En créant la belle Ororo Munroe en 1975 pour les pages du hors-série Giant-Size X-Men #1, Len Wein et Dave Cockrum ne devaient surement pas se douter de l’importance hautement symbolique qu’allait avoir ce personnage pour de nombreuses générations de lecteurs, en fédérant autour d’elle aussi bien les hommes que les femmes, issus des différentes communautés ethniques.
Car en plus de pouvoir déchaîner les quatre vents et vous pétrifier sur place d’un revers de foudre, Storm n’est ni plus ni moins que la toute première super héroïne d’origine africaine à évoluer dans un comic-book tout en étant au premier plan.
Nous allons voir que sa création est le fruit de deux hommes à l’imagination foisonnante, et d’un troisième (Chris Claremont) qui allait changer complètement certains aspects d’une héroïne à peine sortie de l’œuf. Si l’on rajoute à cela presque quarante ans d’aventures et d’apparitions toutes aussi mythiques les unes que les autres, asseyez-vous confortablement et laissez-moi vous compter l’histoire d’Ororo Munroe.
Il nous faut donc remonter le temps en 1975, à une époque où aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, les ventes de la série X-Men sont loin d’être exceptionnelles. Afin de redonner un coup de fouet à cette équipe de super héros, on décide d’ajouter de nouveaux personnages, tous issus de pays étrangers, du Canadien Wolverine au Russe Colossus en passant par le Germanique Nightcrawler.
Le duo créatif assigné à cette entreprise est constitué du scénariste Len Wein et de l’artiste Dave Cockrum qui possède dans ses carnets à dessin une pléthore de personnages qui n’espèrent pas mieux que de prendre vie et ainsi entrer dans la postérité et parmi lesquels on retrouve une dénommée Black Cat (rien avoir avec l’héroïne du Golden Age ni celle qui verra le jour en 1979 aux côtés de Spider-Man), héroïne noire aux yeux félins et dont le costume rappelle déjà fortement celui d’Ororo, ainsi que Tempest, capable de contrôler les éléments naturels, mais dont la personnalité ne semble pas fonctionner pour les deux artistes.
C’est Roy Thomas alors éditeur en chef de Marvel qui va leur suggérer d’attribuer les pouvoir de Tempest à Black Cat, Cockrum redessinant légèrement le costume, en y ajoutant la fameuse cape aérienne attachée à ses poignets, et Wein baptisant son héroïne Ororo, qui signifie « beauté » en Swahili.
La Storm que l’on découvre donc dans les pages de ce Giant-Size X-Men #1 est celle que le Professeur Xavier est venue recruter sur les plaines du Serengeti, elle est une véritable déesse pour les tribus qu’elle protège en utilisant ses pouvoirs, et son allure ne laisse en tout cas pas le moindre doute là dessus. Wein appuiera d’ailleurs sur le décalage entre la jeune femme jusqu’ici au sommet de la chaîne alimentaire et le reste de l’équipe, notamment au cours de ses interactions avec les autres membres mutants.
Mais le scénariste ne va pas avoir le temps de développer la mythologie de son personnage, quittant la série régulière pour laisser la place à Chris Claremont qui prend pleinement les rênes de la série à partir du #96 et qui va carrément changer les origines pourtant fraîches de Storm au #102, en les rendant beaucoup plus complexes.
Exit l’exotisme kényan, sa faune sauvage et ses paysages grandioses, Claremont nous explique qu’Ororo est née à Harlem en 1951, fille de David Munroe et de sa femme N’Dare, alors âgée de six mois ses parents vont s’installer au Caire pendant la crise du canal de Suez. Quelques années plus tard un avion va venir s’écraser contre leur maison, elle sera la seule survivante, se retrouvant prisonnière des décombres sous le corps sans vie de sa mère. Cette expérience traumatisante révélera son talon d’Achille, une sévère claustrophobie qui la paralyse totalement.
L’orpheline va alors trouver refuge et protection auprès d’Achmed el-Gibar qui lui enseigne les rouages et les ficelles du métier de voleuse, la belle devient ainsi une experte en pickpocket. Ses talents seront d’ailleurs utilisés à plusieurs reprises par Claremont, qui lui fait voler le porte-feuille du Professeur X le temps d’un flash-Back dans X-Men #117.
Adolecente, Ororo va suivre son instinct et entamer un périple qui lui fera traverser le désert du Sahara pour rejoindre l’Afrique équatoriale, là où sa rencontre avec Xavier scellera son destin des années plus tard.
En remaniant ces origines, Claremont souhaite ainsi éviter à son personnage de devenir une énième Jungle Girl comme ses copines Sheena, Shanna ou Rima, pour en faire une héroïne résolument contemporaine. Ce qu’il veut également c’est donner du corps à son héroïne, quitte à la faire passer par un double traumatisme (celui de la mort de ses parents et d’avoir été enterrée vivante sous les décombres) puis la transformer en criminelle.
