pas à détester ce film.
Pour ce qui est du reste, mon impression est partagée entre déception et frustration, pas parce que le matériel original n’a pas été totalement respecté, mais parce que ce film regorge de clichés et de stéréotypes comme rarement il m’a été donné de voir en une seule oeuvre.
Ici je ne peux que rejoindre les avis négatifs qui se sont déjà manifestés, cette fameuse différenciation des classes symbolisée par deux plats (les spaghetti bolognaises pour le milieu prolétaire, et les huitres pour le milieu intellectuel et artistique) est totalement irrespectueuse à l’égard de ces deux pans de la société, les simplifiant et les réduisant au possible, mais surtout prenant le spectateur pour un abruti.
De même, réduire les enseignants (et plus précisément les instituteurs) en des fonctionnaires incultes et sans vocation est d’une bêtise hallucinante. J’ai du mal à croire qu’une instit, même de maternelle, ne sache pas qui est Egon Schiele ou Gustav Klimt. Autant le début du film nous montre d’interminables lectures de La Vie de Marianne de Marivaux (auquel le titre du film fait référence, youpi), La Princesse de Clèves, et Antigone, nous laissant supposer qu’Adèle possède déjà les clés d’une réussite intellectuelle et culturelle, autant elle fini par devenir une machine à apprendre la discipline, faisant une dictée à des élèves de CP sans grande conviction. Entre temps où est passé son amour pour la lecture, sa curiosité pour la peinture aux côtés d’Emma, sans doute que tout cela a été broyé par ce fichu système éducatif, qui sait…
La scène de sexe quant à elle, une scène pornographique ni plus ni moins, pourrait servir de cas d’école tellement elle a été mal montée. Des heures et des heures de rush, dont des plans ont été prélevés sans aucune logique et collés bout à bout pour faire quelque chose de tout sauf d’artistique, sans parler de quelques moments maladroits entre les deux comédiennes qui poussent inexorablement le spectateur au fou rire.
Filmé tel un documentaire tout droit issu de l’émission Strip-Tease, il n’y a pas de couleur chaude dans La vie d’Adèle. Tout y est froid, lent et pesant, où l’on passe de scènes clichées en effusions malvenues et surtout non maîtrisées. Si cela avait été le premier film de Kechiche, il aurait sans doute pu être qualifié de chef d’oeuvre, mais ici on a une oeuvre inégale entre obsession des gros plans et des « effets bleus » omniprésents tout le long, contre une direction d’acteurs complètement à côté de la plaque et d’un montage catastrophique digne d’un débutant.
Ce qui est certain c’est que personne ne peut rester indifférent à la sortie de ce film, pour ma part je ne comprends vraiment pas pourquoi il a reçu la Palme d’Or.
Super article, merci. J’ai tellement aimé la BD que je ne voulais pas avoir le film, tant j’avais peur d’être déçue, et ta critique va dans ce sens.
Quant à savoir pourquoi le film a eu la palme, je me risquerais à dire que, comme Tarentino qui avait donné la palme à Moore en 2004 pour Fahrenheit 9/11, Spielberg l’a aussi fait pour des raisons politiques, pour donner plus de visibilité à cette histoire qui, j’espère, garde un peu de la puissance empathique du Bleu. My five cents…
Bonjour,
Totalement en accord avec votre article concernant le film et la BD. Alors que la BD raconte une belle histoire d’amour, tragique. Le film lui nous dévoile un condensé de vulgarité et de scènes à la limite du porno qui n’ont plus rien à voir avec l’œuvre original …. Comme quoi il faut toujours garder à l’esprit : palme du festival de Cannes => ne pas aller le voir au cinéma.
Par contre en tant que professeur dans le secondaire, Je peux vous assurer qu’on ne sait pas tous qui sont Egon Schiele ou encore Gustav Klimt :). Être enseignant est une vocation en soi, pas besoin d’en avoir une autre elle est déjà suffisamment chronophage si on l’applique correctement 🙂
Personnellement j’ai bien plus apprécié les 20 minutes de lecture de la BD de Julie Maroh que les 3 longues heures interminables d’ennui du film de Kechiche …
Schiele ou Klimt, ce sont des exemples bien sûr, on aurait pu les remplacer par n’importe quel artiste relativement connu dans d’autres domaines que la peinture, j’ai du mal à croire qu’un enseignant n’ai pas un minimum de culture générale.
Tiens je viens de tomber sur cet article, j’ai l’impression que l’on doive supporter la vision étriquée de Kechiche encore pendant un moment : http://www.20minutes.fr/cinema/1236255-20131014-abdellatif-kechiche-envisage-suite-a-la-vie-dadele
Tu es dure avec le film mais tes arguments sont parfaitement fondées. Je me suis tellement attaché à l’histoire d’amour que j’en ai négligé ces détails sur le montage que tu mentionnes. Les scènes de sexe ne m’ont ni choqué, ni excité. Je les ai prise comme tel : la volonté affirmé de Kechiche de tout montrer de son héroïne. A ce stade, je me demandais même pourquoi on ne voyait pas Adèle uriner ou déféquer. Adèle machin justement est effectivement une vraie révélation mélange de candeur et d’une certaine vulgarité : inculte, elle mange salement etc.
Pour travailler dans le social, je peux t’assurer que ce diplôme ne garantit pas la culture que l’on pourrait imaginer…
J’ai également adoré le livre, et après quelques extraits épars et les lectures d’avis, je vais avoir du mal à voir le film. Pourquoi gâcher une œuvre quasiment d’utilité publique, si ce n’est au nom du buzz ? Sans moi !