En outre, son voyage initiatique qui coïncide avec la découverte de ses pouvoirs devient une expérience totalement salvatrice pour elle, parvenant au final à trouver sa place en haut de l’échelle « sociale », contrairement à la plupart des mutants qui sont persécutés ou considérés comme anormaux.
Dans la création du passé d’Ororo, Claremont va aussi fortement s’inspirer d’un autre personnage féminin de bande dessinée, Modesty Blaise qui fut créée en 1963 par le scénariste Peter O’Donnell et le dessinateur Jim Holdaway, et dont les aventures vont être adaptées au cinéma en 1966, 1982 et 2003, ainsi que dans une série de romans et de nouvelles à partir de 1965. Le scénariste confirmera également que Charles Dickens compte parmi ses sources d’inspirations, d’Oliver Twist aux Grandes Espérances, pour aborder l’enfance de la jeune femme, sa vie dans les rues, et son rapport avec son protecteur Achmed el-Gibar.
On ne peut pas non plus évoquer les origines de Storm sans parler de son héritage mystique, car Ororo est également la descendante d’une lignée de prêtresses africaines qui ont toutes des cheveux blancs, des yeux bleus et sont de véritables magiciennes.
Pour instaurer cet héritage, en 1982 dans les pages d’Uncanny X-Men # 160 elle croise une version alternative plus âgée d’elle même, qui va lui expliquer qu’en vieillissant elle finira par laisser de côté ses pouvoirs mutants beaucoup moins puissants que dans sa prime jeunesse, et les remplacer par la magie. Trois ans plus tard, Claremont va présenter le personnage d’Ashake (dans New Mutants #32) qui est une ancêtre de notre héroïne vivant à l’époque de l’Egypte ancienne et qui va aider Magik et Dany Moonstar.
Malgré ce passé extrêmement dur qui aurait pu la transformer en héroïne au coeur de pierre, Chris Claremont fait de Storm une personne sensible, à la fois naïve et extravertie du moins à ses débuts, mais les années 80 vont avoir sur elle une influence des plus radicales, la belle commençant à arborer sa fameuse chevelure Mohawk à cette époque.
Paul Smith, le dessinateur qui officie à l’époque sur la série propose au scénariste plusieurs nouvelles versions de Storm dont l’une avec des cheveux extrêmement courts. Mais c’est un autre look beaucoup plus radical qui va attirer l’attention de Claremont et de son éditrice de l’époque Louise Simonson, avec qui il parvient à imposer cette nouvelle version très Rock n’ Roll (pour ne pas dire Punk).
Sa première apparition devant Kitty Pryde, avec qui elle entretient une relation très maternelle dans Uncanny X-Men #173 (en 1983), fait référence à une situation vécue par Julie, la fille de Louise et Walter Simonson, retrouvant ses parents de retour de vacances alors qu’ils avaient complètement changé de look (Louise s’était coupée les cheveux très courts et Walt s’était rasé la barbe) et qui s’était mise à pleurer devant ce spectacle.
A la base considérée comme une grosse plaisanterie entre les artistes et leur éditrice, cette coupe de cheveux hallucinante sera employée régulièrement tout au long de la carrière de notre héroïne jusqu’à aujourd’hui.
Storm devient au fil du temps un personnage tellement fort qu’elle va finir par prendre le leadership du groupe lorsque Cyclops quitte les X-Men suite à la Saga Dark Phoenix (à partir d’Uncanny X-Men #139), et continuera même à le conserver après son retour, suite à une confrontation en bonne et due forme alors que celle-ci ne possède même plus ses pouvoirs (Uncanny X-Men #201).
Et pourtant, on ne plaisante pas avec les pouvoirs de Madame Munroe, non seulement elle est capable de contrôler les éléments par la pensée, mais elle peut également agir sur différents facteurs du climat comme provoquer l’apparition ou la disparition du vent, d’une simple brise jusqu’à une tempête destructrice, ainsi que déclencher des précipitations de toutes sortes : pluie fine, averse tropicale, neige, grêle… agir sur la température en la faisant descendre ou monter rapidement, ou encore sur la visibilité par la création de nuages cachant le soleil ou de brouillard épais, ou encore provoquer des destructions grâce aux orages et aux éclairs qu’elle peut générer.
Mais contrairement au dieu Asgardien Thor, Storm ne peut pas créer à partir de rien des éclairs ou une tempête. Il faut qu’elle contrôle le processus de changement climatique de bout en bout, doit éviter que le temps échappe à son contrôle mais surtout gérer le fait que si elle utilise les éléments à son propre compte, cela veut dire qu’ils feront forcément défaut quelque part sur terre, peut être au détriment de populations entières.
Mais qu’adviendrait-il si folle de rage, elle devenait totalement incontrôlable à la manière de sa malheureuse coéquipière Jean Grey ? C’est ce qu’explorent en partie Chris Claremont et Dave Cockrum en 1981 le temps de trois numéros (Uncanny X-Men #145-147) lorsqu’Ororo est retenue prisonnière par Fatalis qui la séquestre à l’intérieur d’une statue de chrome, ce qui déclenche chez elle une crise sévère de claustrophobie. Le résultat n’est franchement pas joli à voir mais permet aux auteurs de creuser un peu plus l’aspect Dark du personnage. Il faudra toute la psychologie de Colossus pour la ramener à la raison, en évoquant bien sur l’expérience de Dark Phoenix.
Et l’amour dans tout ça ?
Et bien on peut clairement identifier deux hommes qui ont su faire vibrer le coeur de notre foudroyante déesse, lors de son périple africain elle croise tout d’abord le destin du prince T’Challa du Wakanda, un jeune garçon à peine plus âgé qu’elle (et futur Black Panther), qu’elle sauve alors qu’il est sur le point de se faire kidnapper par Andreas de Ruyter qui veut l’utiliser comme otage contre son père (Marvel Team-Up #100). Ils voyagent ensuite ensemble pendant un certain temps mais alors qu’ils sont sincèrement très attirés l’un envers l’autre, le devoir de T’Challa et le rêve d’Ororo les emmènent dans des directions différentes.
Ces deux là finiront par se marier dans Black Panther #18 en 2006, pour se séparer récemment suite aux événements d’AVX.
Le coeur de Storm va également chavirer pour Forge, un mutant d’origine Cheyenne qui va pourtant être responsable de la perte de ses pouvoirs.
Lorsque Rogue, à l’époque dernière recrue de l’équipe, est pourchassée par des agents gouvernementaux car elle est soupçonnée d’avoir assassiné un agent du SHIELD, Ororo la suit dans le Mississippi pour l’aider. Prise pour cible par les les agents fédéraux, Rogue est sauvée par Storm en s’interposant et reçoit une décharge provenant d’une arme qui neutralise les pouvoirs mutants.
Elle est sauvée de la noyade par l’inventeur même de cette arme, Forge, qui ne voulait pas que tout cela se produise. Forge va prendre soin d’une Storm suicidaire et déprimée, et les deux mutants vont commencer à tomber amoureux l’un envers l’autre. Mais quand Ororo apprend accidentellement que c’était Forge qui avait conçu le Neutralizer, elle le quitte en dépit de son offre pour trouver un moyen de restaurer ses pouvoirs (Uncanny X-Men # 185-188).
Les deux amants seront une nouvelle fois réunis, lorsque L’Adversaire les emprisonne dans une autre dimension et prend le contrôle de Dallas en déformant l’espace-temps pour provoquer le Chaos sur Terre. Storm et Forge vont passer un an sur une planète parallèle où ils font la paix et s’avouent leur amour mutuel. Forge se sert alors de sa jambe mécanique pour fabriquer une nouvelle arme qui rend ses pouvoirs à Ororo qu’elle utilise pour rouvrir un portail vers la Terre (Uncanny X-Men # 225-227).
On voit donc parmi ces quelques aventures que depuis sa création, la vie de Storm est loin d’avoir été de tout repos (d’ailleurs pour avoir le détail complet de son histoire, je vous suggère vivement ce site qui retrace tous les moments clés de sa vie, c’est extrêmement bien documenté). Ororo a toujours été une femme forte et bien qu’elle soit la troisième héroïne noire crée en 1975 par Marvel (avec Glory Grant et Misty Knight), ses auteurs ne l’ont jamais vu comme le porte drapeau ou l’icône d’une communauté raciale. A contrario, elle ne porte pas sur elle les clichés ou les influences de la blaxploitation comme ses acolytes de Heroes for Hire.
Len Wein, Dave Cockrum, Chris Claremont et même John Byrne (qui au passage sont bien évidemment tous des hommes de race blanche) ont fait en sorte qu’elle devienne avant toute chose une héroïne à part entière et universelle sans que l’on prenne en compte sa couleur de peau. Aucun d’entre eux ne s’est réellement préoccupé de son ethnie autrement que pour décrire ses origines et sa culture, comme tout autre personnage issu de la deuxième vague des X-Men dont la particularité est qu’ils proviennent des quatre coins du globe.
C’est ce qui fait la force d’un personnage tel que Storm depuis près de quarante ans, son universalité lui a permis de toujours être exposée au premier rang dans les diverses adaptations cinématographiques ou télévisuelles faisant attrait aux X-Men et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui encore elle est indispensablement présente sur bon nombre de titres mutants.
Tout cela me donne grandement envie de relire tous les comics que je possède et dans lesquels Storm tient une place importante 🙂 Personnage fort, tout en étant sensible : une merveille pour moi 🙂 Merci beaucoup d’avoir pris le temps de retracer sa longue carrière ^^
Merci à toi d’avoir patienté si longtemps !
pas si longtemps que ça, il ne faut pas exagérer ^^
Coucou 😉 Ororo Monroe, un personnage emblématique qui a accompagné ma découverte de l’univers X, enfin le mutant bien évidemment. J’en parle au passé tant il est vrai que je m’en suis éloigné ces dernières années … Parce que les X-Men, ce n’est plus comme avant.